Le réacteur du Japon n’a pas redémarré
source Financial Times
Tokyo, printemps 2011. Les semaines qui suivent le tsunami dévastateur survenu dans le nord de l’île de Honshu et la tragédie nucléaire de Fukushima prédisent des bouleversements considérables dans l’Archipel. De nombreux intellectuels plaident alors pour une remise en question radicale du système japonais, basé sur un respect paralysant de la séniorité administrative, et sur des alliances malsaines entre politiciens, hauts fonctionnaires et conglomérats. L’interminable crise socio-économique qui asphyxie le Japon depuis l’explosion de sa bulle immobilière et spéculative des années 1990 semble trouver un terme dans le chaos radioactif des réacteurs endommagés par la fureur des flots. Une «révolution» douloureuse mais prometteuse est en route, jurent les spécialistes.
Quatre mois plus tard, c’est la déception: le spectacle qu’offre la troisième puissance économique mondiale n’est pas celui d’une résurrection triomphante. Certes, la force de caractère des Japonais a, comme toujours, fait des miracles. L’industrie nipponne, que l’on pensait durablement affaiblie par les dévastations du tsunami, reprend sa vitesse de croisière, tandis que l’immense chantier des zones dévastées dope artificiellement l’économie domestique. Mais l’Archipel, c’est évident, ne s’est pas débarrassé de ses carcans, dont certains sont structurels.
PLUS DE RISQUE EN SUIVANT :
Le premier ministre Naoto Kan, faible et impopulaire, est empêtré dans le dossier sulfureux du nucléaire, dont il prétend envisager l’abandon, tout en sachant que le Japon manque d’alternative. Sans que l’opposition conservatrice, encore plus discréditée, puisse lui damer le pion. La population, vieillissante, sclérose le pays. L’endettement national massif, à hauteur de plus de 200% du PIB, bien que financé par l’épargne des Japonais, demeure une redoutable bombe à retardement. Et la flambée artificielle du yen, monnaie refuge en Asie face au dollar déliquescent, plombe les exportations, attisant le mouvement de délocalisation vers la Chine.
Résultat: l’Europe comme les Etats-Unis, aujourd’hui en difficulté, n’ont rien à attendre de ce géant handicapé par sa démographie, la crise et les catastrophes naturelles pour relancer leurs économies. Son réacteur n’a pas redémarré. Son incroyable vitalité technologique, tout comme la légendaire solidité dans l’épreuve de sa population semblent, inéluctablement, condamnées à peser moins lourd dans la quête de croissance mondiale
Par Richard Werly/le temps aout11
EN COMPLEMENT /Fukushima: panique autour des poissons contaminés Par Michel Temman tokyo/le temps

Depuis l’accident nucléaire du 12 mars, la pollution des aliments s’étend. Les Japonais ne savent plus trop quoi consommer en toute sérénité
«Depuis l’accident nucléaire et les alertes sur l’eau du robinet en mars, puis sur les légumes et la viande cet été, je suis vigilante à l’extrême. Impossible d’acheter comme avant. C’est plus compliqué, très stressant. Je dois vérifier désormais l’origine de chaque produit.» Le témoignage de Kyoko T., 42 ans, qui élève seule à Tokyo un enfant de 11 ans, est de ceux que l’on entend beaucoup à Tokyo, de surcroît depuis qu’a éclaté l’affaire du bœuf contaminé , dernier scandale en date illustrant, dans le pays, l’absence d’un système centralisé de contrôle des risques sanitaires.
Mi-juillet, la préfecture de Fukushima annonçait que du césium avait été détecté dans des dizaines de bœufs. La psychose a gagné le pays à la vitesse de l’instantanéité qu’impose l’ère numérique. Car, au final, de la viande impropre de 3000 bovidés (nourris avec une paille de riz contaminée à hauteur de 39 000 à 500 000 becquerels par kilo) avait été consommée depuis mars dans tout le pays, jusque dans des hôpitaux et cantines scolaires.
Au début, le gouvernement japonais parlait de quelques kilos contaminés par du césium radioactif. Ensuite, nous étions rapidement passés de 8 bovins à 11, 40, 110 puis 657. Aujourd’hui nous en sommes à 2’900!!! Le gouvernement a annoncé qu’il allait acheter ces bêtes pour éviter que de la viande radioactive continue d’être servie dans les assiettes des Japonais. Cette histoire montre à quel point la contamination radioactive par la «pluie noire» (Black Rain) s’est étendue à travers le Japon (lire la traduction de l’interview Dr. Arnie Gundersen).
