Commentaire de Marché

Le capitalisme est-il condamné ? par Nouriel Roubini

Le capitalisme est-il condamné ? par Nouriel Roubini

Ainsi que le montrent la volatilité massive de la Bourse et la correction des valeurs boursières qui frappent les marchés financiers mondiaux, les économies avancées sont au bord d’une récession à double creux. Une crise financière et économique due à un endettement trop important du secteur privé a conduit à un réendettement massif du secteur public afin d’éviter une deuxième Grande dépression. Mais de ce fait, le redémarrage qui a suivi a été anémique dans la plupart des pays avancés.

 

La concomitance d’un prix élevé du pétrole et des matières premières, des troubles au Moyen-Orient, du tremblement de terre et du tsunami au Japon, de la crise de la dette dans la zone euro et des problèmes budgétaires américains (avec maintenant la baisse de sa notation par les agences spécialisées) ont provoqué une brusque hausse de l’aversion aux risques. Sur le plan économique, les USA, la zone euro et le Royaume-Uni tournent au ralenti. Même les pays émergents à croissance rapide (la Chine, certains autres pays d’Asie et d’Amérique latine) et les pays dont l’économie est basée sur l’exportation (l’Allemagne et l’Australie, pays riche en ressources naturelles) vers les marchés émergents connaissent eux aussi un fort ralentissement. 

Jusqu’à l’année dernière, les responsables politiques parvenaient toujours à proposer une solution pour regonfler le prix des actifs et relancer l’économie. Des plans de stimulation budgétaire, des taux d’intérêt proches de zéro, deux périodes de relâchement monétaire, le confinement de la dette, des milliers de dollars dépensés dans des plans de sauvetage et des provisions de liquidité pour les banques et les institutions financières, les gouvernements ont tout essayé et les voici maintenant démunis.

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 Dans la zone euro et au Royaume-Uni la politique budgétaire freine la croissance. Même aux USA, les autorités locales et le gouvernement fédéral réduisent les dépenses et les transferts budgétaires. Et très prochainement ils augmenteront les impôts. 

Une deuxième vague de sauvetage des banques est politiquement inacceptable et économiquement irréalisable : la plupart des pays, notamment européens, connaissent déjà de telles difficultés qu’ils ne peuvent se permettre de financer des plans de secours supplémentaires : leur risque souverain alimente les inquiétudes quant à la santé des banques européennes qui détiennent la plus grande partie des titres d’Etat dont la valeur n’est pas assurée.

 De même, la politique monétaire ne peut être d’un grand secours. Le recours au relâchement monétaire est limité par une inflation qui dépasse les prévisions dans la zone euro et au Royaume-Uni. La Réserve fédérale américaine va probablement entamer une troisième période de relâchement monétaire (QE3), mais ce sera trop peu et trop tard. L’année dernière les 600 milliards de dollars de la deuxième période de relâchement monétaire (QE2) et les 1000 milliards de baisse d’impôt et de transferts budgétaires n’ont permis d’atteindre qu’une croissance de 3% pendant un trimestre. Elle s’est ensuite effondrée, passant sous la barre des 1% au cours du premier semestre de cette année. La troisième période de relâchement monétaire sera bien plus timide et bien moins performante pour regonfler le prix des actifs et restaurer la croissance. 

Pour les pays avancés, une dévaluation n’est  guère envisageable : tous souhaiteraient dévaluer leur devise et rééquilibrer leur balance commerciale pour restaurer la croissance, mais ils ne peuvent faire cela tous en même temps. S’appuyer sur les taux de change pour rééquilibrer la balance commerciale est un jeu à somme nulle. Une guerre des devises semble se profiler ; le Japon et la Suisse bataillent déjà pour pousser le taux de change de leur devise à la baisse. D’autres pays vont bientôt les suivre. 

