Commentaire de Marché

Détenir du cash et investir dans une valeur européenne par Dylan Grice – SG :

Détenir du cash et investir dans une valeur européenne (Dylan Grice – SG) :

   « Après les récents replis boursiers, les marchés de la zone euro reflètent plus exactement certains risques baissiers. Je me sens d’humeur légèrement plus haussière et je pense qu’il fait désormais sens à mes yeux d’analyser la situation sous un angle sélectif. Le potentiel de baisse, induit par ce qui pourrait encore se matérialiser comme le scénario du pire, est néanmoins encore trop important et trop effrayant pour que je puisse faire preuve d’un optimisme à tout crin », note Dylan Grice de SG Cross Asset Research.

« Je me souviens m’être demandé si l’arrogance des pays occidentaux était à l’origine de la bulle politique qui s’est développée simultanément à la bulle technologique à la fin des années 1990. »

« Les banquiers centraux étaient omniscients, le dividende de la paix a été invoqué pour justifier (jusqu’à un certain degré) le niveau stratosphérique des valorisations après l’effondrement de l’Empire soviétique et l’hypothèse selon laquelle les démocraties capitalistes fondées sur notre modèle occidental émergeraient à sa place s’est naturellement imposée, la relique barbare s’échangeait à moins de 300 dollars l’once et la zone euro parvenait enfin à mettre un point final à un conflit de plus de mille ans, couronnant son projet de cinquante ans d’une union plus étroite que jamais avec une nouvelle monnaie unique. »

« Mais une décennie, c’est long. Depuis la fin des années 1990, l’Amérique a subi la première attaque étrangère sur son territoire depuis Pearl Harbour, s’est laissée entraîner avec ses alliés dans des guerres bâclées au Moyen-Orient, a assisté à l’émergence des BRIC, Chine en tête, a participé pleinement avec les autres marchés développés à deux débâcles financières et à une troisième crise actuellement en cours. Par ailleurs, la relique barbare, qui s’échange à presque 2.000 dollars l’once, constitue à présent un véhicule similaire aux ETF short (ou à effet de levier) sur la crédibilité des banques centrales. »

« A la vue des dirigeants européens se disputant sur les mesures à prendre pour faire face à la perte de confiance dans les marchés obligataires, les cours boursiers commencent à refléter le scénario logique selon lequel la monnaie unique pourrait ne pas être le projet aussi viable que les responsables politiques européens ne l’avaient un jour imaginé. Il est tentant de conclure que le décrochage de l’Ouest a franchi une nouvelle étape. Mais est-ce bien le cas ? »

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« La valorisation l’emporte sur la vision, la réaction sur la prédiction. La première chose que nous savons c’est que la zone euro, contrairement aux Etats-Unis, est bon marché. Les niveaux des ratios PER de Shiller pour la France (Cac 40) et pour l’Allemagne (Dax) s’approchent de ceux qui prévalaient lors du krach de 2008 et du marché baissier des années 1970. De la même façon, le ratio VI/C (valeur intrinsèque/cours) est à présent supérieur à tous les niveaux atteints pendant la bulle technologique mais toutefois pas encore à ceux observés en 2008. »

« La deuxième chose que nous savons c’est qu’acheter des actifs bon marché est un bon moyen d’obtenir des rendements sur la durée. Un portefeuille américain long-short qui achète le décile d’actions le moins cher (sur la base d’un ratio cours/actif net) et qui vend à découvert le plus cher (montre que) les rendements long-short sont volatils et ne sont pas fiables à court terme mais, avec le temps, la surperformance est notable. »

« Force est de constater que, quel que soit le contexte macroéconomique, les investissements bon marché surperforment globalement ceux acquis au prix fort. En effet, Warren Buffett est allé jusqu’à dire que s’il connaissait les actions à venir de la Fed dans les deux prochaines années, cela n’influerait en rien sur ses décisions d’investissement. Si les événements sont tout aussi imprévisibles que leurs implications, en revanche, l’effet de retour à la moyenne des valorisations ne l’est pas. »

« Nous touchons là au coeur d’une importante question philosophique en matière d’investissement : quel bénéfice tirer d’une analyse macroéconomique ? La macroéconomie peut être utilisée pour découvrir des éventualités cachées en vue de nous prémunir contre des événements extrêmes. La macroéconomie peut également servir un autre domaine d’activité qui s’avère pertinent dans la situation actuelle de la zone euro : l’analyse des risques via l’exploration des scénarios. »

