Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito du 16 Mars 2012 : Tentative de rupture de liaisons dangereuses par Bruno Bertez

 L’Edito du 16 Mars 2012 :  Tentative de rupture de liaisons dangereuses par Bruno Bertez

Le présent article renvoie à notre publication du 03 Mars dont l’idée-titre était: « Le feu est vert, le rouge est mis ».  Cet article avançait l’idée que le feu était vert pour la spéculation sur les marchés, mais, qu’en contrepartie, le rouge de nouveaux déséquilibres, de l’instabilité, de la fragilité, lui,était mis. Toujours la même idée, il n’y a pas de positif sans négatif, pas stimulation sans unintended consequences. Rien n’est gratuit, tout a un prix.

Powdering the Wig, Dangerous Liaisons

   Nous indiquions que les améliorations de l’économie réelle étaient provoquées par ce qui était dans l’ombre, à savoir la dérive sans précédent, les audaces et imprudences dans la sphère financière. Le prix de l’embellie économique, c’est l’aggravation du risque financier, l’irrésistible progression de la fragilité, l’exponentielle ascension de la complexité.

Juste un exemple en passant, la baisse des rendements sur les périphériques européens grâce aux achats de dettes souveraines courtes et moyennes par les banques nationales des pays concernés, le Sakozy-trade, a pour contrepartie une hausse définitive du risque sur ces banques, au lieu de réduire leur exposition, en bonne gestion, elles augmentent cette exposition selon le raisonnement: si je tombe, tout tombe, après moi le déluge.

LTRO

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La spéculation a bien vu que le feu était vert: les marchés montent et passent leur précédents plus hauts. Le S&P 500 qui est notre indice proxy de l’ensemble des marchés a franchi la barre des 1375 et flirte à l’instant où nous écrivons avec les 1400.

Le VIX, indice de volatilité qui passe pour une mesure du risque, mais est en réalité une mesure de la complaisance, a touché un plus bas de 52 semaines sous les 14!

 

On s’accorde, à juste titre, à considérer que les marchés ont besoin de consolider et de trouver des relais, mais cela n’empêche pas de considérer que la hausse doit se poursuivre.

La cause fondamentale, basique, de la hausse, c’est, nous l’avons dit et redit,  le gonflement du bilan des banques centrales. Ce que l’on appelle plus ou moins justement le printing.

Ce gonflement des bilans des banques centrales équivaut au schéma suivant :  

On crée du cash, ce cash est donné au système financier pour qu’il achète des bonds souverains, on retire des montants plus ou moins équivalents de l’économie, on met cet argent en réserve ou  »term deposit ». Le résultat est que l’argent se retrouve chez les grandes institutions financières, chez les Primary Dealers, pas dans l’économie réelle, ce qui alimente les spéculations. Cela alimente les spéculations, mais pas l’inflation en terme de CPI,  puisque les agents économiques, consommateurs, n’en voient pas la couleur.

Compte tenu du fait que les masses sont énormes et que les banques centrales garantissent que cela durera encore longtemps, la spéculation s’enhardit, les animal spirits se réveillent et deviennent exubérants. Le momentum enfle.

Tout cela crée un climat, un sentiment, qui, à la marge, influence le moral des agents économiques et provoque l’illusion d’une embellie, selon les cas et les situations, plus ou moins solide.

Aux Etats-Unis, l’embellie, mesurée par les indicateurs retards et coïncidents, passe pour réelle, on finit par y croire.

L’emploi, qui est un indicateur retard, s’améliore grâce en particulier à un soutien keynésien et surtout une météo exceptionnelle qui fausse toutes les appréciations. Les désaisonnalisations, contrairement à ce que l’on pense, ne tiennent pas compte des météos exceptionnellement favorables et corrigent les statistiques comme si le temps était mauvais. C’est un point parmi d’autres. Il en va de même pour les ventes au détail stimulées par la douceur du temps et l’arrêt du deleveraging des consommateurs. Ils tirent à nouveau sur leur épargne déjà bien maigre.

 

 

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Bernanke a tendance à minimiser l’amélioration économique en cours, à la fois parce qu’il sait qu’elle est gonflée, mais aussi parce qu’il ne veut pas resserrer le dispositif monétaire. Il louvoie, maintient le laxisme existant, mais s’abstient de jeter de l’huile sur le feu des marchés: il n’évoque  plus de prochain Quantitative Easing.  Il n’aborde plus la question. Cela n’empêche pas de maintenir un petit espoir par le biais d’indiscrétions à la presse bien sûr. C’est ce que l’on appelle le fine tuning des anticipations.

Pendant ce temps, en Europe, on est sur le petit nuage des LTRO, sur les fausses réformes et les vraies campagnes électorales. Les problèmes sont toujours là, les marmites mijotent à feu doux, mais ils passent au second plan, du moins pour les médias grande presse. On remarque à peine le chant du cygne de Weidmann, patron de la Bundsbank, qui pleure dans le vide l’imprudence de la BCE,  le maintien en vie de banques zombies,l’insuffisance des réformes et surtout l’absence de politique de sortie, d’Exit des politiques dites non-conventionnelles.

Du côté des émergents, plus grand chose ne va, on dirait qu’ils n’émergent plus. La Chine capote et aligne des déficits, Wen dit que la hausse du Yuan est terminée, JP Morgan dit que la Chine est déjà dans l’atterrissage brutal. L’Inde est en grande difficulté faute de maitrise de son inflation, quant au Brésil, il n’en finit pas de rechercher les bons réglages.

N’oublions pas le Japon, qui, lui aussi, connait maintenant le déficit extérieur, les politiques font une pression forcenée sur la BOJ pour obtenir encore plus de laxisme. Le yen baisse fortement, ce qui est souhaité, mais n’est pas forcément bon signe quand on sait que le Japon est une catastrophe en attente d’arriver.

