Art de la guerre monétaire et économique

Le faux nez et les moustaches de l’eurobond Par Bruno Bertez

  Le faux nez et les moustaches de l’eurobond Par Bruno Bertez

L’euro est fondamentalement vicié car il repose sur une erreur théorique, à savoir que l’on pourrait, par une monnaie commune, forcer les pays européens à la convergence, puis à l’intégration politique. Il repose sur l’erreur, très classique chez les hommes politiques et les Administrations, qui consiste à croire que l’on peut mettre la charrue abstraite avant les bœufs concrets. 

  L’euro marche sur la tête en quelque sorte. Il est le produit d’une idéologie politique idiote qui croit que les signes, les abstractions,  gouvernent et produisent le réel. On veut refaire le même mauvais coup avec l’eurobond, quasi monnaie européenne, que celui que l’on a fait avec l’euro, monnaie européenne. L’abstraction et  la technicité sont suffisamment complexes pour que les citoyens ne comprennent pas.

A partir de l’eurobond, on veut, sans le dire  comme toujours, faire évoluer le système européen aussi bien au plan politique qu’au plan économique et monétaire.

On veut se rapprocher des systèmes anglo-saxons dans lesquels la Banque Centrale peut indirectement monétiser la dette des gouvernements grâce au tourniquet des banques qui souscrivent aux valeurs du Trésor et les revendent à la Banque Centrale contre du cash ou des réserves.

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Selon les nouveaux théoriciens de la MMT (Modern Monetary Theory) et le Chartalisme, l’endettement des gouvernements des pays qui disposent du pouvoir d’émission monétaire ne connaît aucune limite. On connait l’antienne, la propagande,  selon laquelle les Etats-Unis ne peuvent faire défaut puisqu’ils  sont débiteurs en dollars et qu’ils peuvent créer à partir de rien autant de dollars qu’ils le veulent pour payer leurs dettes.  On voudrait faire évoluer le système européen dans cette direction et il est évident, bien que soigneusement dissimulé, que la création d’eurobonds est un premier pas. Tout comme le ballon d’essai presque passé inaperçu lancé par Trichet lorsqu’il a réclamé la création d’un Trésor européen, lequel constituerait le complément de l’eurobond et ferait évoluer vers l’intégration politique.

Jean-Claude Trichet et Ben Bernanke, les présidents des banques centrales européennes et américaine, se sont retrouvés dans le Wyoming pour le 35e symposium annuel des autorités monétaires Jackson Hole, 26 août 2011 (Reed Saxon/AP)

«J’ai confiance dans le fait que nos collègues européens ont totalement mesuré ce qui est en jeu dans les problèmes difficiles auxquels ils font face actuellement et que, au fil du temps, ils prendront toutes les mesures nécessaires et appropriées pour les régler efficacement et entièrement.»

Ben Bernanke  Jackson Hole, 26 août 2011

Les analystes qui critiquent l’eurobond ne sont pas convaincants parce qu’ils se placent dans une vision statique : ils pèsent les avantages et les inconvénients, calculent les coûts, font des simulations. Ce faisant, ils tombent dans le piège qui leur est tendu.

La stratégie des tenants des Pouvoirs doit être appréciée en dynamique. Pour vous faire comprendre, nous prendrons un exemple qui montre qu’une décision en appelle une autre. Quand la BCE a pris, lors de la crise, des mesures non-conventionnelles pour injecter des liquidités, elle a mis le doigt dans un engrenage qui conduit maintenant à acheter des obligations souveraines junks, pourries. Elle le fait parce que, si elle ne le fait pas, les refinancements du système deviennent impossibles, de nombreuses banques européennes sautent et la BCE saute avec elle.  Le fait que la BCE ait chargée son bilan de junks, de papiers pourris, rend obligatoires les séquences suivantes  et fait que l’on nous dit qu’il n’y a pas d’autre alternative. C’est cela ou le déluge.

La manipulation est là, il s’agit, mine de rien, de rendre inéluctable les étapes suivantes.

Dans le cas des eurobonds, il est clair que l’on n’en comprend la portée qu’en replaçant le dispositif dans une stratégie. Or, cette stratégie est soigneusement cachée.

Ce ne sont pas les malheureux partis de gauche, syndicats et autres, qui vont se charger de décortiquer ces dispositifs, ils sont inflationnistes dans l’âme et plus il y a de possibilités de laxisme, plus ils sont satisfaits. Quant à la droite, elle est toujours contente de délocaliser la souveraineté française, pensant que cela met le pays et surtout ses intérêts, à l’abri de dérives sociales difficilement contrôlables autrement.

Derrière l’économie, la finance et la monnaie, il y a toujours de la politique.

Dans notre analyse dynamique, nous partons de l ’idée suivante.

L’eurobond est un artifice, un faux nez et des moustaches, pour faire en sorte que les pays qui n’ont plus accès au marché du refinancement faute de solvabilité réelle retrouvent la possibilité d’accéder à ce marché.