« Warren Buffett racontait que lorsqu’il cherchait, conjointement avec Charlie Munger, son propre successeur chez Berkshire, il ciblait quelqu’un capable non seulement de tirer les enseignements du passé mais également d’imaginer des scénarios totalement inédits. Et c’est à ce titre que l’analyse macroéconomique peut nous venir en aide : non dans la prévision des événements mais dans le développement d’une plus large vision des possibles. Il s’agit d’une manière de s’affranchir du problème de l’induction. »

« Que pourrait-il advenir de pire, selon nous ? Supposons que l’Italie ou l’Espagne soient happées par le tourbillon des événements, à l’instar de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, comme nous en avons ressenti la menace le mois dernier. Peut-être la situation politique en Italie va-t-elle se détériorer, peut-être l’Irlande va-t-elle faire défaut, peut-être la Grèce va-t-elle s’engager dans la voie de la révolution ou peut-être un commentaire capricieux, mal avisé d’un responsable politique européen influent va-t-il effrayer les marchés et les ébranler de nouveau. Nous ne savons pas lequel de ces événements aura lieu, s’il en est. Tout ce que nous savons, c’est que ces événements figurent parmi les nombreux catalyseurs plausibles d’une nouvelle dégradation de cette situation fragile. »

« Imaginons que l’un de ces catalyseurs soit déclenché, aboutissant à une accélération des sorties sur les titres des gouvernements et des banques de la zone euro, probablement en Italie et/ou en Espagne. Selon toute vraisemblance, les banques seront toutes chahutées de nouveau, malgré tout. Imaginons également que la panique soit encore alimentée par la peur que les banques italiennes et espagnoles, avec leurs bilans de plusieurs milliards d’euros, soient simplement trop grandes pour être sauvées par leurs gouvernements déjà soumis à de fortes pressions financières. »

« La crainte que ces derniers tentent toutefois d’agir accroît le sentiment de panique sur le marché vis-à-vis de ces emprunts d’Etat. Les marchés craignent que la pérennité de l’euro ne soit menacée. Tous les regards se tournent donc vers l’Allemagne et la France pour la mise en oeuvre de nouveaux plans de sauvetage. »

« Mais, à ce stade, tout le monde prend conscience que les banques françaises et allemandes sont elles-mêmes malmenées. Et, en France et en Allemagne au moins, ces banques auraient la priorité sur leurs consoeurs d’autres pays. Ainsi, les bilans de plusieurs milliards d’euros de nombreuses institutions financières européennes semblent trop importants pour être sauvés, même pour les principaux gouvernements de la zone euro. Des sorties se font jour également sur les marchés des emprunts d’Etat de ces principaux gouvernements, les investisseurs craignant que ces derniers ne tentent d’intervenir. »

« Pendant ce temps, en l’absence persistante de leadership politique cohérent en Europe, les occasions de prendre le pas sur le mouvement de panique seraient invariablement manquées, et c’est une, voire plusieurs banques européennes qui feraient ainsi défaut. C’est donc le système financier dans son intégralité qui s’effondrerait. La crise de 1931 liée à la faillite de la banque autrichienne Kredit Anstalt se rejouerait et la dépression qui s’ensuivrait serait trop forte pour les membres périphériques de la zone euro, épuisés par les mesures d’austérité, dont l’électorat succomberait aux chants des sirènes des populistes anti-européens, promettant de libérer l’Europe de la misère économique imposée par Berlin. L’euro s’éteindrait non pas dans un soupir, mais dans un terrible fracas. »

« Personnellement, je ne crois pas à ce scénario. Selon moi, la BCE fera tourner la planche à billets avant même que les marchés ne soient pris d’un grave accès de panique vis-à-vis de la solvabilité des pays formant le noyau dur de la zone euro, ou de leurs banques. Et quand je dis que je m’attends à ce que la BCE fasse tourner la planche à billets, je pense à un assouplissement quantitatif d’un genre effréné et non stérilisable, de ceux dont raffole Ben Bernanke. »

« Cette décision ne sera pas prise à la légère. En fait, je doute qu’elle ne soit prise avant que le marché ne menace la BCE sans autre forme de procès et ne la contraigne à choisir entre ses deux grands amours : l’euro ou sa croyance germanique dans une devise forte. L’un ou l’autre, il faut choisir, lui dira le marché, faisant monter la pression. Et je serais prêt à parier que la BCE en oubliera tous ses principes et tentera de convaincre les Allemands de la nécessité d’une pause pour la devise forte. Après tout, si la Banque nationale suisse, qui dispose d’une devise forte, peut faire tourner sa planche à billets à l’infini, la BCE peut en faire autant. »