 

    • En résumé, la situation nous parait être la suivante:

Une aisance monétaire considérable actuelle et garantie pour durer

Une illusion  ancrée que rien ne peut  s’opposer aux poursuites des largesses des banques centrales

Une amélioration conjoncturelle incontestable aux Etats Unis

Une Europe sous couveuse, protégée par la BCE et le pseudo pacte fiscal

Un Japon qui injecte et injecte toujours plus de monnaie

Une Chine qui tangue

Des émergents qui pataugent

    • Que croyez-vous qu’il se passe? La logique, à savoir qu’au contraire de 2008 et 2009, les capitaux, au lieu de quitter le Centre, les Etats Unis,  y reviennent. C’est exactement le mouvement inverse.

C’est à notre avis ce qui explique le phénomène majeur de ces dernières semaines, la rupture tous azimuts des corrélations. La dislocation des liaisons observées depuis 2008 et 2009.   La faiblesse du dollar n’est plus nécessaire à l’incitation au  risk-on. Le S&P 500 réussit à monter quand le Dollar Index grimpe et quand l’euro et le yen  baissent.

Non seulement les corrélations se brisent, se réaménagent, mais les blocs, les classes du risk-on et risk-off se disloquent. Les divergences se multiplient.

Ceci peut être interprété de deux manières, soit le comportement du marché actions est une anomalie passagère et tout va rentrer dans l’ordre, soit les conditions sous-jacentes aux marchés se réaménagent, en profondeur.

Sans trancher, nous aurions tendance à privilégier la seconde hypothèse, celle du mouvement souterrain. Pour nous, tout se passe comme si on assistait à une tentative de rupture des liaisons, une tentative de divorces de ces couples qui ont dominé la phase précédente de la crise.

 Certes, les mouvements ne font que s’ébaucher, mais  la fermeté probable  du dollar modifie toute la donne. Quand le dollar est faible parce qu’il est surabondant en raison des printing US, on spécule sur les commodities, l’or etc., mais quand il est ferme et que la liquidité vient d’ailleurs ,les commodities, l’or, etc. s’imposent beaucoup moins, il y a mieux à faire.  Comme le dit Faber,  les liquidités des banques centrales se dirigent là où est le momentum du moment et le momentum n’est pas anti-dollar, mais dollar.

Le dollar est en tendance haussière depuis Avril 2011, on vient de 72,50 au Dollar Index. On est un peu en-dessous des 81. Un passage au-dessus des niveaux de début 2011 serait certainement un choc. Certainement un signal qui ne passerait pas inaperçu. On n’en est plus très loin. Nous vous rappelons que le dollar est monnaie de carry et que, si le dollar continue sa hausse, c’est tout le paysage qui  va se trouver transformé. Et soit dit en passant, pas dans un sens très favorable pour certains spéculateurs en levier.

 

    • La rupture des corrélations, la dislocation des complexes du risk-on et risk-off sont l’enjeu de la situation présente. Les corrélations passées ont totalement joué contre la FED. Elles ont joué contre la FED selon la séquence suivante :
  1. -Je printe
  2. -Le dollar baisse
  3. -Sentiment plus positif des consommateurs et des petites entreprises
  4. -Hausse spéculative du pétrole, de l’essence , des matières premières, des inputs en général
  5. -Le sentiment se détériore d’autant plus que le pouvoir d’achat n’est pas là et que les dettes pèsent
  6. -La reprise s’étouffe
  7. La FED connait la musique.

Contrairement à 2010, il y a bien des greenshoots, peut-être même qu’elles ne demandent qu’à prendre racines, mais cette fois, le problème est qu’elles risquent d’étouffer.

Elles risquent d’étouffer parce que l’inflation n’est pas aussi bien contenue que ne le dit Bernanke, il suffit de regarder les opinions sur les prix payés et à venir dans les enquêtes, il suffit de regarder les mesures indépendantes, alternatives, privées, de la hausse des prix. Il suffit de regarder les loyers, les carburants…

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Les greenshoots  risquent d’étouffer parce que les taux se tendent brutalement et tout le long des maturités. Les taux courts viennent de quasi doubler, les Treasuries à 10 ans sont sortis de leur long trading range qui prévalait depuis Octobre, les rendements sont passés au-dessus de 2,20%, près de 2,30%, donnant ainsi un signal technique de renversement de tendance. Ce n’est guère encourageant pour les refinancements sur lesquels Obama et Bernanke comptent beaucoup.  Quant au 30 ans, il a rejoint sa limite supérieure d’Octobre  dernier à 3,5% ce qui n’est, bien sûr, pas bon pour le housing.

BRUNO BERTEZ Le 16 Mars 2012

EN LIENS : L’Edito du 3 Mars 2012 : Le feu est vert; le rouge est mis par Bruno Bertez

Les Clefs pour comprendre : QE /Les Constructivistes de la FED à l’épreuve de la mécanique des fluides par Bruno Bertez

EN BANDE SON :  

1 réponse »

  1. Samedi 17 mars 2012 :

    A propos de l’Espagne :

    Les banques espagnoles ont obtenu 47 % des prêts accordés par la BCE en février ; la dette publique de l’Espagne est de 110 % du PIB, et non de 68 % comme elle l’avait déclaré ; l’Espagne va imploser. C’est un miracle que ça ne soit pas encore arrivé.

    Spanish Banks Account for 47% of ECB Credit in February ; Spain’s Real Debt to GDP Ratio is 110% Not Reported 68% ; Spain Will Implode. It’s a Wonder it Hasn’t Already.

    http://globaleconomicanalysis.blogspot.fr/2012/03/spanish-banks-account-for-47-of-ecb.html

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