Art de la guerre monétaire et économique

Géopolitique/Dépenses militaires : les pays émergents relancent la course aux armements

Dépenses militaires : les pays émergents relancent la course aux armements

La Russie va dépenser 580 milliards d’euros sur 10 ans pour moderniser son armée, a lancé Vladimir Poutine, premier ministre sortant et candidat à la présidentielle de mars 2012. Il a insisté sur la construction de 400 missiles balistiques intercontinentaux d’ici à 2022 ou de 600 chasseurs de cinquième génération T-50 en collaboration avec l’Inde, vieux partenaire de Moscou et membre depuis 2004 de l’organisation de coopération de Shanghaï, dirigée par le couple russo-chinois. Cette militarisation à outrance de la Russie est-elle réelle ou juste un effet d’annonce pour profiter de la réduction du budget militaire des Etats-Unis – qui reste le premier du monde – et rattraper la Chine ? En effet, quelques jours avant l’annonce de la Russie, le groupe de recherche américain IHS estimait que la Chine augmenterait de 18,75 % par an son budget militaire jusqu’en 2015 (180,8 milliards d’euros). Là aussi, les experts s’interrogent sur réalité des chiffres officiels, tant un épais voile d’opacité couvre l’armée chinoise, laquelle s’oriente aussi vers du matériel de pointe : missiles anti-porte-avions, avion furtif J-20…

source The Economist

Ces annonces sont emblématiques de la « course aux armements » à laquelle se livrent de nombreux pays émergents, notamment ceux de l’Asie-Pacifique, depuis que le Pacifique est devenu le nouveau centre de gravité de la pensée stratégique américaine. En 2011, les dépenses de défense des émergents asiatiques avaient augmenté de 14 %. Un record mondial. La Chine caracole en tête mais l’Inde n’a pas dit son dernier mot. En février, New Delhi a commandé 126 Rafale français pour riposter à la menace pakistano-chinoise. Les autres puissances montantes ne sont pas en reste : Indonésie (+ 8,8 %), Vietnam (+ 8,92 %) ou Taïwan (10 % par an). Ce dernier va rénover ses 145 chasseurs F-16 pour 3,7 milliards de dollars. La Corée du Sud s’apprête à acheter 60 appareils mais hésite encore entre le modèle : F-35 ou F-15 américains, Eurofighter européen ou Gripen suédois ? Quant au Japon, la commande de 42 F-35 aux caractéristiques furtives a été passée pour 21 milliards de dollars là aussi, pour contrer la menace chinoise. « Mais la montée en puissance de la Chine n’est pas le seul facteur de motivation », explique l’expert de l’IHS Paul Burton. « Il y a un certain nombre de problèmes de sécurité persistants, provoqués par la concurrence sur l’utilisation des ressources naturelles inexploitées, incitant les Etats à accroître leur effort de défense ».

PLUS DE DEPENSES MILITAIRES EN SUIVANT :

Si l’Asie-Pacifique s’emballe, d’autres émergents leur emboîtent le pas. C’est le cas du Brésil dont les dépenses ont augmenté de 30 % entre 2001 et 2010 et qui veut consolider sa position de principale puissance militaire de l’Amérique du Sud. En projet, l’achat pour 33 milliards de dollars sur 20 ans, selon l’IISS, de nouveaux avions de combat, notamment le Rafale, en compétition avec d’autres modèles occidentaux. Enfin, l’Afrique du Sud, principale puissance militaire africaine, connaît, elle aussi, une croissance solide de son budget militaire.

Deux facteurs expliquent ces évolutions chez les puissances émergentes. L’un est économique : tous ces pays jouissent d’une croissance forte et durable. Mécaniquement, leurs dépenses de défense croissent en valeur absolue, mais pas nécessairement en valeur relative. Ainsi, en 1989, les dépenses militaires chinoises représentaient 2,5 % du PIB chinois, pour atteindre un point bas en 1997 de 1,6 % du PIB, remontant à 2,2 % du PIB en 2009, selon le SIPRI.

L’autre est stratégique : les pays émergents voient dans ces dépenses le moyen d’être reconnus comme puissances de premier plan. Mais pour accomplir ce saut qualitatif, il leur faut d’abord faire face aux conflits environnants, au moins par la dissuasion militaire et imposer leur leadership pour deux raisons. D’une part, l’Inde, en conflit de longue date avec le Pakistan au Cachemire, affronte à présent la rébellion naxalite. La Turquie fait face à la résistance des Kurdes. La Chine doit gérer la crise des Ouïgours et la montée du panturquisme ; la Russie est confrontée aux tensions dans le Nord-Caucase.

