L’interventionnisme contre le laisser-faire par Andreas Höfert
L’histoire nous enseigne que les interventions mal à propos sont parfois pires que les maux. En sera-t-il ainsi avec le QE2?
Durant l’été 1853, la Nouvelle-Orléans fut touchée par une épidémie de fièvre jaune, qui se solda par 8000 morts, soit 6% de la population de l’époque. Au milieu du XIXe siècle, l’origine de l’épidémie et les modes de transmission n’avaient pas été clairement établis. Les scientifiques, affublés à l’époque de l’étiquette de «chimistes analytiques», supposaient que la fièvre jaune était transmise par l’air et avait un rapport avec la composition de l’atmosphère, qui était intensément chaude et humide. Ils déclarèrent qu’il y avait «un manque d’ozone dans l’air».
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D’après une chronique de cette époque, «pour purifier l’atmosphère, le Conseil de santé de la Nouvelle-Orléans ordonna que 400 coups de canon de six pouces soient tirés. Mais le tonnerre de l’artillerie eut des répercussions fatales pour de nombreux malades, qui se mirent à convulser. Les autorités locales entreprirent ensuite de faire brûler des barils remplis de goudron aux quatre coins de la ville pour purifier l’air.»
Avec le recul et le rôle établi des moustiques dans la transmission de la maladie, ces procédés peuvent prêter à sourire. Loin d’atténuer l’épidémie, ils en ont accentué la mortalité. Toutefois, il nous faut retenir la morale de cette histoire et faire preuve d’humilité. Dans 150 ans, le second programme d’assouplissement quantitatif (QE2) de la Réserve fédérale destiné à soutenir l’économie américaine après la crise financière pourrait bien être perçu par les économistes futurs comme une arme tout aussi bizarre que les coups de canon tirés pour venir à bout de la fièvre jaune.
Fallait-il pour autant croiser les bras, conformément à la doctrine libérale du «laisser-faire»? Vu le maigre bilan du QE2, nous serions tentés de répondre par l’affirmative.
Par rapport à novembre 2010, les dernières statistiques disponibles montrent que les mises en chantier de logements aux Etats-Unis restent largement inférieures à 600.000 unités (contre plus de 2 millions au sommet de la bulle immobilière). En outre, les prix de l’immobilier mesurés par l’indice Case-Shiller sont désormais plus bas qu’en avril 2009. Le taux de chômage est en légère décrue mais il reste supérieur à 9%. Enfin, la croissance au premier trimestre 2011 a plafonné à 1,8% en rythme annualisé (contre 6% en Allemagne et 4% en France).
Mais il existe un bémol: cet argument est contrefactuel car il part du principe que, sans QE2, nous serions exactement dans la même situation. Par conséquent, les partisans de l’interventionnisme affirmeront que, sans le QE2, l’économie américaine serait aujourd’hui en bien plus mauvais état qu’elle ne l’est actuellement.
Richard Koo, le chef économiste de l’Institut de recherche Nomura, développe une thèse similaire dans un ouvrage intitulé The Holy Grail of Macroeconomics – Lessons from Japan’s Great Recession (Le Saint-Graal de la macroéconomie: les leçons de la Grande récession au Japon), publié en 2008. Alors que de nombreux économistes fustigent le coût et l’inefficacité des politiques économiques, monétaires et budgétaires mises en œuvre au Japon ces vingt dernières années, l’auteur dénonce le caractère contrefactuel de leurs arguments et estime que le Japon serait dans une situation encore plus délicate si de telles politiques n’avaient pas été actionnées.
L’argument contrefactuel «si l’on avait rien fait, ce serait encore pire» justifie-t-il toujours l’interventionnisme? Lors de l’épidémie de fièvre jaune à la Nouvelle-Orléans, le résultat aurait été meilleur si les canons étaient restés muets, car moins de personnes seraient mortes de convulsions.
La principale différence entre cette anecdote et la politique monétaire réside dans le fait que les causes et les canaux de transmission de la fièvre jaune sont désormais scientifiquement établis. En revanche, en économie, même si le sujet a été exploré à maintes reprises, au moins depuis un essai du philosophe écossais David Hume en 1752, nous autres, économistes, ne sommes toujours pas parvenus à une compréhension scientifiquement établie et consensuelle des mécanismes de transmission de la monnaie.
Par conséquent, chaque fois que l’économie déraillera et que les gens réclameront une intervention pour atténuer la situation, les politiques et les banquiers centraux continueront sans doute à tirer des coups de canon pour venir à bout de la fièvre jaune, en prétendant qu’ils savent ce qu’ils font, et ce même si les résultats – comme dans le cas du QE2 – ne sont de loin pas à la hauteur des espérances.
Andreas Höfert Chef économiste UBS Wealth Management Research juin11