Commentaire de Marché

La fuite de capitaux d’Italie par Hans-Werner Sinn

La fuite de capitaux d’Italie par Hans-Werner Sinn

 Au mois d’aout, la crise européenne de balance des paiements s’est déplacée au-delà de la périphérie de la zone euro pour commencer à secouer l’Italie. Les spreads de taux d’intérêt sur les obligations d’Etat italiennes ont commencé à s’élever, l’administration du premier ministre Silvio Berlusconi a pris suffisamment peur que pour mettre en oeuvre un programme d’austérité et la Banque Centrale Européenne est venue à l’aide en apportant davantage de liquidité.

La BCE a ordonné aux banques centrales de tous les pays membres de la zone euro d’acheter d’énormes quantités d’obligations d’Etat italiennes durant la crise. Bien que les banques centrales nationales n’aient pas révélé le montant de leurs achats, le stock total d’achats d’obligations d’Etat est passé de 74 milliards d’euros (102 milliards de dollars) le 4 aout à 165 milliards d’euros ce mois-ci. La plus grande partie de cette augmentation provient sans doute de l’achat d’obligations italiennes.

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La Bundesbank allemande, qui a été forcée d’acheter la plupart des obligations, s’est fortement opposée au programme mais n’a pas pu l’arrêter. En réaction, le Chief Economist de la BCE Jürgen Stark a posé sa démission. Il faisait suite au Président de la Bundesbank Axel Weber, qui avait démissionné en février à cause des rachats d’obligations précédents. Entretemps, le nouveau Président de la Bundesbank, Jens Weidmann, avait ouvertement protesté contre le programme, alors que le Président allemand Christian Wulff avait accusé publiquement la BCE de contourner le Traité de Maastricht.

Cependant, les achats d’obligations ne représentent que la pointe de l’iceberg. Tout aussi important, et pourtant largement ignoré, est le fait que la Banca d’Italia a fait tourner la presse à billets pour couvrir l’immense déficit de balance des paiements de l’Italie. Le surplus de monnaie imprimée et prêtée, tel que mesuré par ce que l’on appelle le déficit Target, équivaut en fait à un crédit accordé par la BCE.

Ce crédit remplace les importations de capital privé qui avaient jusque-là financé les achats nets de biens étrangers de l’Italie, mais qui se sont taries suite à la crise ; il finance une fuite de capital, c’est à dire l’achat d’actifs étrangers. Quant à la BCE, elle finance le crédit Target auprès des banques centrales des pays vers lesquels les capitaux fuient. Ces derniers doivent dès lors accepter une réduction de leur propre capacité à émettre un crédit de refinancement.

Jusque juillet, seuls la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne avaient bénéficié du crédit Target, pour un total combiné de 330 milliards d’euros. L’Italie était stable et ne semblait pas avoir besoin de la presse à billets pour résoudre ses problèmes financiers. Plus maintenant.

Rien qu’en aout, la banque centrale italienne a bénéficié de 40 milliards d’euros de crédit Target, et probablement 50 milliards d’euros supplémentaires en septembre, lorsque les prêts Target de la Bundesbank au profit du système BCE ont augmenté de 59 milliards d’euros (après une hausse de 47 milliards en aout). C’était le prêt Target le plus élevé jamais accordé par la Bundesbank au cours d’un mois, et en toute vraisemblance il a bénéficié en majeure partie à l’Italie.

Il s’agit d’une lente explosion. Le stock de crédits Target en provenance de la Bundesbank dans le système BCE était à peu près nul jusque mi-2007. A la fin septembre, il avait grimpé à 450 milliards d’euros – en plus des achats d’obligations d’Etat que la Bundesbank a été contrainte d’effectuer.

Puisque le déficit courant mensuel de l’Italie est seulement d’environ 3-4 milliards d’euros, le crédit Target doit avoir compensé principalement les fuites de capitaux. Les investisseurs italiens ont vendu leurs actifs au système bancaire, qui a payé avec de l’argent nouvellement imprimé. Les investisseurs ont ensuite investi le produit de la vente en Allemagne, achetant actions, obligations et autres actifs. En essence, l’Allemagne et l’Italie ont échangé des titres Target contre des actifs échangeables.

L’utilisation collective de crédits Target de la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne a obligé la Bundesbank à réduire sa propre émission de crédit de refinancement d’un peu près 30 milliards d’euros par an entre 2008 et la fin 2010, date à laquelle elle ne valait plus que 90 milliards d’euros. A ce rythme, on prédisait que le niveau pourrait tomber à zéro endéans trois ans.

Le crédit Target italien a aujourd’hui dépassé cette estimation. En septembre 2011, le stock de crédits de refinancement de la Bundesbank, net par rapport à ses facilités de dépôt vis-à-vis des banques allemandes, est devenu négatif pour la première fois dans l’histoire. Dès lors, le transfert de crédit de refinancement de la BCE via le système Target a déjà atteint sa limite, trois ans plus tôt que ce que la tendance des trois dernières années suggérait.

Ce n’est pas la fin du monde, pas même pour la BCE. Néanmoins, la Bundesbank est entrée dans un nouveau régime dans lequel elle devra emprunter largement auprès du secteur bancaire privé pour absorber les capitaux fuyant les pays en crise. Quant à ces derniers, ils continueront à compenser les fuites de capitaux en faisant tourner la presse à billets.

Ainsi, la zone euro est entrée dans un territoire dangereux. Les facilités de dépôt comptent en tant que monnaie de la banque centrale et ont un potentiel inflationniste, étant donné que les banques allemandes pourraient retirer ces fonds à tout moment. Si elles le font, il n’y a pas que les titres Target qui pourraient exploser en Europe.

Hans-Werner Sinn est Professeur d’Economie et de Finances Publiques à l’Université de Munich, et Président du Ifo Institute. oct11

 source Project Syndicate, 2011./Traduit de l’anglais par Timothée Demont

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