D’autre part, les rivalités inter-émergents les poussent à s’armer toujours davantage. L’Inde est préoccupée par la force militaire croissante de la Chine, étant donné leurs différends frontaliers dans l’Himalaya et leur rivalité dans l’Océan indien. La Chine s’inquiète de la présence militaire des Etats-Unis en Asie, en particulier en raison du conflit potentiel concernant Taïwan et du contrôle des routes maritimes. La Russie considère que la Turquie, membre de l’OTAN, ne doit pas s’immiscer dans les affaires du Caucase et de l’Asie centrale, alors qu’elle est contrariée par le déploiement du bouclier antimissile en Europe et en Turquie.

« Cette forte croissance (…) des équipements militaires » n’est pas qu’une source d’inquiétudes, elle « est est un répit bienvenu pour les industriels de l’armement occidentaux », d’après l’agence Fitch. Elle est aussi une opportunité pour les émergents. La Chine a ainsi présenté plusieurs de ses matériels militaires au dernier salon aéronautique de Singapour, le plus important d’Asie, très prisé par les industriels occidentaux. Car en Occident, la tendance est à la réduction des budgets militaires. En Europe, ils ont diminué de 2,8 % en 2010, selon le SIPRI. Aux Etats-Unis aussi, le budget militaire va baisser en raison des problèmes budgétaires et de la réduction des opérations extérieures (Afghanistan, Irak). Mais cette baisse ne doit pas toucher la zone Asie-Pacifique. « Nous renforcerons notre présence dans la région », a déclaré le président Obama en janvier. Cette réorientation stratégique se traduit par une concentration de moyens au Japon, en Corée du Sud et en Australie.

D’où les craintes de la Chine et de la Russie. Cette explosion des dépenses des émergents n’est pas près de s’arrêter. Au contraire, la question du programme nucléaire de l’Iran pousse les dépenses à la hausse, notamment chez ses voisins du Moyen-Orient. Si la fin de la guerre froide avait laissé espérer toucher les dividendes de la paix, 20 ans après la chute de l’URSS, les espoirs ont déchanté.

Edouard Pflimlin /le monde fev12

EN COMPLEMENT : Tout le monde réarme, sauf les Européens

La Russie réarme, à grande vitesse. La Chine pourrait doubler son budget de la défense d’ici à 2015. Les Etats-Unis entendent rester la première puissance militaire mondiale. Un seul continent désarme, comme s’il avait chassé la guerre de son horizon : l’Europe. Est-ce que c’est important ?

Commençons par l’actualité la plus récente, celle des propos fracassants tenus par Vladimir Poutine au début de la semaine. A quelques jours de l’élection présidentielle du 4 mars, qu’il n’imagine pas perdre, M. Poutine a annoncé le plus gigantesque programme militaire russe depuis la fin de la guerre froide. L’une de ses priorités sera de moderniser et de transformer de fond en comble l’appareil militaire du pays, écrit-il dans le quotidien Rossiyskaya Gazeta.

L’ennemi principal est désigné : l’Ouest. La plus grande menace qui pèse sur la Russie, celle qui peut rendre obsolète son arsenal de missiles, est le bouclier antimissile américain, poursuit le premier ministre. Ce système de défense antimissile, auquel Washington a proposé à Moscou de participer, est censé protéger l’Europe. Vladimir Poutine ne l’entend pas ainsi. « Nous devons contrer les efforts des Etats-Unis et de l’OTAN en matière de défense antimissile », assure-t-il. Pas question d’accepter l’offre de collaboration des Etats-Unis : « On ne saurait être trop patriotique dans cette affaire », dit l’ancien président ; la réponse de la Russie sera « de tenir en échec le projet américain, y compris sa composante européenne ».

Dans les dix années à venir, M. Poutine prévoit de passer pour 772 milliards de dollars (583 milliards d’euros) de commandes militaires. La liste des courses est éclectique : 400 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux ; 2 300 blindés de la dernière génération ; 600 avions de combat ; 8 sous-marins porteurs de missiles nucléaires et 50 bâtiments de surface – sans compter une palanquée de matériels plus légers.