Le taux d’intérêt de l’eurobond est censé être plus bas que le taux auquel ces pays pourraient s’endetter en son absence. Ces pays retrouveraient de nouvelles possibilités de continuer à accumuler de la dette. Les signaux, les feux rouges, les limites à l’excès seraient supprimées.  Ce serait le free-lunch généralisé. Avec l’eurobond, on rase gratis.

On nous dit qu’un nouvel aréopage européen remplacerait les marchés et surveillerait, contrôlerait, bref mettrait des freins aux déficits et aux émissions de dettes. Qui croit cela ?  N’a-t-on pas observé la faillite des statistiques d’Eurostat. N’a-t-on pas l’expérience historique de l’incapacité des organes européens à contrôler et à faire respecter les critères de Maastricht.  N’a-t-on pas l’exemple des tricheries et des mensonges des PIIGS ? N a-t-on pas conscience du fait que,  dans certains pays, la gouvernance est déplorable, le respect des lois déficient, que les provinces sont incontrôlables, rongées par le clientélisme ? Plus près de nous, qui n’a en souvenir le fiasco répété des stress-tests et de l’effondrement de la crédibilité européenne sur cette question.

Mais le plus important n’est pas là. Si à la faveur de l’eurobond, certains pays réussissent à se financer et à se refinancer, qu’en sera-t-il de leurs banques sur l’interbancaire ? Est-ce que les marchés vont tomber dans le leurre de l’apparente solvabilité du pays, de sa solvabilité factice ? Bien sûr que non. On retrouvera le problème de la solvabilité des couples maudits banques/pays souverains au niveau des banques, c’est évident. Pourquoi ? Parce que ce sont elles qui souscrivent aux émissions de leurs souverains et parce qu’elles sont déjà en situation de « extend,  pretend and demand » généralisé.

Ces banques, au moindre coup de vent conjoncturel, social ou autre, se retrouveront sans accès au marché interbancaire. Hé Hé !! Qui deviendra intervenir ? Qui devra prendre le relais : la BCE voyons !

En dynamique, la question de la solvabilité réelle des souverains se retrouvera au niveau de leur système bancaire. Et il est évident que la BCE ne pourra pas dire non, elle devra intervenir. S’agissant d’eurobond, elle n’aura aucun argument pour ne pas intervenir. Ainsi, sera bouclé le Ponzi de la monétisation indirecte, institutionnalisée, de la dette souveraine en Europe. 

Chassez le naturel, il revient au galop, disait Aristote, chassez l’insolvabilité, elle revient en boomerang, en bombe atomique, affirmons-nous. A moins que ce ne soit en plus vicieux, plus pernicieux, un peu comme une taupe qui creuserait souterrainement le système.

Les conditions de solvabilité réelle ne sont pas réunies, mais on veut quand même faire comme si. Une fois de plus, on veut mettre la charrue avant les bœufs. On veut gagner du temps, on poursuit des objectifs inavoués, on cache la vérité, on trompe les citoyens en présentant des pseudo-solutions. 

Le mensonge ne paie pas. Ou plus exactement le mensonge ne paie plus quand le système est au bout du rouleau et que chacun, pays ou institution, lutte pour sa survie.

Le smart money, les Goldman Sachs et autres, connaissent la situation mieux que les politiques et quelquefois mieux que les banquiers centraux. Ils bénéficient d’informations privilégiées, dissymétriques.

Les triples A de l’hypothécaire américain ont volé en éclats, les fausses garanties des assureurs de dettes ont été démystifiées, les ratings souverains européens ont explosé, la crise est décapante, il est fini le temps où l’on pouvait durablement faire croire que les vessies étaient des lanternes, prétendre que l’eau des égouts est aussi claire que l’eau de source.

Une page nouvelle de l’histoire est tournée et il faudrait peut-être en prendre conscience. Cette page qui a été tournée, ce n’est pas celle de la crise proprement dite, c’est celle de la complicité et de la connivence. Nous sommes dans une phase de lutte pour échapper à la destruction, pour maintenir ses positions, pour conserver son statut. L’enjeu de la crise, c’était finalement : qui va payer.  Et dans le cadre de cet enjeu, il n’y a plus de place pour les accommodements.  Les responsables de la conduite des affaires ne comprennent pas que ce sur quoi leur action reposait, l’autorité, est battu en brèche par quelque chose d’autre, de beaucoup plus primaire, la force pure et simple.  Les marchés sont précisément le lieu, le champ de bataille ou s’affrontent ces forces. Prétendre pouvoir les vaincre sans réellement s’en donner les moyens, et c’est le cas avec l’eurobond, ne peut que conduire à un désastre plus grand. 

Les solutions au problème européen existent. Mais elles existent dans le réel, ici et maintenant, et non pas dans les rêves.

Bruno Bertez, le 26 août 2011

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