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L’effet de contamination : Les difficultés de la zone euro gagnent les Etats voisins. L’Europe de l’Est condamnée à une crise profonde.

L’effet de contamination : Les difficultés de la zone euro gagnent les Etats voisins. L’Europe de l’Est condamnée à une crise profonde.

Les fortes interconnexions économiques et financières entre l’Europe de l’Est et sa voisine occidentale, rendent un découplage économique et financier entre ces deux régions illusoire. Il n’est donc pas étonnant que le ralentissement économique de la zone euro et la probabilité croissante de défaut de certains de ses pays et banques commencent à peser sur l’Europe de l’Est, d’autant plus que les perspectives de croissance économique et de stabilité financière pour l’Europe orientale ne se sont pas simplement assombries. Elles sont au contraire sérieusement compromises par les développements au sein de la zone euro. Durant la crise mondiale de 2008/2009, l’Europe de l’Est a été la région la plus touchée en termes de contraction économique et de tensions sur les marchés financiers. Ces deux dernières années, la vulnérabilité de la région n’a guère diminué mais, cette fois-ci, l’épicentre de la crise a quitté les lointains Etats-Unis pour s’installer dans la zone euro toute proche.

source New York Times

Sa forte dépendance des exportations et son niveau de dette extérieure élevé ont été les deux principaux éléments à précipiter l’Europe de l’Est dans une crise profonde en 2008/2009 – aujourd’hui, ces éléments sont toujours présents. D’une part, la dépendance des exportations de la région dans sa globalité, en particulier vers la zone euro, n’a pratiquement pas changé au cours des dernières années. La Hongrie, notamment, présente une quote-part d’exportation de 87% du PIB nominal, dont 56 points de pourcentage vers les pays de la zone euro. Ainsi, la récession incontournable de la zone euro entraînera forcément un ralentissement économique en Europe de l’Est.

 D’autre part, le niveau de la dette extérieure de la région demeure considérable, ce qui la rend tributaire des capitaux étrangers pour maintenir ses dépenses d’équipement et sa stabilité financière. En 2008/2009, les entrées de capitaux étrangers ont stagné, entraînant les conséquences que l’on connaît. Or le scénario semble vouloir se reproduire aujourd’hui. De surcroît, la dette extérieure est très rarement libellée dans la monnaie nationale du débiteur et le fléchissement des monnaies d’Europe de l’Est accentue les difficultés à remplir leurs obligations de service de la dette.

Deux facteurs de vulnérabilité sont apparus qui n’existaient pas lorsque la crise mondiale de 2008/2009 a éclaté. Ne s’étant pas entièrement remis de la dernière crise, le système bancaire de la région est fragile. Il suffit de constater  le niveau élevé des prêts en retard de paiement (ou crédits en souffrance) dans de nombreux pays d’Europe orientale.

En outre, le secteur bancaire de cette partie du monde est dominé par des filiales de banques de la zone euro qui se trouvent aujourd’hui en mauvaise posture et hésitent à fournir un soutien financier à leurs consœurs de l’Est (cf. dernier paragraphe pour de plus amples détails à ce sujet). Il faut se rendre à l’évidence: l’Europe de l’Est ne tardera pas, dans le sillage des problèmes qui évoluent dans la zone euro, à être frappée par une grave crise économique et financière. Au vu des risques importants qui menacent la stabilité économique et financière de l’Europe de l’Est, il convient de réduire à un minimum les investissements obligataires dans la région.

PLUS DEUROPE ORIENTALE EN SUIVANT :

 Au sein de l’Europe de l’Est, la zone méridionale** manifeste une sensibilité particulière aux ralentissements économiques et à l’instabilité financière, et ce, en raison des liens étroits qu’elle entretient avec des pays accablés par la crise comme la Grèce et l’Italie. Les Etats baltes voient eux aussi leur croissance et leur stabilité financière fortes menacées. Néanmoins, leur faible niveau de dette publique et l’aptitude impressionnante de leurs gouvernements à gérer la crise minimisent le risque de crise. Les petits pays d’Europe de l’Est centrale, typiquement ouverts, n’échapperont pas quant à eux à un ralentissement économique, mais ils affichent une sensibilité modérée au niveau financier – à l’exception notable de la Hongrie. Au sein des anciennes républiques soviétiques, la Russie et le Kazakhstan se distinguent en tant qu’exportateurs de matières premières. De ce fait, les deux pays occupent une position relativement solide, étant donné qu’ils sont davantage tributaires des développements économiques à l’échelle mondiale que de la reprise économique et financière de la zone euro. Quant aux anciennes républiques soviétiques européennes et caucasiennes, hors Etats baltes, elles manifestent en règle générale une grande vulnérabilité économique. Cela dit, elles perçoivent souvent des subventions généreuses de la part de la Russie ou des Etats occidentaux. Les liens économiques et financiers entre la Turquie et la zone euro ne sont pas focalisés unilatéralement sur la zone euro mais la stabilité du pays est menacée par la croissance de crédit excessive et le déficit du compte courant colossal.

