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Marchés : La démonstration de neutralité

Marchés : La démonstration de neutralité

Obligataire. Le marché des capitaux souverains jugera le nouveau président français sur ses actes. Et non sur une simple étiquette.

Les actifs risqués digèrent mal les mauvaises nouvelles économiques et les développements politiques survenus au cours de la semaine écoulée. La victoire du socialiste François Hollande n’a évidemment pas contribué à apaiser l’atmosphère, mais il serait abusif d’y voir la seule cause du repli des indices boursiers. Le climat est délétère en raison des grands défis structurels auxquels la zone euro est confrontée et des incertitudes qui planent sur la solidité de la reprise aux Etats-Unis.

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 Le message transmis par les indicateurs américains est confus. Mardi passé, la progression de l’indice ISM consacré au secteur manufacturier (54.8 en avril après 53.4 en mars) venait infirmer les signes de ralentissement mis en lumière par les enquêtes régionales (Philadelphie, New York, Chicago). Les nouvelles publiées en fin de semaine étaient moins souriantes : le déclin de l’indice ISM consacré aux secteurs non manufacturiers (53.5 après 56) et le fléchissement des créations d’emplois (115’000 postes en avril après 154’000 en mars) traduisent un essoufflement de la reprise. La baisse du taux de chômage de 8.2 % à 8.1 % est trompeuse, car elle résulte d’une réduction de la main d’œuvre disponible concomitante à la baisse du taux de participation au marché du travail.

 US Chicago #PMI follows Empire State and Philly Fed indexes by turning lower in Apr #losingmomentum 

Ces chiffres en demi-teintes ne permettent pas de conclure à une rechute de l’économie américaine, à la différence du « double dip « qui frappe plusieurs économies européennes. Ni franchement inquiétants, ni réjouissants, les développements américains placent la Réserve Fédérale dans une situation délicate à deux mois de l’achèvement du programme « Twist 2». Ironiquement, les chiffres américains ne sont pas assez alarmants pour justifier une nouvelle salve d’assouplissement quantitatif. Malgré cette incertitude, les rendements des emprunts du Trésor US demeurent sous pression, tout près des niveaux les plus bas jamais observés, et le pronostic de maintien des taux d’intérêt près de zéro jusqu’en 2014 paraît renforcé.

FFR. 

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En Europe, l’élection de François Hollande a reçu un accueil serein sur le marché des capitaux en euro. Aux environs de 120 points de base, le surplus de rendement réclamé à la France par rapport à l’Allemagne est stable. Le léger creusement observé au lendemain du premier tour étaient sans commune mesure avec les tensions sévères qui s’étaient manifestées durant l’automne 2011. Les pronostics catastrophistes émanant de commentateurs en quête de visibilité ont été démentis. Les marchés financiers jugeront le nouveau président sur ses actes plutôt que sur son étiquette et ses ambitions.

 

Comme évoqué la semaine passée, nous pensons que la posture anti-austérité et pro-croissance de François Hollande est essentiellement rhétorique. La capacité de la France à infléchir le cours de la politique économique européenne semble limitée. L’Allemagne est aujourd’hui en position de force, même si elle aurait beaucoup à perdre d’une désintégration de la zone euro. En outre, l’agenda électoral de Angela Merkel n’est pas de nature à faciliter les relations avec les Français. En matière de politique de croissance, les Allemands prônent des mesures axées sur l’offre, difficiles à réconcilier avec les aspirations socialistes (sauf pour Gerhard Schroeder), mais ils sont réfractaires à toute forme de relance par les dépenses. Ils pourraient néanmoins faire quelques concessions à François Hollande qui a proposé de recourir à la Banque Européenne d’Investissement pour financer des grands travaux d’infrastructures. Le « grand emprunt « de Nicolas Sarkozy s’inscrivait dans le même logique, à l’échelle de la France, tandis que le projet de François Hollande devrait s’appliquer à toute la zone euro et faire contrepoids aux cures d’austérité.

 

Les ambitions de François Hollande pourraient aussi se heurter aux résidus d’orthodoxie de la BCE. Pour l’heure, Mario Draghi et le Conseil des gouverneurs semblent adhérer à la vision allemande. La convergence de vue est telle que certains commentateurs s’inquiètent de l’influence jugée excessive de Jens Weidmann, président de la Bundesbank. Dans les colonnes du Temps du 25 avril, Charles Wyplosz invitait François Hollande à « défendre l’indépendance de la BCE et la protéger d’un veto allemand en matière de prêteur en dernier ressort «. Jamais avare de conseils, l’hebdomadaire The Economist appelle Jens Weidmann à tolérer une accélération de l’inflation en Allemagne pour faciliter le rétablissement de la compétitivité des économies « périphériques « et alléger le fardeau réel des dettes publiques. Il est vrai que les Britanniques ont développé une expertise dans cette approche, sans grand succès à ce jour…

  

Quelle que soit l’influence réelle du patron de la Bundesbank, il est peu probable que la BCE se plie aux volontés de la France ou aux conseils des anglo-saxons. Le Conseil des gouverneurs a décidé jeudi de maintenir le taux d’intérêt directeur à 1 % et Mario Draghi n’a exprimé aucune volonté d’accentuer les efforts de relance dans un avenir proche. La BCE estime que les deux LTROs conduits cet hiver ont permis d’éviter un « credit crunch «, mais elle paraît très réticente à entreprendre une troisième opération de ce type. Une réduction du taux directeur, à portée symbolique, semble toutefois assez probable au regard de la dégradation de la marche des affaires (PMI manufacturier à 45.9 en avril après 47.7 en mars; PMI services à 46.9 après 49.2) et de l’augmentation continuelle du chômage dans le zone euro (10.9 % en mars… et davantage au cours des prochains mois !). Une fois n’est pas coutume : le marché du travail allemand s’est aussi dégradé (19’000 chômeurs en plus en avril).

La situation chaotique issue des urnes grecques met en lumière la difficulté des ajustements structurels réclamés par la crise de la dette européenne. La Grèce est désormais presque ingouvernable et la « Troïka UE-FMI-BCE « pourrait se trouver privée d’interlocuteurs légitimes. La perspective d’une restructuration de la dette gouvernementale détenue par les créanciers publics, voire d’un nouveau défaut frappant les créanciers privés, se profile déjà l’horizon. En bref, l’édifice européen demeure très instable ; son effondrement ne peut plus être complètement écarté.

François Christen Dynagest SA Genève mai2012/Agefi

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