Crise de la dette grecque: les leçons de l’histoire
La Grèce n’est pas acculée pour la première fois à une situation de quasi-faillite, comme le montre un coup de projecteur historique. Les créanciers ont toujours eu de la peine à récupérer leur capital, comme c’est chaque fois le cas lorsqu’un Etat devient un débiteur vacillant
Sous la pression politique massive des chefs d’Etat et de gouvernement européens, les banques internationales veulent faire grâce à la Grèce de 50% de sa dette. Les réformes exigées en échange sont dictées à la Grèce par Bruxelles et New York (FMI). A l’avenir, et pendant longtemps, la Grèce ne pourra plus gérer ses finances de manière autonome, une situation contre laquelle la population a protesté avec vigueur. Cette issue peut-elle représenter une bonne affaire pour tous les protagonistes? Peut-être la comparaison avec des situations similaires par le passé permettra-t-elle d’éclairer l’ordre actuel des événements.
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En 1893, la Grèce avait déjà dû annoncer un moratoire sur le remboursement de sa dette extérieure, dont le service engloutissait alors quelque 33% de son budget. Le système fiscal était rudimentaire. Les recettes fiscales provenaient principalement des droits de douane relatifs à l’importation et à l’exportation, des raisins de Corinthe en particulier, dont le prix sur le marché mondial avait dramatiquement chuté au début des années 1890. Le pays allait se trouver inéluctablement dans l’incapacité de payer.
Immédiatement après la proclamation du moratoire, les détenteurs d’obligations et de titres grecs de toute l’Europe ont tenté, en vain, de mobiliser leurs gouvernements afin qu’ils soutiennent leurs créances, parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec la proposition grecque: le président du conseil Charilaos Trikoupis voulait rembourser 32% seulement du capital engagé, avec un délai prolongé à 68 ans, ne tolérant aucune ingérence dans l’autonomie financière du pays. Toutefois, les créanciers n’avaient, comme pour chaque faillite de l’Etat, aucune sanction efficace à faire valoir contre leur débiteur défaillant. Certes, on aurait pu interdire les marchés financiers internationaux à la Grèce. Mais les gouvernements n’étaient pas prêts à mettre en place des manœuvres d’intimidation, par exemple par le biais de sanctions commerciales, voire d’actions militaires; les banques avaient procédé à des spéculations malheureuses à leurs propres risques et périls.
Ce n’est qu’au moment où la Grèce a perdu la guerre contre l’Empire ottoman en 1897, et que l’ensemble du territoire de Thessalie a été occupé par les troupes turques, que l’on a pu mettre le pays sous pression massive. Les Grecs ne recevraient l’argent nécessaire au «rachat» de la Thessalie que s’ils acceptaient une surveillance financière internationale pour le remboursement des anciennes dettes.
La Grèce a été contrainte d’accepter une Commission financière internationale qui, jusqu’en 1914, a reversé 40% environ des recettes publiques à ses créanciers. Les recettes en provenance des monopoles du sel, du pétrole, des allumettes, des cartes à jouer et du papier de cigarette, ainsi que les taxes des maisons de négoce de Patras, ont été, en particulier, prélevées à cette fin. En raison de sa fragile position de perdante de la guerre, la Grèce n’a pas pu imposer une réduction simultanée de sa dette, comme l’avait négociée l’Empire ottoman douze ans auparavant (50% de sa dette avait été effacée).
Cette commission se composait des ambassadeurs des six puissances qu’étaient l’Autriche-Hongrie, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Russie. Elle surveillait le recouvrement des créances tout en proposant des mesures pour améliorer l’efficience des finances publiques, par exemple pour réformer le système fiscal et le commerce des raisins secs, et pour enrayer la contrebande. Toutefois, ces suggestions ont rarement été mises en œuvre par le parlement. Bien que la commission ait négocié de nouveaux emprunts étrangers pour la Grèce, elle a été ressentie par les Grecs comme une ennemie et une exploiteuse, qui lui dictait la manière dont le pays devait dépenser ses ressources financières et avec qui l’on ne coopérait que contraint et forcé. Dans le domaine monétaire et dans sa lutte contre l’inflation, la commission a toutefois pu imposer quelques innovations et garantir jusqu’en 1914 un service de la dette sans accrocs de l’Etat grec.
Toutefois, le problème fondamental a subsisté: du fait que la Grèce devait importer beaucoup plus de biens qu’elle ne pouvait en exporter, elle est restée dépendante de l’aide financière de l’étranger sous forme de nouveaux emprunts. Pendant la Première Guerre mondiale, sont venues s’y ajouter les contributions de guerre des Alliés. A chaque fois que leur situation économique s’est stabilisée (par exemple, lors des années 20, «années d’or» ou dès 1936, sous la dictature d’Ioánnis Metaxás), les Grecs ont fidèlement remboursé leurs dettes, à l’exception des moratoires des années noires, comme en 1932 pendant la crise économique mondiale.
Mais la stabilisation n’a pas duré: l’exploitation financière pendant l’occupation allemande et les désordres de la guerre civile après 1945 ont freiné l’industrialisation, de sorte que le pays est resté dépendant de la manne étrangère. Une situation économique initiale et des conditions-cadres catastrophiques combinées avec de mauvaises décisions politiques et d’énormes problèmes sociétaux ont empêché que cette situation ne s’améliore.
Si l’on veut tirer les leçons de l’histoire financière de la Grèce, deux aspects doivent être pris en considération: d’une part, si elle veut gagner une véritable indépendance financière, la Grèce doit investir dans des secteurs économiques porteurs d’avenir – par exemple dans les énergies renouvelables, comme cela leur a été récemment proposé par des représentants allemands de l’économie. D’autre part, les Grecs ne mettront en œuvre les propositions de réforme de l’Europe, que lorsqu’ils cesseront de considérer leurs créanciers comme des exploiteurs, pour les regarder comme des interlocuteurs prêts à les aider – un défi pour tous les responsables
Par Korinna Schönhärl, docteur en histoire économique