Art de la guerre monétaire et économique

1971-2011 Mêmes causes, mêmes catastrophes? Par Bruno Colmant

1971-2011 Mêmes causes, mêmes catastrophes? Par Bruno Colmant

La dégradation de la note des Etats-Unis est un message exactement comparable à l’abandon des Accords de Bretton Woods en 1971: aujourd’hui, la dette américaine n’est plus autant certaine qu’elle ne l’était.

 

En économie, l’histoire ne se répète jamais. Pourtant, les similitudes de la conjoncture actuelle avec les années septante deviennent extrêmement troublantes.

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Il y a près de 40 ans, en août 1971, le président Nixon mettait fin aux Accords de Bretton Woods, en suspendant la convertibilité en or du dollar. Pendant 27 ans, ces accords avaient formulé des parités fixes entre l’or et les principales devises des pays développés. Ils avaient eu le mérite de discipliner l’endettement des États puisque les devises en circulation devaient être garanties par un stock d’or.

Dès que les accords furent démantelés, les États européens s’engouffrèrent dans une effrénée politique d’endettement public qui culmina, en Belgique, avec une dette publique égale à 140 % du PIB. Indirectement, la décision de Nixon autorisa donc les pays européens à accumuler des dettes publiques stratosphériques et à soutenir des modèles de transferts sociaux, eux-mêmes fondés sur l’endettement, qui hypothéqueraient leur croissance.

ll s’en est suivi une brutale dépréciation du dollar, une augmentation du prix des matières premières et une forte inflation, dont l’Europe mit près de 15 ans à venir à bout.

Leçon non retenue

Pourtant, la leçon de 1971 n’a pas été retenue: les récentes mesures américaines de création monétaire (les QE ou assouplissements monétaires) ressortissent à la même logique que la décision de 1971. Les Etats-Unis exportent leur excès d’endettement en dépréciant leur devise. Ceci s’effectue au détriment de la capacité d’exportation des autres pays. Dès les premiers signes de reprise de l’économie réelle, cette situation pourrait entraîner une inflation mondiale. D’ailleurs, la dégradation de la note des Etats-Unis est un message exactement comparable à l’abandon des Accords de Bretton Woods en 1971: aujourd’hui, la dette américaine n’est plus autant certaine qu’elle ne l’était.

Mais ce n’est pas tout. Depuis le début de la crise financière, les États occidentaux creusent leurs déficits et propulsent leurs dettes publiques à des sommets inconnus en temps de paix. Les États procèdent donc à une monétisation de la dette publique avec son corollaire de création de surliquidité.

Or, la création de monnaie ex-nihilo, (avec des billets qui ne deviennent que des créances sur d’autres billets), telle que mise en oeuvre par les banques centrales, n’est qu’une traite sur l’avenir, dont le remboursement deviendra incertain. C’est d’ailleurs intuitif: lorsque les rotatives à billets se mettent en route, l’argent vaut moins, ce qui revient à voir le pouvoir d’achat capturé par l’inflation. Mais contrairement aux années septante, ce ne sera pas une inflation entraînée par la demande interne de biens et services, mais une inflation suscitée par la création monétaire

Comment d’ailleurs imaginer que la différence entre les injections monétaires et les réalités de l’économie de la production ne conduisent à une inflation qui risque d’être autant subite qu’elle sera forte?

Peut-être faut-il même voir l’inflation comme la meilleure sortie de crise. Une inflation de l’ordre de 3 % à 6 % devrait être prévisible afin d’éviter qu’elle ne dérape en hyperinflation. L’ancien économiste en chef du FMI et universitaire américain, Kenneth Rogoff, plaide désormais ouvertement pour une inflation de l’ordre de 5 %.

L’histoire instruit d’ailleurs que les liquidités qui sont créées pendant les crises ne sont jamais asséchées lorsque la situation est stabilisée. La raison en est que l’absorption de ces liquidités doit aller de pair avec une contraction des transferts sociaux. Cela risque de susciter des troubles publics (grèves, etc.). L’inflation est donc est un substitut à l’évitement de tensions sociales.

Ceci étant, le scénario inflationniste ne fait pas l’unanimité. Certains économistes isolés agitent encore le spectre de la déflation. Au reste, l’annonce de l’inflation sera toujours démentie par les pouvoirs publics: il faut éviter que les agents économiques ne l’alimentent par leurs anticipations.

Bien sûr, il est indéniable que divers éléments plaident pour une baisse des prix plutôt que pour le spectre inflationniste. Ces facteurs consistent en le vieillissement de la population, la faible productivité, les difficultés budgétaires étatiques et l’absence de conflits armés majeurs. De plus, on observe que la crise résulte d’un choc négatif de croissance dans des pays développés à taux d’épargne faible, ce qui ne plaide pas en faveur d’un scénario d’inflation.

Pourtant, nous esquissons d’autres facteurs qui contribuent à l’inflation: l’abandon des systèmes monétaires métalliques (en 1971) et l’embrasement des politiques de création de monnaie dématérialisée, la course au maintien de la consommation intérieure et la raréfaction des matières premières.

 Le vieillissement de la population est, par ailleurs, un facteur d’atténuation de la consommation, mais il est possible que la création monétaire, essentiellement centrée dans les économies développées et vieillissantes, conduise justement à en déprécier le pouvoir d’achat par l’inflation.

Nouvelles bulles?

Pour ceux qui n’en sont toujours pas convaincus, il suffit de constater que la crise bancaire de 2008 a été suscitée par des taux d’intérêts trop bas et que depuis, on les a encore baissés!

La sortie de crise consiste à démultiplier ses propres causes, c’est-à-dire à accélérer davantage la création monétaire. Le système financier est donc davantage en risque qu’au début de la crise, mais cette fois sans moyens de défense puisque les taux d’intérêt sont presque à zéro. De nouvelles bulles, sans doute bien plus volumineuses que celles de 2001 et de 2008, sont peut-être en formation.

En conclusion, depuis que les banques centrales ont décidé d’appliquer des moyens non conventionnels, l’incendie inflationniste est inéluctable. Mais il ne faut pas être naïf: ce n’est pas une coïncidence si le président de la Banque Mondiale a récemment suggéré de revenir à un système d’étalon-or, comme avant 1971, pour stabiliser notamment les facteurs d’inflation. Ce n’est pas non plus un hasard si le cours de l’or est le baromètre instantané des craintes monétaires.

Nous nous en tiendrons à l’intuition que l’absence de croissance économique dans des pays caractérisés par des pressions fiscales et des endettements publics excessifs, combinée à une création et à des pratiques monétaires qui auraient été caractérisées comme hérétiques par les Pères fondateurs de l’euro, conduiront à une dépréciation monétaire inéluctable.

 Les prochains trimestres révéleront donc nos réalités économiques.

Par Bruno Colmant professeur à la Vlerick Management School et à l’UCL. Membre de l’Académie Royale de Belgique/L’Echo aout11

1 réponse »

  1. même causes même effets, le contraire serait étonnant
    l’inflation fait déjà mal dans les pays pauvre, ça devrait pas tarder arriver dans les pays « riches »

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