Quarante ans sans Bretton Woods; de la fin d’un monde à la disparition d’un autre Par Paul Dembinski
15 août 2011: quarantième anniversaire de la décision par Nixon de mettre fin à l’arrimage de l’or au dollar. Retour sur les conséquences de ce tournant historique Ce 15 août marque l’anniversaire de la fin des changes fixes, décidée en 1971. Jugée à l’aune de la crise actuelle, cette rupture apparaît comme le début de décennies de croissance à crédit, dont la planète paie aujourd’hui le prix
Il y a quarante ans, le président Richard Nixon suspendait la convertibilité du dollar en or. Ce faisant, il retirait la pierre angulaire sur laquelle reposait l’ordre monétaire négocié à Bretton Woods en 1944 et dont le Fonds monétaire international avait été instauré en gardien. C’est ainsi que prenait fin un quart de siècle d’un régime dit de «changes fixes», avec son taux de conversion stable dollar-or pour étalon et pivot. Initialement Nixon avait pensé «suspendre» temporairement la convertibilité or du dollar. Il aura fallu cinq autres années pour que les Accords de la Jamaïque pérennisent le provisoire. Ces accords ont privé le Fonds monétaire international de sa raison d’être, en faisant une institution en quête de mission.
PLUS/MOINS DE DEMBINSKI EN SUIVANT :
Alors que nous fêtons ces jours-ci quarante ans de fluctuations monétaires parfois chaotiques, l’économie américaine se trouve une fois de plus au cœur de la tourmente. Pour la majorité des opérateurs financiers, 1971 reste d’autant plus distante que seules de rares facultés rendent obligatoire l’enseignement de l’histoire économique. Vu a posteriori, cet anniversaire marque indiscutablement une rupture dans le mode de fonctionnement de l’économie mondiale. Tournant la page des «Trente Glorieuses» de Jean Fourastié, les trois décennies qui ont suivi se sont achevées sous nos yeux avec la crise qui a commencé il y a quatre ans déjà, en 2007, aussi au mois d’août. Elles pourraient marquer l’Histoire comme les «Trente Euphoriques de la finance» parce qu’elles ont été caractérisées par la montée en puissance sans précédent de la logique, des techniques et des activités financières.
D’une rupture à l’autre, d’un changement de logique à l’autre, d’une génération à une autre, deux réflexions s’imposent. La première porte sur le rapport entre le monétaire et l’économique.
Les architectes du «Système de Bretton Woods» voulaient mettre au point un dispositif qui empêcherait l’apparition d’une spirale «dévaluations compétitives – protectionnisme» à l’instar de celle qui a eu raison des échanges internationaux dans les années 1930. Ils ont donné la priorité au libre-échange commercial, en enserrant le monétaire dans le carcan étroit de l’étalon «dollar-or». Les variations monétaires ne pouvaient plus mettre en danger les échanges commerciaux, porteurs de croissance partagée, de développement et donc de paix. La monnaie était limitée à un moyen de paiement. Dès le milieu des années 1960, cette belle architecture institutionnelle a commencé à trembler sous l’effet de l’émancipation progressive des flux de capitaux, phénomènes que ses architectes n’avaient point imaginés.
En 1971, en abrogeant la convertibilité du dollar en or, Nixon pense mettre fin à la spéculation et au jeu d’arbitrage dollar-or afin de redonner de la marge de manœuvre économique aux Etats-Unis. En fait, on le voit aujourd’hui clairement, il a plié face à la logique financière. Et ouvert la voie à la domination de la «devise actif financier» sur la «devise moyen de paiement».
Quarante ans après, les volumes traités sur les marchés de change en dix jours suffiraient aux besoins des transactions commerciales de toute l’année. Du 11 janvier au 31 décembre, ces marchés travaillent donc pour les besoins des stratégies de couverture et d’investissement.
La comparaison des discours des deux présidents américains, à quarante ans d’intervalle, donne également à réfléchir. C’est pour reprendre en main la politique économique intérieure que Nixon sacrifie l’engagement international (explicite) de l’Amérique et retire la pierre angulaire de l’édifice monétaire mondial. Le 8 août dernier, Barack Obama, a, lui, plié et accusé le coup face au retrait de sa note «AAA» – par une société privée – à la plus grande puissance mondiale.
Nixon était dans un rôle éminemment proactif, le politique prétendant reprendre le contrôle de la politique économique; Obama reste foncièrement réactif devant le diktat du financier. Le premier justifiait son acte par la nécessité de résorber les séquelles économiques de la guerre du Vietnam; le second se justifie face aux marchés. Le premier laisse filer l’or et pense ainsi permettre aux Etats-Unis de relancer la croissance, de créer des emplois – avec un chômage de 6% à peine – tout en jugulant l’inflation. Le second, face à un chômage de 10%, cherche aussi à relancer la croissance mais pour rembourser et juguler l’endettement. En suspendant la convertibilité, Nixon pensait protéger le stock d’or américain – un acquis du passé et une des assises de la puissance. Obama, en entérinant l’abaissement de la note «AAA», reconnaît l’avenir incertain de l’économie américaine et, pour le protéger, brade le dollar.
Y a-t-il une relation entre ces deux événements, distants de quarante ans? À partir du début des années 1970, les déficits dits «jumeaux» américains se creusent: celui des finances publiques et celui du commerce. Aujourd’hui leur profondeur cumulée est abyssale, au point de constituer la ligne de fracture de l’économie mondiale.
Les «Trentes Euphoriques de la finance», ont également nourri des décennies de crédit facile et bon marché: un oreiller de paresse pour les politiques qui ont préféré financer à crédit les subventions de tout ordre visant à étouffer l’émiettement de la société. Un oreiller de paresse pour les entreprises qui ont financé à crédit les rentabilités croissantes de leurs fonds propres. Un euphorisant pour de nombreux ménages. Et, enfin, un eldorado sans fin pour les alchimistes de la finance. C’est ainsi que s’est installé un régime généralisé de croissance à crédit. Dans la zone euro. Comme aux Etats-Unis.
En 1971, Nixon a ouvert, sans le savoir les vannes du crédit. Il nous revient aujourd’hui de resserrer les robinets. Et, à défaut de pouvoir tout écoper, de dissoudre cette dette avec du solvant inflationniste. A force de s’offrir à crédit, quarante ans durant, des lendemains qui promettaient de chanter, le présent finit un jour par décevoir.
Paul Dembinski est secrétaire général de l’observatoire de la finance suisse. Il a étudié les sciences politiques à l’université de Genève où il a obtenu un doctorat en économie. Dès 1979, il enseigne à l’université de Genève, puis devient professeur à la faculté des sciences économiques et sociales de l’université de Fribourg. En 1989, il fonde Eco’diagnostic, un institut privé de recherche et d’expertises socio-économiques.
source le temps aout11
une petite décision pour d’énormes conséquences
Et si c’était la fin du régime de change flexibiliste ? Le retour à un système monétaire fixiste pourrait bien arranger tous les Etats : même la Chine, qui pourrait a priori bénéficier du désamour des marchés pour le dollar (vu que le yuan est mieux placé que l’euro pour prendre la place), se rallie au vieux projet de Keynes de monnaie de réserve mondiale : http://fr.euronews.net/2011/08/06/la-chine-reclame-une-nouvelle-monnaie-de-reserve-mondiale/