Dans la zone euro l’Italie et l’Espagne risquent de ne plus pouvoir accéder aux marchés, les pressions financières étant à la hausse en France également. Mais l’Italie et l’Espagne sont à la fois trop grandes pour faire faillite et trop grandes pour bénéficier d’un plan de secours. Pour l’instant, la Banque centrale européenne va acheter une partie de leurs obligations en attendant l’aide du nouveau Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais si l’Italie ou l’Espagne ne peuvent plus accéder aux marchés, les 440 milliards d’euro de trésor de guerre du FESF pourraient être épuisés dès la fin de cette année ou au début de l’année prochaine. 

Sauf si le budget du FESF est multiplié par trois – une mesure à laquelle s’oppose l’Allemagne – la seule solution sera d’imposer une restructuration en ordre de la dette italienne et/ou espagnole, à l’image de ce qui s’est passé pour la Grèce. Suivra une restructuration sous contrainte de la dette à risque des banques insolvables. Aussi, bien que le processus de désendettement ait à peine commencé, une réduction de dette sera nécessaire pour les pays dont la croissance reste au point mort, ou incapables de résoudre par eux-mêmes leurs problèmes d’endettement. 

Il semble donc que Karl Marx avait au moins partiellement raison en disant que la mondialisation et l’intermédiation financière risquaient d’échapper à tout contrôle et que la redistribution des revenus et de la richesse tirée du travail au profit du capital pouvait conduire à l’autodestruction du capitalisme (même si son idée que le socialisme allait donner de meilleurs résultats s’est révélée inexacte). Les entreprises suppriment des postes de travail en raison de l’insuffisance de la demande finale, mais cela diminue les revenus du travail, creuse les inégalités et contribue à réduire la demande finale.

 Les récentes manifestations du Moyen-Orient à Israël en passant par le Royaume-Uni et la montée du mécontentement en Chine – et celles à venir dans d’autres pays avancés ou émergents – ont une origine commune : la hausse de la pauvreté des inégalités et du chômage et l’absence d’espoir. Même les classes moyennes un peu partout sont affectées par la baisse des revenus, la hausse du chômage et les difficultés économiques. 

Le bon fonctionnement d’une économie de marché suppose un juste équilibre entre les marchés et les biens publics. Autrement dit il faudrait s’éloigner du modèle anglo-saxon de laisser-faire et de « l’économie vaudou » (baisse impôt et stimulation de l’offre), ainsi que du modèle européen d’Etat-providence qui creuse les déficits. Ils ne conviennent plus, ni l’un ni l’autre.

 Le bon équilibre passe maintenant par la création d’emplois obtenue notamment par une stimulation budgétaire supplémentaire en faveur de l’investissement dans des infrastructures productives. Il y faudra aussi une fiscalité plus progressive, davantage de stimulation budgétaire à court terme avec une discipline budgétaire à moyen et long terme, l’aide des autorités monétaires en faveur des prêteurs de dernier ressort pour éviter de ruineuses paniques bancaires, une réduction du fardeau de la dette pour les ménages insolvables et les autres agents économiques en difficulté, une supervision et une réglementation plus stricte d’un système économique qui a tendance à échapper à tout contrôle et le fractionnement des banques et des trusts oligarchiques en établissements de taille plus modeste.

 Au bout d’un certain temps les pays avancés devront investir dans le capital humain, la formation professionnelle et la protection sociale, de manière à augmenter la productivité et à permettre aux travailleurs d’être compétitifs sur le marché du travail, de faire preuve de flexibilité et de réussir dans une économie mondialisée. L’alternative, comme dans les années 1930, c’est la prolongation de la stagnation, la dépression économique, des guerres des devises et des guerres commerciales, le contrôle des capitaux, des crises financières, le défaut des Etats et une instabilité sociale et politique de grande ampleur. 

Nouriel Roubini est président de Roubini Global Economics et professeur d’économie à l’université de New-York (Stern School of Business, NYU). Il est également co-auteur d’un livre intitulé Crisis Economics.

Project Syndicate, aout 2011.Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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