L’Empire prend sa revanche Par Beat Kappeler
Le ministre italien des Finances, Giulio Tremonti, s’est prosterné dans la poussière devant le trône impérial de Pékin pour demander quelques sous pour son pays affamé. Telle a été, peu ou prou, la nouvelle de lundi soir, et tout de suite, la bourse américaine s’est redressée spectaculairement. Il y a comme un tremblement de terre géopolitique dans l’air.
La scène qui s’est déroulée, un peu ajustée par mes soins, ressemble beaucoup à cette autre description, celle-ci inventée de toutes pièces, dans le livre récent de Ian Morris, Why the West rules: For now («Pourquoi l’Occident règne, pour l’instant»).
Là, la reine Victoria et le prince consort se pressent sur les quais de la Tamise pour recevoir humblement le grand suzerain et bienfaiteur de l’Angleterre, l’empereur de Chine. L’auteur et historien voulait ainsi illustrer la réalité d’il y a cent ans et qui était exactement l’inverse – les puissances de l’Ouest dominaient la Chine, occupaient ses ports, intervenaient dans ses affaires. L’horrible discours du dernier empereur d’Allemagne, Guillaume II, devant un corps expéditionnaire retentit encore: «Ne faites pas de prisonniers. Pendant mille ans aucun Chinois ne doit jeter un regard méprisant sur un Allemand». L’empereur demi-fou s’est trompé de neuf siècles car après cent ans, déjà un renversement du pouvoir se dessine. La chancelière Angela Merkel, au lieu d’insister constamment sur les droits de l’homme en Chine, ferait mieux de s’excuser pour les propos de Guillaume – cela cadrerait très bien avec la mode, ces dernières années, des excuses faciles et à répétition.
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Tout comme l’Occident à l’époque, la Chine nouvelle et puissante songe bien à ses intérêts et Tremonti sera probablement déçu. La Chine, comme certaines indications le laissent penser, n’achètera pas d’obligations de l’Etat italien très endetté et dont les taux d’intérêt montent constamment, malgré les interventions de la Banque centrale européenne. Non, comme pour la Grèce, les Chinois semblent plutôt s’intéresser à des achats directs de ports et d’entreprises. Ils visent ce qui compte, et non pas du papier gribouillé par une série interminable de zéros et qui promettent un remboursement incertain par les Etats européens.
Source Financial Times/Wall Street Journal
La Chine cherche des valeurs tangibles, en droit de propriété pleine et illimitée. L’Union européenne prépare une révision du droit régissant les investissements directs dans ses pays membres. La société faîtière des holdings et grandes multinationales suisses s’est agitée contre ce projet, car il veut renvoyer les différends d’abord devant toutes les instances nationales des pays membres avant qu’un investisseur lésé puisse invoquer une instance internationale ou une cour d’arbitrage privé. Les multinationales suisses auront peut-être un allié de poids car la Chine commencera à peser sur de telles prescriptions. Elle établit un réseau de participations et d’investissements directs qui l’amèneront tôt ou tard à intervenir pour protéger ses intérêts. Ces interventions pourraient même prendre un tour violent, car après avoir misé sur des moyens militaires défensifs, la Chine construit un certain nombre de porteavions. Ceci ne servira pas (encore) à bombarder le port de Trieste, mais une intervention musclée pour protéger ses avoirs et ses ressortissants déjà nombreux en Afrique est théoriquement possible à présent.
Mais reprenons l’événement de lundi passé. La nouvelle de l’entretien de Tremonti en Chine a fait mousser le cours de la Bourse en Amérique! L’enseignement à en retirer est triple:
Un, le monde économique et financier est fortement enchevêtré.
Deux, la situation financière de l’Occident est suffisamment désespérée pour qu’une petite rumeur retourne les cours de la bourse.
Trois: des décisions politiques changent la mise constamment. L’investisseur finit plutôt par s’abstenir devant ces revirements, ce que les politiciens lui reprochent comme étant «de la spéculation», ou «de la domination des marchés».
source le Temps SEP11
EN COMPLEMENT : Les BRICS marchandent leur aide à la zone euro
Les BRICS marchandent leur aide à la zone euro Tête de file des grands pays émergents, la Chine exige un plus grand accès pour ses exportations
Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, cinq pays émergents reconnus sous l’acronyme BRICS, veulent débattre d’un plan d’aide à la zone euro. Leurs ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales se réuniront le 22 septembre à Washington en marge de l’assemblée générale annuelle du Fonds monétaire international.
source Wall Street Journal
source Datastream
L’annonce de cette réunion a été faite à Brasilia et à New Delhi mardi, mais aucun détail n’a transpiré sur la forme de toute éventuelle aide. Hier la présidente brésilienne Dilma Rousseff a déclaré que «le Brésil sera toujours disposé à participer à un effort international» contre la crise, tout en soulignant qu’il n’y a pas de «solution internationale» et que cela dépend beaucoup des pays concernés. Les analystes spéculent sur l’achat des obligations émises par des pays de la zone euro. La Chine détient une réserve de 3200 milliards de dollars, la Russie 525 milliards, le Brésil 350 milliards et l’Inde 320 milliards.
Dilma Rousseff a encore estimé que «le problème du monde n’était pas un besoin d’argent […] mais le manque de décision politique pour investir». Elle a dit qu’une des possibilités d’aide «pourrait être, peut-être, un apport au Fonds monétaire» international.
Pékin mise déjà sur la zone euro pour diversifier ses investissements concentrés, pour l’heure, sur les titres américains. Des plus hauts responsables chinois se sont rendus à Athènes, à Madrid et à Lisbonne et ont promis leur aide sous diverses formes dont achats d’obligations et investissements dans les infrastructures et les activités industrielles. Selon le Financial Times de mercredi, Pékin n’a à ce jour pas investi en Europe de façon significative. En début de semaine, la presse a révélé que des contacts à haut niveau ont eu lieu entre responsables italiens et chinois.
«La Chine continuera d’augmenter ses investissements en Europe», a promis mercredi le premier ministre Wen Jiabao à l’ouverture de la session d’été du Forum économique mondial (WEF) à Dalian, sur la côte est chinoise. «Mais ces pays doivent d’abord mettre de l’ordre chez eux, a-t-il dit. Ils doivent maintenant prévenir la contagion de la crise de la dette.»
Wen Jiabao a par la suite fait un lien direct entre une aide de Pékin et l’obtention du statut d’«économie de marché» qui garantirait un plus grand accès au marché européen pour les produits chinois. Ce statut aiderait aussi la Chine à se défendre lors des enquêtes contre les exportateurs chinois lorsque ceux-ci sont accusés d’écouler leurs produits à des prix au-dessous de leur coût de production. Au moment de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la Chine s’était vu imposer le statut de «non-économie de marché» jusqu’en 2016.
«Si les pays de l’UE peuvent faire preuve de sincérité quelques années plus tôt, cela refléterait notre amitié», a-t-il déclaré. «J’espère qu’il y aura des avancées sur ce sujet lors du prochain sommet UE-Chine», a conclu le chef du gouvernement chinois
source AFP/le temps sep11
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