A l’arrivée, en 2022, le poste défense dans les finances publiques russes représentera de 5 % à 6 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.

La plupart des experts s’accordent sur trois points. L’état de l’armée russe actuelle n’est pas brillant et justifie une politique de modernisation. Mais le programme de M. Poutine n’en est pas moins marqué par quelque chose qui relève de la paranoïa. Enfin, il est à peu près sûr que l’industrie de défense russe est incapable de fournir ce que lui demande le candidat.

Le deuxième effort militaire le plus notable sur la planète est celui de la Chine. D’ici à 2015, son budget militaire aura doublé, estiment cette semaine les spécialistes de la revue Jane’s Defence. Il devrait alors atteindre 238 milliards de dollars (180 milliards d’euros). Cela fait plus de vingt ans que son taux de progression est à deux chiffres.

Jane’s Defence juge que le total des dépenses militaires chinoises se montera à 120 milliards de dollars en 2012, soit plus que le budget militaire combiné des huit premiers membres de l’OTAN, à l’exception des Etats-Unis. Méfiants et très concernés, les Japonais assurent que les Chinois ne donnent pas les vrais chiffres de leurs dépenses militaires. Jane’s Defence considère qu’elles ne sont pas disproportionnées : elles représenteraient 2 % du PIB de la deuxième économie mondiale.

Qui est l’ennemi ? Cette fois encore, les Etats-Unis. Mais les analystes de la politique de défense chinoise disent que Pékin n’a aucunement l’intention d’égaler la puissance militaire américaine. Le premier objectif stratégique des Chinois est de protéger leur environnement maritime, ces 1 800 kilomètres de côtes qui s’étirent de la mer Jaune au nord à la mer de Chine méridionale. Voies d’eau essentielles qui acheminent une énorme partie de l’approvisionnement énergétique et alimentaire du pays.

La Chine considère que cette zone maritime relève de sa tutelle. C’est là, et pas ailleurs, qu’elle entend afficher sa prépondérance. Les armes qu’elle développe – missiles anti-porte-avions, porte-avions, bombardiers furtifs – n’ont qu’un objectif : chasser les Etats-Unis du Pacifique occidental.

Les Américains ne vont pas se laisser faire. Au contraire. Ils veulent rester une puissance militaire écrasante – plus de 40 % de l’effort militaire mondial à eux seuls. Avec plus de 700 milliards de dollars, leur budget de défense 2011 est à peine inférieur à ce que M. Poutine veut dépenser d’ici à 2022.

L’Amérique sort de dix ans de guerre, en Irak et en Afghanistan, avec des résultats mitigés. Lancés par George W. Bush, qui a simultanément diminué les impôts, ces deux conflits ont fait exploser la dette américaine.

Pour des raisons financières et stratégiques, Barack Obama veut dégager les Etats-Unis de ces engagements prolongés à l’étranger. Il a commencé à réduire le budget de la défense, un peu. L’objectif affiché est de passer en dix ans d’un volume de quelque 700 milliards de dollars annuels à un peu moins de 500. Ce qui devrait assurer aux Etats-Unis une domination militaire incontestée jusqu’au beau milieu du siècle…

Mais M. Obama réoriente aussi les priorités stratégiques du pays. Il veut contrer le projet chinois : l’Amérique restera, dit-il, une puissance militaire du Pacifique. Elle y renforce ses alliances et en noue de nouvelles. Aucune coupe dans le budget de la défense ne concernera cette région. Le réalignement américain se fait aux dépens de l’Europe.

Il n’y restera bientôt plus que 30 000 soldats américains, contre 100 000 encore à la fin de la guerre froide.

L’Europe choisit ce moment précis pour désarmer. Massivement. Elle ne s’estime pas concernée par la course aux armements alentour. Ni par le retrait américain du Vieux Continent ou par les années de turbulences qui s’annoncent au Proche-Orient.

A l’exception de la France et de la Grande-Bretagne, tous les pays européens taillent dans leur défense. Ils avancent qu’ils modernisent et rationalisent leurs armées. Mais l’argument cache mal la réalité : les Européens désarment. Renonceraient-ils à être l’un des acteurs du siècle ?

source le monde fev12

2 réponses »

  1. « acteur du siècle »

    par les armes ?
    on voit la logique béllicite des petits esprit d’europe

Laisser un commentaire