L’art de déchiffrer les signes Par Beat Kappeler
Mais que se passe-t-il? Comment comprendre la politique et les politiciens? Ce besoin de «lire» les événements anime en ce moment des citoyens, des journalistes, les autres politiciens, des économistes et des investisseurs.
Ces temps plutôt turbulents renforcent l’urgence de comprendre. Alors, quels sont les signes qui permettent d’y voir plus clair? La grande rencontre entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Paris, récemment? Le voyage du vice-président Joe Biden en Chine, en ce moment? Sans doute pas, car derrière ce qu’on annonce comme des signes, il n’y a pas davantage, en fait: le but annoncé ne cache rien. Dans les deux cas, on cherche à consolider la confiance des marchés dans l’euro, on veut calmer les Chinois, grands créanciers des Etats-Unis. Tout est clair.
En revanche, il vaut la peine d’être attentif aux petits signes non annoncés comme tels: ce sont ceux-là qui importent le plus souvent. Un petit signe ne suffit pas toujours en lui-même, il faut le placer dans une séquence pour comprendre. Des signes dignes d’être retenus, j’en trouve plusieurs en ce moment, et dans les deux domaines mentionnés plus haut, celui de l’euro et celui de la dette américaine.
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Ce vendredi, le président de la banque centrale américaine, Ben Bernanke, a pris la parole à Jackson Hole, comme à chaque fin de l’été. Toute la fine fleur des acteurs monétaires était présente: autres banquiers centraux, politiciens, scientifiques, représentants des grandes banques. Mais, cette année, aucun représentant chinois de haut rang! On boude. On n’écoute pas. On ne négocie pas. On ne se fait même pas prier. Cela me rappelle un autre signe advenu lors d’un récent voyage en Chine du ministre des Finances américain, Timothy Geithner. Quand celui-ci, dans un discours devant des étudiants, assurait qu’il maintiendrait un dollar fort, l’auditoire a éclaté d’un rire franc et spontané.
D’autres signes, plus ciblés, sont les interventions en nombre croissant de hauts fonctionnaires des finances ou de la banque centrale chinoise dans le Wall Street Journal ou le Financial Times, qui tous pointent du doigt la légèreté de l’endettement américain. De la part d’un pays bien ordonné et centralisé comme la Chine, de telles prises de positions n’obéissent pas à un hasard aveugle.
Tout cela ne donne pas encore des contours très déterminés de ce qui va se passer. Mais la Chine n’est pas dupe de la situation, c’est le moins que l’on puisse dire.
En Europe, l’euro continue sa saga d’été. Le grand événement fut la conférence de juillet sur une nouvelle étape de l’aide à la Grèce, de concert avec la décision de la Banque centrale européenne de racheter des obligations meurtries de l’Italie et de l’Espagne. Mais il y a plus. Comme on a réduit le taux d’intérêt de la Grèce envers ses partenaires européens, l’Irlande réussit à réduire les intérêts à payer de sa part, ce qu’elle tentait de faire depuis un certain temps. Ensuite, comme les dispositions du paquet grec dispensent les pays garants de leur part si eux-mêmes doivent payer des intérêts plus élevés que la Grèce, l’Italie et l’Espagne pourraient arrêter de soutenir la Grèce. Affaire à suivre.
Et puis, on a appris que la Finlande avait obtenu un arrangement: la Grèce lui a offert des garanties spéciales pour sa part dans l’aide. Du coup, l’Autriche, les Pays-Bas, la Slovénie et la Slovaquie ont demandé la même chose. Et, cette semaine encore, le président allemand, Christian Wulff, fustigeait en des termes assez virulents les projets de soutiens futurs dans la zone euro. Là, ce ne sont pas des petits signes insignifiants. Ils sont robustes et pointent tous dans la même direction.
Les opérateurs sur les marchés des obligations et des devises sont alors excusés s’ils ne croient pas aux communiqués tonitruants ou grandiloquents des conférences ou des rencontres au sommet. Les petits signes, eux, livrent un contexte, je dirais même un texte plus cohérent. Ne nous privons pas de les lire.
source le temps aout11