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La grande confusion des genres par John-F. Plassard

La grande confusion des genres

Ne faut-il pas voir dans la volonté de l’Etat à recapitaliser les banques une manière de cacher ses difficultés en matière de dette souveraine?

Pour certains, la crise financière est avant tout le produit de la multiplication de comportements d’aléa moral sur les marchés financiers, bien plus que la conséquence de déséquilibres macro-économiques, qui n’ont constitué qu’un cadre favorable à son éclosion.

Rappelons ici que l’aléa moral a été défini par Adam Smith à la fin du XVIIIe siècle comme la maximisation de l’intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables de la décision sur l’utilité collective.

Infographie. Estimation des besoins en capital des banques européennes

PLUS DE MILLIARDS EN SUIVANT :

Pour notre part, nous pensons que la crise financière, et plus particulièrement la crise bancaire, «n’est que» le fruit d’une accumulation de mauvaises prises de décisions dans des périodes où la macro-économie n’aurait pas dû interférer sur la micro-économie.

Le risque systémique, qui était tabou depuis la chute de Lehman en 2008, refait donc surface. Et il convient à présent aux dirigeants politiques de prendre des résolutions drastiques et rapides.

Depuis la chute de Lehman, personne n’avait encore osé parler de risque systémique, préférant dernièrement parler de «risque de contagion de la crise de la dette aux établissements bancaires»( !). Jean-Claude Trichet (en toute fin de mandat) y remédia le 11 octobre dernier. Lors d’un discours devant le Parlement européen, le président de la BCE a en effet estimé qu’il y avait une crise mondiale du risque souverain et que celle-ci avait désormais atteint une dimension systémique.

Intervenant en tant que président du Comité européen du risque systémique, Jean-Claude Trichet a par ailleurs appelé les responsables politiques à prendre une décision claire sur la recapitalisation des banques. Rappelons cependant que Jean-Claude Trichet quittera ses fonctions à la fin du mois, ce qui peut expliquer aussi une plus grande transparence de sa part…

Le président de la commission européenne José Manuel Barroso en a rajouté une couche, en appelant le 12 octobre à recapitaliser d’urgence ces banques pour stopper la contagion de la crise de la dette qui avait désormais atteint une ampleur systémique, menaçant de déstabiliser l’économie mondiale.

Ceci étant dit, il convient maintenant de savoir qui va payer et combien cela va couter ?

Il est difficile de répondre à cette question, à part répéter que plus vite les gouvernements s’accorderont sur une solution ou un montant probant, plus vite ce pan du problème bancaire sera résolu.

S’occuper du problème bancaire aujourd’hui, c’est par exemple éviter que les dettes souveraines ne deviennent définitivement des subprimes européens et c’est éviter que les capitaux propres ne s’évaporent définitivement avec la baisse des indices boursiers.

Actuellement, le FMI estime le besoin de recapitalisation des banques européennes entre 150 et 200 milliards d’euros.

En pratique, les banques devraient d’abord faire appel à des ressources privées, puis solliciter les soutiens des Etats membres. Et en derniers recours, celui du FESF. Il faudra augmenter ce dernier selon José Manuel Barroso. Premier couac annoncé donc, car rappelons que l’Allemagne ne veut pas accroître indéfiniment le montant du FESF et nous le comprenons bien.

Afin de mettre encore plus la pression sur le secteur bancaire, José Manuel Barroso a aussi proposé d’interdire le versement de primes ou de dividendes aux actionnaires avant toute recapitalisation effective, qui passerait par un relèvement du niveau minimum de fonds propres durs demandés aux établissements.

Selon le Financial Times, le niveau minimum de fonds propres durs des banques devrait être relevé à 9%, soit un niveau plus important que celui fixé dans le cadre de la nouvelle réglementation du secteur bancaire de Bâle III qui doit (officiellement) être mis en application le 1er janvier 2015 (nsfr 2018).

La mise en place d’une recapitalisation globale met en avant un autre problème qu’il ne faut pas minorer: l’aspect juridique. En effet, tout cela requiert de surmonter des problèmes juridiques complexes, à commencer par l’harmonisation des constitutions des pays membres. On imagine alors que ce ne sera pas facile de passer l’obstacle des parlements.

Il y a des précédents et les responsables de la zone euro feraient bien de s’en inspirer. Effectivement, la Hongrie et la Pologne ont mis en œuvre en 1992 une recapitalisation bancaire dans le processus plus long d’une restructuration des systèmes financiers.

Les principales caractéristiques de la recapitalisation polonaise ont été composés de trois principes assez simples, soit: la restructuration des banques et des entreprises serait traitée conjointement; la négociation et le suivi des restructurations d’entreprises publiques seraient entièrement confiés par l’État aux banques. Enfin, la procédure de faillite, gérée par les tribunaux de commerce, serait suspendue pendant la durée du programme, cette procédure étant considérée comme peu efficace et conduisant trop souvent à la liquidation.

Le développement des réformes financières est-européennes a été l’occasion d’une relance du débat entre le «modèle anglo-américain», donnant une place importante aux marchés de capitaux, et le «modèle allemand» ou japonais, fondé sur une relation beaucoup plus étroite entre banques et entreprises.

Il est évident que nous en sommes à un autre stade du cycle aujourd’hui, mais il convient de prendre exemple sur les erreurs passées et de faire ce constat inquiétant: toute réforme de fond prend bien évidemment du temps.

Les banques réticentes à une recapitalisation s’appuient effectivement sur l’aléa moral pour pousser d’avantage en ce sens.

