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Vers un système monétaire privé…????

Vers un système monétaire privé…

Konrad Hummler. Associé-gérant de la banque Wegelin, le Saint-Gallois est un banquier atypique. (Keystone)

Konrad Hummler envisageait hier à Lausanne la possibilité d’un changement radical : Un système monétaire privé devient envisageable.

«Les conseils d’administration ne sont-ils pas devenus plus sages que les gouvernements?».

Sur une bonne partie de la planète, les autorités ont cédé la gouvernance de l’agenda politique au marché (au détriment parfois de l’intérêt général). En Occident, la crédibilité financière, l’une des plus grandes inventions, semble sérieusement entamée. Dans certains pays du sud, riches en matières premières, l’omission suspecte des ressources énergétiques (non encore extraites) à l’actif des comptes publics reflète un détournement massif de la res publica. Dans les deux cas, l’Etat est devenu le principal agent délétère. Avec pour résultat des crises financières à répétition et du surendettement public dans les pays développés. Les opérateurs de marché l’ont compris, proclame l’associé de Wegelin & Co et président de la NZZ. De sorte que, malgré les velléités de sauvetage de la Grèce, qui ne représente que 3% du PIB de la zone euro, rien ne semble en mesure de faire refluer les rendements. La faillite d’un Etat membre aurait au moins l’avantage de préserver le reste du bloc européen. Et de donner plus de visibilité aux opérateurs tout en récompensant les bons débiteurs à travers le maintien de faibles primes de rendement. Les lignes de crédit de la BCE pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne atteignent 338 milliards d’euros sur les 520 milliards prêtés. Qui sauvera ceux qui ont fourni ces prêts?

source Der Spiegel

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 Prolégomènes d’une devise privée

Si les marchés sont efficients, pourquoi les crises financières sont-elles aussi récurrentes? Dans un marché profond, l’information boursière est censée se répandre instantanément. Permettant aux opérateurs de réagir correctement et quasi immédiatement aux informations. Et, partant, de prévoir, ou du moins identifier, l’hyperinflation des actifs financiers. Un privilège cognitif qui n’appartient hélas qu’à une minorité. Les crises de ce siècle ont pratiquement toutes démontré l’inefficience des marchés.

La réalité derrière le surendettement européen? «Le marché dicte l’agenda politique au détriment du bien public», lance un Konrad Hummler inquiet, jeudi à Lausanne, à l’occasion du séminaire institutionnel de Wegelin & Co. Dont la stratégie de placement consiste désormais à fuir les valeurs nominales, de simples papiers-valeurs intangibles, au profit des actifs réels (actions d’entreprise en priorité).

Les organes politiques ont abusé de leur crédibilité, en particulier celle des banques centrales. Le déclencheur de la crise financière est le surendettement des banques. Surendettement lui-même dû à des opérations de bilan à effet de levier excessif et faussement présentées comme étant sans risque. Non pas en vertu de la solidité du marché de l’immobilier, mais du fait de la garantie étatique justifiée par des arguments fallacieux. Dans le cas de la Grèce, la même pathologie de la garantie se perpétue à un rythme métastatique.

Les principes de Maastricht sont pourtant clairs et sont à la fois d’ordre moral et pratique. L’interdiction faite de sauver des États membres défaillants repose sur le principe qu’un créancier ne doit pas être récompensé par un sauvetage. La réciprocité qui régit l’octroi et l’acception de l’argent défend d’accorder à ce dernier un droit de préférence asymétrique. Voilà pour l’angle moral.

 En ce qui concerne l’aspect pratique, la faillite d’une entité parmi d’autres a au moins l’avantage d’équilibrer les finances publiques et de récompenser, par le maintien de rendements faibles, les bons débiteurs. «J’achèterai autant d’euros qu’il m’est possible d’acheter si la Grèce sort de la zone monétaire», a récemment déclaré l’investisseur américain Jim Rogers, co-fondateur du fonds Quantum avec Georges Soros. Mais tant que les politiciens continueront d’enfreindre systématiquement les principes qu’ils ont eux-mêmes érigés, l’euro demeurera un jouet sans valeur tangible.

