Commentaire de Marché

Roberto Lavagna: « Si l’objectif était de sauver les banques, c’est réussi » (A propos de la crise Grecque)

Roberto Lavagna: « Si l’objectif était de sauver les banques, c’est réussi » (A propos de la crise Grecque)

 En 2002, Roberto Lavagna, ancien ministre argentin des Finances, avait organisé la restructuration de la dette de son pays. Il commente la gestion de la crise grecque.

Le Temps: Quel regard portez-vous sur la crise de la dette en Grèce?

Roberto Lavagna: Un regard d’étonnement sur l’orthodoxie imposée avec les recettes du Fonds monétaire international (FMI). Pourtant, tout montre que ces recettes appliquées en Asie (Indonésie) ou en Amérique du Sud (Brésil) n’ont pas marché. Je pensais que la troïka (ndlr: FMI, Banque centrale européenne et Commission) pouvait mettre un peu plus d’imagination. Résultat: deux ans après l’éclatement de la crise, la Grèce se trouve dans une situation plus grave et plus dangereuse qu’en 2009.

– Quelles sont les similarités entre la crise de la dette en Grèce et en Argentine?

Dans les deux cas, la production était en chute, les déficits se creusaient, les investissements diminuaient et le chômage progressait.

– Et les différences?

– La situation sociale était explosive dans les deux pays, sauf qu’en Grèce le revenu par habitant est le double de celui de l’Argentine. Sur le plan institutionnel, la Grèce fait partie d’un ensemble très puissant alors que l’Argentine était esseulée.

– Mais l’Argentine est riche en ressources naturelles…

Oui, mais cela n’avait pas empêché le pays de tomber dans la trappe de la dette en 2001. Nous sommes devenus une puissance agricole plus tard.

– Qu’ont fait de faux les dirigeants européens dans cette crise?

– Ils ont pensé retrouver l’équilibre budgétaire en même temps qu’une contraction budgétaire. La Grèce est en récession depuis cinq ans et on continue à lui imposer l’austérité qui freine la croissance, tue la création d’emplois et paralyse la consommation. Par ailleurs, après avoir exclu une restructuration pendant de longs mois, ils ont changé d’avis seulement en juillet 2011. Au début, ils voulaient annuler seulement 20% des créances privées. C’est seulement en novembre qu’ils ont évoqué un taux de 50%. L’échange des titres se fait ces jours avec un rabais de 53,5%. Que du temps perdu. Entre-temps, salaires, pensions et dépenses publiques ont diminué. Ce qui a encore réduit le pouvoir d’achat .

Dans une récente interview au quotidien français «Libération», vous accusez la troïka de vouloir sauver les banques européennes plutôt que les Grecs…

Je constate la réalité. Je ne la juge pas. Le niveau de vie de la population grecque a baissé sur tous les plans depuis deux ans. En même temps, les banques qui avaient prêté à la Grèce ont réduit leur exposition de 60%. Si l’objectif était de sauver les banques, c’est réussi. Si l’objectif était d’aider la Grèce, le résultat n’est pas encore là.

– Venons-en à l’Argentine. La crise de la dette est-elle derrière?

– Oui. L’argent qu’on devait mettre pour rembourser la dette a été investi dans le développement. Résultat: le pays a connu une croissance annuelle de 9% entre 2002 et 2005. En cas de restructuration de la dette, il y a toujours un groupe de créanciers qui n’en veut pas. Mais ce ne sont pas ces détails mineurs qui empêchent le pays de se redresser. En 2006-07, il y a eu un changement de politique économique et, de mon point de vue, il y a de nouveau des déséquilibres qui s’installent. Depuis 2007, l’inflation est de retour.

– Dans une interview au «Temps» le 7 mars 2002, juste avant d’être nommé ministre, vous disiez votre opposition au FMI…

Avant 2002, l’Argentine avait déjà adopté deux plans d’aide du FMI. Sans résultat. Le FMI en voulait un troisième pour un montant de 25 milliards de dollars à ma nomination. J’ai dit non.

Que pensez-vous du Mécanisme européen de sauvetage qui est une sorte de Fonds monétaire européen?

– C’est une bonne initiative. Aussi longtemps qu’il n’y a pas de contrôle sur les flux financiers qui sont la source des problèmes, chaque région doit se constituer des réserves pour faire face aux crises à venir.

Au FIFDH ce soir: «Sous le joug des marchés financiers», un débat avec Roberto Lavagna, Martine Brunschwig Graf et Charles Wyplosz, modéré par Frédéric Lelièvre du Temps. Il sera précédé du documentaire grec «Krisis».www.fifdh.org

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