L’Agence nucléaire japonaise a dévoilé la direction des nuages radioactifs après la catastrophe. Dès le 12 mars, ces nuages nommés «Black Rain» (Pluie Noire) se sont d’abord dirigés vers le sud pour partir ensuite partir vers le nord. L’Agence va également informer la population de la direction des nuages radioactifs actuels.
Les Japonais découvrent maintenant que divers poissons contaminés ont été pêchés au large de leurs côtes depuis mars, en neuf points précis de zones maritimes situées entre les préfectures de Fukushima et de Chiba (au nord de Tokyo). Est concerné le konago, un petit poisson de surface dont raffolent les gourmets nippons, et dont les ventes chutent. Entre mer et terre, le fait est, beaucoup de Japonais, inquiets ou stoïques, ne savent plus trop quoi consommer en toute sérénité.
D’autant que ces jours-ci, de nouvelles révélations ne rassurent guère. Dans la ville de Fukushima (à 60 km de la centrale nucléaire), le Citizen’s Radioactivity Measuring Station (CRMS), un laboratoire de mesure de la radioactivité, a découvert que du lait servi entre mars et juin dans des écoles de la ville était contaminé. «A l’irradiation externe, de plusieurs millisieverts à l’année pour les gens de Fukushima, s’ajoute le risque de l’ingestion de denrées contaminées du fait des dépôts de substances radioactives, explique Wataru Iwata, le responsable du CRMS. Les autorités n’ont édicté des restrictions de consommation sur la préfecture que vers le 20 mars. Les populations ont donc consommé plus d’une semaine après l’accident nucléaire des denrées très contaminées et ont pu recevoir des doses importantes.» Et de rappeler, pour l’exemple, qu’une semaine après l’accident, à 40 km de la centrale, «les végétaux étaient tellement contaminés que la limite annuelle chez un enfant pouvait être atteinte en consommant à peine 5 grammes de végétaux».
Limiter les risques de contamination alimentaire est une «une priorité de l’Etat», assure Yukio Edano, porte-parole du gouvernement – en toute logique, les enjeux économiques étant aussi colossaux. Mais la découverte il y a quelques semaines, à l’aéroport de Roissy, de 162 kilos de feuilles de thé vert contaminé issu de plantations de la préfecture de Shizuoka (à 270 km de la centrale nucléaire) a jeté un doute sur la qualité des tests menés dans l’Archipel. Peter Burns, ex-responsable du Comité scientifique de l’ONU sur les effets des radiations atomiques (basé à Londres), estime pour sa part que «le Japon semble dépourvu d’un programme étendu et complet de test des aliments.
Mon impression? Celle d’une surveillance désorganisée.» Depuis mi-mars, près de 5000 produits alimentaires, issus de 22 préfectures, ont été testés positifs à la radioactivité. L’autre urgence, pour le Japon, est de restaurer au plus vite la confiance dans sa chaîne des aliments
Naoto Kan de plus en plus discrédité
La popularité du premier ministre japonais est en chute libre
Si la radioactivité n’est pas près de retomber dans la préfecture de Fukushima, la cote d’opinions favorables du premier ministre japonais Naoto Kan, chef du Parti démocrate (centriste), est quant à elle en chute libre depuis mars. Autrefois très populaire, Naoto Kan semble être le bouc émissaire désigné de la grave crise politique (et morale) qui affaiblit aujourd’hui l’Archipel, touché les 11 et 12 mars dernier par un triple cataclysme, l’un des pires de son histoire: un séisme de magnitude 9, un tsunami meurtrier (au bilan de 21 000 morts controversé) et un accident nucléaire de niveau 7. A Tokyo, les deux Chambres du parlement sont paralysées par les joutes puériles entre partis – alors que près de 100 000 sinistrés et évacués attendent en priant l’aide de l’Etat. Pour ne rien arranger, Naoto Kan a annoncé sa démission en juin. Sauf qu’il est toujours là! Le Japon s’en trouve affaibli diplomatiquement. La visite que Kan devait entreprendre à Washington en septembre semble annulée. Et celle, attendue, du président sud-coréen Lee Myung-bak au Japon, a été suspendue. Américains et Coréens disent ne pas vouloir perdre de temps à «rencontrer un homme sur le départ».