Art de la guerre monétaire et économique

L’odyssée grecque vers une dérive incontrôlée

L’odyssée grecque vers une dérive incontrôlée

Les nouvelles mesures d’austérité pulvérisent toute perspective de sortie de récession.

En Europe, un pays a déjà dépassé la Belgique dans la vacance la plus longue du pouvoir. De facto, la Grèce n’a plus de gouvernement depuis 660 jours. Depuis ce 24 avril 2010, lorsque le Premier ministre Georges Papandréou choisit le décor pittoresque de Kastelorizo, aux confins de la Méditerranée, pour appeler l’Europe à l’aide. Détail anecdotique qui n’aura échappé à personne: c’est sur l’ile la plus éloignée du continent que le dirigeant grec annonça la mise sous tutelle de son pays et le début d’une «nouvelle odyssée». La crise grecque plonge aujourd’hui l’Europe dans une incertitude sans précédent. Exactement vingt ans après la signature du Traité de Maastricht.

L’ultimatum délivré vendredi par la zone euro, qui exige notamment d’Athènes de trouver encore 325 millions d’euros d’économies publiques en échange de toute nouvelle aide, dirige un peu plus le pays dans l’impasse. Hier, le parlement grec devait accepter ces conditions et le pays attend la prochaine réunion de l’Eurogroupe, prévue le mercredi 15 février pour approuver le nouveau programme d’aide de 130 milliards d’euros, ainsi qu’un plan d’effacement de dette par les banques d’une ampleur historique au niveau mondial.

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Athènes pourra sans doute renouveler 14,5 milliards de ses obligations qui arriveront à échéance le 20 mars. Mais la partie est déjà perdue. Les chiffres sont là pour le rappeler. La Grèce entre dans sa cinquième année de récession d’affilée. Les mesures d’austérité imposées par l’Union européenne, le FMI et la BCE vont creuser encore cette récession qui pousse déjà le taux de chômage au-delà des 20%. La destruction de toute dynamique de croissance rend de plus en plus improbable que l’Etat parvienne à ramener de 160% à 120% le niveau de sa dette par rapport à la taille de son économie d’ici 2020, comme prévu. L’odyssée est déjà en dérive.

La perte de souveraineté qui accompagne cette dérive n’a fait que s’aggraver depuis le fameux discours de Kastelorizo. L’aide européenne a été conditionnée par un processus de privatisations massives de secteurs clés de l’économie grecque. page

Au total, ce sont quelque 19 milliards d’euros de biens publics qui seront bradés d’ici 2015, un plan déjà atténué face au 50 milliards de privatisations prévus à l’origine. L’aéroport international d’Athènes, déjà aux mains de fonds de pension allemands, l’ancien aéroport d’Athènes situé à Héllénikon, une zone de 55 hectares dans la banlieue balnéaire, et les chemins de fer (Ose) font partie des actifs à céder dans les transports. La concession partielle (25%) du port du Pirée au chinois Cosco pourrait aussi s’étendre. Le tourisme ne sera pas non plus épargné.

La vague de privatisations grecques fait écho à celle qui touche le Portugal. Lisbonne espère lever 5 milliards d’euros grâce à un programme de cession d’actifs. Plus de 3 milliards ont déjà été assurés par la vente de participations publiques à des sociétés chinoises. A eux-seuls, ces phénomènes de privatisation illustrent l’état catastrophique de la gouvernance européenne. Contrairement aux privatisations françaises ou britanniques des années 1980-1990, les joyaux publics sont souvent dilapidés en dehors de l’Europe. 

Un autre symbole prémonitoire du discours de Kastelorizo était celui de l’exacerbation du sentiment nationaliste, du mythe collectif d’un pays seul contre tous. Hier contre son ennemi historique turc, qui entoure l’île. Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui cristallise à nouveau la défiance. La société grecque ne s’est pas seulement appauvrie au cours des dernières années. Elle s’est également durcie. La violence s’est d’ailleurs banalisée en s’insinuant progressivement dans les différents conflits sociaux. Extrémistes de gauche comme de droite fustigent un même adversaire: l’Europe.

Le climat actuel rappelle à bien des égards les tensions observées lors de la dernière dictature (1968-1974).Une période qui vit déjà une rupture avec l’Europe lorsque l’accord d’association fut suspendu en 1967. L’analogie historique entre la Grèce actuelle et celle de la période qui précéda le régime des colonels n’a rien d’un raccourci historique. La perte de contrôle des élites politiques et l’enlisement économique impliquent, dans chaque cas, à une sombre mise entre parenthèse de la démocratie.

Aujourd’hui, Athènes se retrouve à nouveau, paradoxalement et malgré elle, dans le rôle du laboratoire démocratique de l’Europe: l’acharnement thérapeutique et la mise sous tutelle du patient grec par Bruxelles sont l’un des premiers effets du fédéralisme fiscal tant désiré par Angela Merkel. Mais en appelant à davantage de transferts de compétences des Etats vers l’Union, la Chancelière allemande confond, en réalité, le fédéralisme avec la discipline.

Frédéric Mamaïs/agefi fev12

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