Les banques établies en Europe occidentale, essentiellement dans la zone euro, sont largement impliquées dans le système bancaire d’Europe de l’Est. Les banques d’Europe occidentale dominent largement les systèmes bancaires d’Europe orientale au travers de leurs filiales, à l’exception de plusieurs anciennes républiques soviétiques. Il y a peu de temps encore, la prédominance de l’Europe occidentale contribuait à la stabilité économique et financière de l’Europe de l’Est, même durant la crise mondiale de 2008/2009. Au cours des dernières années, les banques occidentales n’ont pas retiré énormément de capitaux auprès de leurs filiales d’Europe de l’Est. De plus, les pays de cette région dotés d’un système bancaire dominé par l’Occident ont globalement mieux réussi à maintenir leur stabilité financière durant la crise de 2008/2009 que les pays où la présence occidentale est relativement faible – notamment la Russie, le Kazakhstan et l’Ukraine.

Cependant, les banques d’Europe occidentale ont essuyé des pertes sur leurs importantes participations à la dette souveraine de la zone euro et l’Autorité bancaire européenne contraint les établissements bancaires de l’Union européenne (UE) à augmenter leur ratio de fonds propres Tier 1 à 9% d’ici juin 2012. Aussi les banques d’Europe occidentale devront-elles accroître leurs fonds propres ou ne pas tarder à réduire leurs actifs risqués. Une réduction massive et rapide des prêts transfrontaliers octroyés à leurs filiales d’Europe de l’Est, voire la cession de toutes les entités bancaires d’Europe de l’Est, pourrait être un moyen pour les banques occidentales d’améliorer comme il se doit leur ratio Tier 1. En même temps néanmoins, cela pourrait se solder par l’effondrement du système bancaire d’Europe de l’Est.

A nos yeux, le désendettement des banques de la zone euro pèsera sur l’Europe de l’Est mais il ne réussira pas à lui seul à ébranler la stabilité financière de la région. Les effets négatifs du désendettement de la zone euro seront limités pour trois raisons. Tout d’abord, dans le contexte économique actuel, les candidats au rachat de banques d’Europe de l’Est se font rares. En outre, la vente de filiales d’Europe de l’Est à prix cassés ne contribuerait pas forcément à l’amélioration du ratio de Tier 1 pour les banques. Deuxièmement, plusieurs pays d’Europe de l’Est constituent encore des investissements porteurs à long terme. Pour nombre de banques occidentales, un retrait à grande échelle de filiales d’Europe de l’Est ne constituera pas la meilleure option. Enfin, de nombreux systèmes bancaires d’Europe de l’Est bénéficient de financements solides, comme le montre le ratio de prêts/dépôts. De plus, même si les financements par la maison mère sont importants et affectés aux prêts bancaires, les organismes de surveillance nationaux pourraient imposer des restrictions sur de nombreuses formes de transferts de capitaux vers l’Ouest, la plupart des filiales des banques de la zone euro étant des entités soumises à la réglementation locale. Par conséquent, le désendettement des banques de la zone euro s’inscrit parmi les rares facteurs pesant sur la stabilité économique et financière en Europe de l’Est, mais il ne s’agit pas du seul et il n’est en rien décisif. Les tristes perspectives de stabilité financière et de croissance économique des pays d’Europe de l’Est se fondent sur la fragilité du système bancaire domestique ainsi que sur leur dépendance des exportations et des capitaux, notamment à l’égard de la zone euro.

David Nietlispach  Julius Baer FEV12

** L’Europe de l’Est méridionale comprend les pays suivants:

républiques d’ex-Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie et Moldavie; Europe centrale: République

tchèque, Slovaquie, Pologne

et Hongrie; Etats baltes: Estonie, Lituanie et Lettonie.

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