De plus, il faut avouer qu’il y a des effets secondaires à la recapitalisation des banques: dilution du capital, perte d’autonomie, surveillance des rémunérations, mise en cause du concept de banque universelle.

Finalement, ne faut-il pas aussi voir dans la volonté de l’Etat à recapitaliser les banques une manière de cacher ses propres difficultés en matière de dette souveraine ?

La priorité ne doit pas être la recapitalisation des banques mais l’identification de leurs faiblesses.

En ce sens, nous le comprenons aisément, l’Allemagne n’est pas restée muette à l’appel à la recapitalisation urgente des banques de la part de José Manuel Barroso.

L’association bancaire allemande (BDB) (porte parole masqué d’Angela Merkel) a vigoureusement réagi en confirmant que les propositions du président de la Commission européenne étaient inappropriées car « elles ne luttent pas contre les causes de la crise actuelle de la dette publique».

En d’autres mots: la recapitalisation n’est pas une fin en soit si elle n’est pas associée à d’autres mesures plus fortes. L’Allemagne ne prendra aucune mesure avant d’avoir l’assurance que cela ne bridera pas la croissance de ses banques. Il est vrai que les institutions bancaires allemandes ont largement renforcé leurs capitaux ces derniers mois.

Comme nous le voyons, beaucoup trop de questions restent toujours en suspens, et il y a actuellement trop de divergences pour les régler.

Le secteur bancaire devrait donc continuer à être sous pression, dans l’attente d’un message fort de l’Allemagne, qui tarde réellement à arriver.

John-F. Plassard Louis Capital Markets Genève oct11

EN COMPLEMENT : S&P livre son verdict sur les besoins des banques européennes Par Sébastien Dubas

S&P livre son verdict sur les besoins en capitaux des banques européennes: Jusqu’à 132 milliards d’euros pourraient être nécessaires Aux yeux de l’agence de notation, 132 milliards d’euros seraient nécessaires.Ce scénario n’intègre que des pertes sur la Grèce

La question n’est plus de savoir si les banques européennes devront être recapitalisées mais, bien plus, de savoir combien de milliards d’euros seront nécessaires pour les aider à surmonter la crise actuelle. Dès lors, chacun y va de son propre scénario. Vendredi, c’était au tour de Standards & Poor’s (S&P) de se prêter au jeu des pronostics. Résultats: les établissements européens pourraient avoir besoin de 115 à 132 milliards d’euros de capitaux (environ 150 milliards de francs). 

Selon S&P, 20 des 47 banques européennes étudiée verraient leur ratio de solvabilité tomber en dessous de 6%. Elles nécessiteraient une injection de fonds propres supplémentaires de 78 milliards d’euros dans le scénario le plus favorable (et de 91 milliards dans le cas le plus sombre). Pour l’ensemble de la zone euro, la facture pourrait atteindre 115 milliards d’euros.

L’effort serait essentiellement supporté par l’Espagne (28 milliards nécessaires dans le premier scénario), la Grèce (22 milliards), l’Italie (17 milliards) et le Portugal (9 milliards). Même dans le cas le plus extrême, les banques françaises, qui ont défrayé la chronique pendant l’été, n’auraient pas besoin de recapitalisation. A noter que dans ces scénarios qualifiés d’extrêmes, S&P retient une décote de 60% sur la dette grecque, mais rien pour les autres dettes souveraines.

Pour arriver à ces montants, l’agence de notation américaine s’est basée sur les «tests de résistance» officiels de juillet dernier. Elle a ensuite élaboré son propre «scénario du pire», comme elle l’appelle. En se basant sur une nouvelle récession en Europe. Mais également sur une envolée des taux d’intérêt qui pourraient grimper jusqu’à 13% d’ici à 2014 en Irlande et au Portugal. Et, surtout, sur un défaut de remboursement partiel de la seule Grèce.

 En outre, S&P part du principe que la Banque centrale européenne et les gouvernements soutiendront autant que possible le système bancaire européen. «Comme ce fut le cas après la faillite de Lehman Brothers, cette aide pourrait comprendre non seulement des garanties en matière de financement et de liquidités mais aussi des injections directes ou indirectes de capitaux.»

 Les résultats obtenus par l’institution new-yorkaise apparaissent toutefois bien en deçà des 220 milliards d’euros identifiés la semaine dernière par les analystes de Credit Suisse. Ils sont également inférieurs aux 200 milliards d’euros de pertes que pourraient encourir, selon le Fonds monétaire international, les établissements européens si la crise devait s’aggraver. 

Pour Blaise Ganguin, l’auteur du rapport et responsable de l’analyse crédit chez S&P, la principale raison de ces différences est la suivante: contrairement aux autres scénarios, le sien ne prend en considération qu’une restructuration de la dette publique grecque. Et effectivement, là où S&P n’envisage qu’une réduction à hauteur de 60% de la valeur des emprunts souverains grecs, Credit Suisse intègre des mesures qui entraîneraient, de facto, une perte pour les créanciers de l’Italie, du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne et de la Belgique. Les analystes de la banque suisse ont même envisagé, dans leurs calculs, une perte de 6% sur la valeur des emprunts souverains français et de 8% sur les emprunts britanniques.

 Alors pourquoi une telle prudence de la part de la plus influente des agences? «Nous nous basons sur les normes comptables internationales qui n’exigent pas de valoriser les emprunts souverains au prix du marché lorsque ces investissements sont détenus à long terme», explique Blaise Ganguin.

 source le temps oct11

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