« Je crois également qu’une telle opération serait la dernière étape de la stratégie des autorités consistant à renvoyer leurs problèmes aux calendes grecques. Faire tourner la planche à billets permet uniquement de gagner du temps. Je pense cependant que cela offrirait à la zone euro un répit suffisamment long pour que les investisseurs fassent preuve d’ouverture d’esprit et acceptent l’idée de détenir des actifs bon marché que la conjoncture aurait déversé sur le marché. Ne nous voilons pas la face, le vent de panique que pourrait provoquer la forte chute des actions forcerait la BCE, encline à l’idéologie allemande, à actionner, avec la même aisance que Ben Bernanke, la planche à billets. »

« En mai dernier, je m’étais livré à un plaidoyer pour le cash. Celui-ci reste valable car j’estime que la situation en Europe va empirer et que le point d’entrée sera encore moins risqué. Toutefois, sachant qu’une partie de ce scénario du pire se reflète désormais dans le marché, je libérerais une partie de ces avoirs en cash (ainsi si vous déteniez 25% de cash, je réduirais ces avoirs à 20% pour investir dans quelques valeurs sélectionnées de la zone euro). »

« Les marchés interbancaires donnent déjà des signes de détresse. La probabilité implicite d’un défaut total de la Grèce est évaluée à 100% par les marchés. La probabilité d’un défaut des valeurs financières européennes est estimée à 20%, un niveau qui me semble clairement élevé. Pour la première fois depuis plusieurs années, les valorisations commencent à sembler attrayantes et les craintes sont élevées. »

« En réalité, la BCE achète des obligations italiennes et espagnoles sur le marché. Outre-Atlantique, W. Buffett a investi dans Bank of America, lui offrant ainsi un potentiel de hausse, une opération qu’il n’avait pas réalisée en 2008 car, comme il l’a expliqué par la suite, il ne connaissait pas assez le bilan pour supporter un risque analogue à celui des actions. L’on peut donc supposer qu’il se sent suffisamment à l’aise cette fois-ci avec le bilan de Bank of America. Les banques sont certainement en meilleure forme aujourd’hui qu’en 2008 et, dans l’ensemble, la suffisance qui les caractérisait est moindre. »

« J’aime donc à penser qu’il est temps d’investir dans les actions de la zone euro. En attendant, il y a toutes les chances que mon scénario soit erroné. Peut-être qu’il s’agit vraiment du plus-bas, et dans ce cas de figure, je resterai assis sur mon matelas de cash lorsque le marché se redressera. Regretterai-je de ne pas avoir fait preuve d’un optimisme maximum ? Oui, sans conteste. Le risque dans ma proposition est que vous finissiez par payer, et ce n’est pas drôle, le coût de l’opportunité manquée. Regretter de ne pas avoir profité des prix attrayants pour acheter est difficile à supporter d’un point de vue émotionnel, particulièrement lorsque le biais rétrospectif vous rappelle que vous auriez dû le faire. »

« Par principe néanmoins, je préfère supporter le risque émotionnel du coût d’opportunité que le risque financier d’un investissement prématuré fortement risqué. Bien sûr, cela soulève deux questions : qu’est-ce qu’un actif de qualité et qu’est-ce qu’un prix raisonnable ? Je définirais un actif de qualité comme un actif doté d’un solide bilan, d’un historique de bénéfices supérieurs à son coût du capital et d’un historique de surperformance opérationnelle par rapport aux comparables. »

« Autre stratégie, cumulable avec la précédente, vous pourriez tirer parti de la volatilité élevée en souscrivant des options de vente sur les valeurs que vous souhaitez acquérir afin de les obtenir à un cours plus bas. A titre d’exemple, prenons Adidas, un groupe solide se traitant à une valorisation très raisonnable selon ma méthodologie VI/C (VI/C =1). A l’heure où j’écris cette note, le titre s’échange à 47,20 euros. »

« Sur mon écran Bloomberg, les puts 47 euros à échéance novembre s’achètent à 3,20 euros, environ 7% de la valeur nominale, soit un rendement annualisé d’environ 30%. Bien sûr, ce rendement n’est pas sans risque. Le cours du titre peut baisser, et vous vous serez engagés à payer 47 euros. Mais votre point mort sera de 43,67 euros. Dans ce scénario, vous détiendrez un actif que vous vouliez acheter quoi qu’il en soit pour un prix moins élevé que vous ne l’auriez payé aujourd’hui. Pour un rendement annualisé de 30%, le risque de baisse n’est finalement pas si défavorable. »

source AOF / Funds/Soc gen sep11

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