«A défaut de marchés efficients, les marchés ont au moins eu le bon goût d’inventer les credit default swaps (CDS)», se rassure Konrad Hummler. Que révèle la persistance de primes stratosphériques sur les emprunts grecs malgré les opérations de communication médiatiques d’un Jean-Claude Junker (chef de fil des ministres des Finances de la zone euro)? Que la dette privée est largement plus sûre que la dette publique. L’associé-gérant de la banque Wegelin entrevoit un système monétaire privé, avec une monnaie privée – et populaire – totalement indépendant des États. Les conseils d’administration, par opposition aux conseils des ministres, ont su tirer les leçons du passé. «Leurs décisions stratégiques sont fondées sur la stricte raison et non sur des échéances électorales.» Les sociétés ont le mérite d’avoir entrepris un long processus de deleveraging, soit exactement le contraire des Gouvernements formant une longue queue devant l’hôpital de la Providence depuis la fin de la Seconde Guerre. Car lorsqu’une entreprise fait effectivement faillite, on ne se soucie plus de savoir à qui le tour. Or le sauvetage de la Grèce conduira inéluctablement les opérateurs à briser un tabou autrement plus délicat: qui sauvera les sauveurs?

 Levi-sergio mutemba/agefi juin11

EN COMPLEMENT : La dette des Etats-Unis posera problème à court terme

Près de 60% des bons du Trésor arrivent à maturité d’ici à 2014. La normalisation monétaire pourrait être compromise

La Réserve fédérale américaine sera-t-elle en mesure de cesser de déverser des tombereaux de liquidités sur le marché monétaire à la fin juin? Un coup d’œil sur la structure de la dette des Etats-Unis permet sérieusement d’en douter, a laissé entendre jeudi Konrad Hummler, associé-gérant chez Wegelin & Co lors d’une conférence à Lausanne. Pourquoi? Tout simplement parce que Washington mène une politique d’endettement très agressive, visant les meilleurs taux, soit les plus courts.

Résultat, 58% des bons du Trésor arriveront à échéance d’ici à 2014: environ 2300 milliards de dollars cette année, puis 3000 milliards entre 2012 et 2014, a détaillé le banquier privé. Une hausse des taux conduirait quasi immédiatement à une progression du service de la dette, alors que le déficit public tourne déjà actuellement autour des 10% du produit intérieur brut (1500 milliards de dollars).

La zone euro présente une situation plus contrastée en termes de duration des emprunts, mais n’en recèle pas moins «de nombreux risques», a poursuivi Konrad Hummler. «Et ce n’est pas la Grèce, ni le Portugal, l’Irlande ou même l’Espagne, qui doit pourtant refinancer 63% de sa dette d’ici à 2013, qui font planer le plus grand danger. C’est en fait l’Italie, dont la dette pèse 119% du PIB», a-t-il souligné. Pour l’heure, Rome parvient certes à trouver la majorité des capitaux à l’intérieur du pays, mais il faut garder à l’esprit qu’une perte de confiance des investisseurs ferait chavirer tout le système de sauvetage mis en place par Bruxelles. «Car l’Italie contribue à 20% dans le fonds de stabilité. Si elle n’arrivait plus à apporter sa part, le mécanisme ne serait plus supporté que par la France et l’Allemagne, compte tenu du fait que la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg sont de petits contributeurs», a noté l’associé-gérant de Wegelin. La crise toucherait un paroxysme.

«Les risques sont actuellement exceptionnellement élevés» au niveau international et indirectement pour l’ensemble de l’économie suisse, a abondé Aymo Brunetti, l’économiste en chef du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), lors du même séminaire. A côté des problèmes de dettes et de la délicate normalisation à venir de la politique monétaire, cet expert rappelle encore que le secteur bancaire demeure fragilisé.

«En mai 2010, les Européens ont fait d’énormes efforts pour trouver une solution au problème de la Grèce. Un an plus tard, la situation est à nouveau la même. Il est difficile de concevoir une solution sans une nouvelle crise», a analysé Aymo Brunetti. Pour la Suisse, cela se traduirait par de nouvelles pressions à la hausse sur le franc, «qui pourraient conduire à un choc déflationniste».

Le Seco publiant ses prévisions économiques révisées pour la Suisse mardi prochain, son chef économiste n’a pas voulu dévoiler ses attentes hier. Il a toutefois donné un indice en affirmant qu’il ne fait pas partie des économistes qui pensent que le tissu industriel est suffisamment restructuré pour vivre à long terme avec une devise aussi forte. «Les marges des entreprises ont diminué», a-t-il noté. Et les pressions venant du franc devraient plutôt s’accentuer ces prochains mois.

Par Philippe Gumy/le temps juin11

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