Behaviorisme et Finance Comportementale

Immobilier : Tous propriétaires? Un calcul économique risqué

Tous propriétaires? Un calcul économique risqué

Infographie. Plus de propriétaires, et plus de chômeurs

Un peuple de propriétaires rend-il  un pays prospère?

Au-delà de l’aspiration personnelle, largement répandue, à posséder son logement, le calcul peut être économiquement risqué, comme l’a démontré Andrew Oswald. A la fin des années 1990, ce professeur d’économie de l’Université de Warwick fit trois constats. L’Espagne présentait le plus fort taux de chômage des pays industrialisés, et aussi le plus fort taux de propriétaires; la Suisse affichait, elle, le plus faible taux de chômage et le plus faible taux de propriétaires; dans les années 1950 et 1960, les Etats-Unis présentaient le plus fort taux de chômage… et le plus fort taux de propriétaires.

Le chercheur a alors affiné ce que l’on nomme aujourd’hui «l’hypothèse d’Oswald»: la propriété du logement restreint la mobilité des travailleurs, ce qui limite la capacité d’adaptation d’une économie, et élève son taux de chômage dit «naturel».

Andrew Oswald a validé son hypothèse en la confrontant aux données, et produit des graphiques éloquents, y compris pour la Suisse .L’universitaire britannique en conclut que des déductions fiscales pour stimuler l’accession à la propriété ne relèvent pas de la plus grande «sagesse».

MOINS DE PROPRIOS EN SUIVANT :

Son raisonnement s’appuie sur cinq mécanismes. Premièrement, vendre une maison n’est pas si simple. En cas de crise économique, la chute des prix immobiliers incite les propriétaires à retarder le moment de la cession pour éviter une perte. Cela les rend moins mobiles, et peut les faire renoncer à un emploi situé trop loin de leur domicile.

Deuxièmement, ces mêmes propriétaires vont se contenter de postes de travail qui ne leur conviennent pas parfaitement. L’économie fonctionnera alors de façon inefficace.

Troisièmement, un fort taux de propriétaires contraint la mobilité des jeunes actifs. Ces derniers n’ont pas forcément les moyens d’acheter un logement proche de leur travail. Si les logements en location manquent, ces actifs ne peuvent pas se déplacer dans les régions qui ont demandé leurs bras.

Quatrièmement, un fort taux de propriété restreint l’utilisation de l’espace. Par exemple, une entreprise va difficilement réaliser ses projets d’extension si, face à elle, un grand nombre de propriétaires peut s’y opposer.

Cinquièmement, la pendularité accrue qui découle de l’immobilisme des propriétaires pèse sur les infrastructures. Leur congestion inflige un coût à l’ensemble de l’économie.

Plus de dix ans après la publication de l’article d’Andrew Oswald, le sujet reste d’actualité. En fin d’année dernière, une étude du Brookings Institution a expliqué la persistance du chômage aux Etats-Unis par, notamment, la hausse récente du taux de propriétés du logement (vive les «subprime»!). Une progression qui a limité la légendaire mobilité des Américains.

Voilà beaucoup de raisons de s’inquiéter de la hausse, en Suisse, du taux de logements en propriété. Dans un rapport qui fait référence publié le mois dernier, Wüest & Partner observe que ce taux a reculé entre 1950 et 1970, à 28,5%. Depuis il n’a cessé de progresser et connu une hausse plus marquée ces toutes dernières années. «La barre des 40% à portée de main», écrit le cabinet de conseil immobilier.

 L’hypothèse d’Oswald est contestée. Dans Locataire ou propriétaire?, un livre qu’il a coécrit en 2002, Philippe Thalmann, professeur à l’EPFL, cite une étude néerlandaise qui contredit certaines conjectures de son homologue de Warwick. «Les propriétaires-occupants ne sont pas plus touchés par le chômage que les locataires», constate-t-elle.

Dans un article à paraître cet été dans Economie et Prévision, une revue française, Carole Brunet et al. démentent aussi la relation positive taux de propriété/chômage, sur des données américaines et françaises. Si leur résultat n’est pas extrêmement «significatif», comme disent les statisticiens, ces chercheurs de Paris et Lyon avancent que les propriétaires sont prêts à travailler pour un salaire plus bas que les locataires, ce qui leur permet de retrouver du travail plus vite.

Concernant la Suisse, en l’absence d’étude récente, on pourra supposer que la petite taille du pays et la qualité de ses infrastructures de transport limite probablement la portée de l’hypothèse d’Oswald. Son travail incite cependant, du strict point de vue de l’emploi, à considérer avec prudence tout nouveau soutien public à l’accession à la propriété. Sans compter que la surchauffe du marché immobilier se confirme chaque jour ou presque.

Par Frédéric Lelièvre/le temps mai12

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