L’art de s’opposer aux grandes banques et à la soif des régulateurs
Les anecdotes liées à l’affaire DSK renforceront le dédain du public à l’égard des politiciens et des organisations internationales. Les grandes banques nagent avec le même enthousiasme dans le déni de réalité
L’affaire DSK renforcera le dédain du public à l’égard des politiciens et des organisations internationales qui, tel le FMI, ne cessent d’exiger des moyens supplémentaires pour lancer des programmes d’austérité qui ne font qu’aggraver la situation (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne). Mieux vaudrait supprimer le FMI et laisser chaque pays disposer d’une monnaie conforme à son propre «modèle d’affaire». L’arrivée de Christine Lagarde au FMI ne changerait rien à l’institution, elle qui nie depuis un an la réalité d’une crise de l’Eurozone, qui préfère accuser le marché et qui justifie le non-respect des traités par la nécessité politique de faire bloc. Face à ces «élites» qui perdent le sens des réalités, la montée du populisme risque d’être encore longtemps une valeur en hausse.
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Les grandes banques nagent avec le même enthousiasme dans le déni de réalité, notamment UBS. L’opposition aux exigences accrues en termes de fonds propres est pour le moins déplacée. D’ailleurs, le parlement ne devrait guère suivre son argumentation.
Ce ne sont pas les milieux libéraux qui prendront la défense des intérêts des grandes banques. Réunis en fin de semaine dernière au Liechtenstein pour la 7e conférence Gottfried von Haberler, sur le thème de la «surréglementation», ils ont largement applaudi Kurt Schiltknecht, l’ancien chef économiste de la BNS, lorsque ce dernier a plaidé pour une forte hausse des fonds propres des grandes banques. Les participants, que les médias qualifieraient d’ultralibéraux, ne sont pas des conservateurs défendant des rentes de situation, mais les défenseurs de la responsabilité et de la liberté individuelles.
Les grandes banques déclarent que les coûts des crédits seraient plus élevés si les fonds propres étaient accrus. Des travaux académiques (Samuel G. Hanson) ont montré qu’une hausse des fonds propres de 10% renchérit de 0,25% les coûts des crédits. C’est seulement vrai si toute chose est égale par ailleurs, comme disent les scientifiques. Or ce renchérissement disparaît si le risque systémique est diminué. Une banque disposant de fonds propres abondants est moins risquée et le coût de ses fonds propres est donc réduit.
Ni les grandes banques, ni les autorités ne tirent les conséquences des erreurs du passé. A l’éclatement de la crise financière, la part de fonds propres d’UBS n’était que de 1,5%. Malgré les centaines de pages du rapport de gestion, personne n’y avait prêté attention. «Moi-même, je ne m’en étais pas aperçu», a avoué Kurt Schiltknecht. Si ce critère de base de la stabilité d’un établissement avait été évoqué un peu plus souvent, les déposants, les créanciers et les actionnaires auraient privilégié d’autres instituts plus solides. Le marché aurait fonctionné. L’opacité sur la qualité des institutions résultait avant tout d’une complexité des réglementations issues de Bâle II et de la notion de fonds propres ajustés du risque. Car cette estimation du risque a été laissée aux soins des agences de rating. «Aujourd’hui, les réglementations sont rendues encore plus complexes et fragilisent d’autant plus la force stabilisatrice du marché», selon cet ex-banquier central.
D’ailleurs, si les autorités ont raison d’exiger plus de fonds propres, elles n’en tirent pas les conséquences sur le plan fiscal. En effet, le coût des dettes bancaires peut être déduit des impôts, au contraire du coût des fonds propres. Le fisc encourage donc un plus grand endettement des banques.
Kurt Schiltknecht est très bien placé pour parler des grandes banques. Dans les années 1980, il était lui-même témoin, lors de la crise de la dette en Amérique latine, de la mine réjouie du directeur de la BNS de l’époque, au retour d’une conférence, lorsqu’il s’était exclamé: «Cette fois, nous avons la solution.» Il avait été décidé que chaque banque centrale protégerait les 10 plus grandes banques du pays. Cette garantie a été progressivement élargie, si bien qu’en 1999 61% des engagements des instituts financiers américains disposaient d’une garantie implicite ou explicite, selon John Walter et John Weinberg. En 2008, chacun a pu juger de la fragilité de cette garantie.
Les autorités réagissent comme les journalistes et limitent leur regard au court terme. Pourtant l’histoire se répète, ainsi que le rappelle Kenneth Rogoff. En 1984 déjà, la faillite de la 7e banque américaine, Continental Illinois, résultait d’une concentration des crédits sur un seul secteur, les prêts au secteur énergétique. Remplacer subprime par énergie pour se retrouver en 2008. Plutôt que de connaître leurs limites, les banques centrales veulent élargir leur pouvoir à la surveillance de toute une branche («macroprudentielle»). Il faut rejeter cette quête incessante de pouvoir, argumente avec raison Kurt Schiltknecht.
Une approche libérale de la réglementation bancaire devrait se concentrer sur la simplicité d’un critère comme le niveau de fonds propres. Elle peut être perfectionnée en introduisant le mécanisme automatique imaginé par Allan Meltzer: plus la taille d’une banque s’accroît et plus son ratio de fonds propres augmente. Cette solution a le mérite d’éviter le jugement politique sur les instituts à protéger. Un taux de fonds propres élevé a indirectement le mérite de réduire la volatilité des résultats, donc forcément de limiter les bonus.
Il faut absolument rejeter les recettes avancées sous l’étendard du G20 «visant une harmonisation des règlements», selon Kurt Schiltknecht. L’échec de Bâle II aurait dû signifier la fin d’une telle centralisation. Tout le monde doit-il avoir le même talon d’Achille? D’ailleurs si chaque pays avait eu d’autres règles, la crise financière aurait été moindre, selon l’économiste.
La Suisse a bien raison de façonner son propre cadre réglementaire et faire cavalier seul. Le niveau de fonds propres risque d’être bien supérieur à d’autres pays. Mais les capitaux internationaux ont de bonnes chances d’être attirés par l’atout de la solidité. Mieux vaut une règle simple mais forte qu’une multiplication des lois. 45 000 individus travaillent à plein temps au service de la réglementation financière aux Etats-Unis. Et beaucoup d’autres pour les contourner. On oublie en effet que chaque homme est différent et qu’il s’adapte aux modifications de son environnement.
Une harmonisation des règlements ne peut mener qu’à une catastrophe
Par Emmanuel Garessus le temps mai11
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