Art de la guerre monétaire et économique

Marc Faber :«Le marché des matières premières est pipé»

Marc Faber :«Le marché des matières premières est pipé»

Célèbre pour sa lettre financière mensuelle intitulée «Gloom, Boom & Doom Report», Marc Faber livre son analyse sur l’état de l’Europe, des Etats-Unis et de la Chine

EN LIEN : Marc Faber sur la Radio suisse RTS le 7 juin 2012

Célèbre pour sa lettre financière mensuelle intitulée «Gloom, Boom & Doom Report», Marc Faber a prédit avec justesse le krach boursier de 1987, la chute des actions japonaises deux années plus tard et la crise financière actuelle. Le Temps a rencontré le gourou de la finance, de passage à Zurich avant de repartir en Thaïlande.

Le Temps: L’Union européenne vient d’accorder une aide de 100 milliards d’euros pour sauver les banques espagnoles. Cela aidera-t-il l’Europe à se sortir de la crise?

Marc Faber: Non, absolument pas. Les obligations italiennes et espagnoles ont chuté lundi. Cette dégringolade indique que les marchés n’apprécient pas une dette supplémentaire de 100 milliards d’euros pour l’Espagne. D’autant plus qu’en cas de défaut de l’Espagne, les détenteurs de ces obligations passeront avant les autres.

L’Europe peut-elle surmonter la crise?

Oui, mais la crise de l’Union européenne est le résultat d’interventions continues des Etats sur la politique monétaire et fiscale. En 2000, la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut (PIB) de l’UE s’élevait à 44%. Elle atteint aujourd’hui 49%.. Durant cette période, les dépenses des gouvernements ont crû de 76%. Et maintenant, les gens viennent me parler de politiques d’austérité en Europe. De quelle austérité parle-t-on? Les gouvernements devraient-ils être responsables de 80%, voire de 100% de l’économie comme dans les pays communistes? Le problème des déficits fiscaux dure depuis trente ans. Dans le monde entier, excepté l’Asie qui est disciplinée, l’endettement, comparé à l’évolution du Produit intérieur brut, a fortement augmenté. Dans les pays d’Asie, la crise de 1997 a fait place à des politiques de désendettement. Aujourd’hui, nous avons atteint une limite. L’augmentation de la dette n’est plus à même de créer de la croissance économique. En Europe, elle est plombée pour les dix années à venir, voire davantage. Il serait donc meilleur de souffrir à moyen terme plutôt que continuer de repousser le problème de la dette. En France, en diminuant l’âge de la retraite à 60 ans, Hollande est complètement à côté de la plaque. Il faudrait plutôt l’augmenter à 80 ans. Après la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal viendra tôt ou tard le tour de la France.

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L’économie américaine semble par contre avoir retrouvé des couleurs depuis la crise. Est-ce une évolution durable?

– L’économie américaine a atteint son plancher en 2009. Certains secteurs ont rebondi depuis, d’autres pas vraiment. Mais si on regarde tout ce qui a été injecté dans l’économie durant les dernières années en augmentant les dettes, soit 1300 à 1400 milliards de dollars par an, la performance des entreprises est complètement misérable. En revanche, ce qui a rebondi le plus, c’est les bonus des banquiers.

Comment évaluez-vous la probabilité d’un crash des obligations d’Etat américaines?

Elles constituent un très mauvais investissement. Sur dix ans, on peut obtenir à peine un rendement de +1,6%. Je reste très pessimiste sur les Etats-Unis. Quel que soit le gouvernement, ils ne vont pas réduire les dépenses, bien au contraire. Or, l’endettement atteint aujourd’hui 16000 milliards de dollars, contre 5000 milliards il y a douze ans. Ceci, sans compter les engagements non couverts des entreprises d’Etat. Ils représentent un endettement de 60000 milliards de dollars. L’avantage des Etats-Unis sur la Grèce est que même si leur économie va plus mal, ils peuvent imprimer de l’argent. Mais cela ne réglera pas leurs problèmes. La chute des obligations des Etats-Unis devrait se produire dans les trois prochaines années.

La Chine fait face à un ralentissement. Certains spéculateurs s’attendent à un programme de relance dans le pays. Comment analysez-vous la situation en Chine?

Le ralentissement est significatif en Chine. Il est évident qu’il y avait une bulle du marché immobilier et des crédits. La consommation de ciment et d’acier est en recul, comparé à un an auparavant. Il n’y a pas besoin d’être économiste pour comprendre que si les prix du minerai de fer ou du cuivre reculent, la Chine se retrouve face à un problème. Certains ne veulent pas le voir, car ils ont des intérêts dans le pays. Je ne suis donc pas confiant vis-à-vis de la Chine et de tout autre pays qui connaît actuellement une très forte croissance. Aujourd’hui, le ralentissement de l’économie est global. Les entreprises cycliques, par exemple dans l’industrie, sont confrontées à des annulations de commandes.

Les prix des matières premières ont baissé sur an. Quelle évolution voyez-vous durant les prochains mois?

Je suis assez pessimiste sur les prix futurs du cuivre, du nickel et de l’aluminium, en raison d’une plus faible demande de la Chine.

Le secteur des semences est dominé par Syngenta et Monsanto, celui des matières premières industrielles par Xstrata, Glencore et quelques autres acteurs. N’y a-t-il pas un risque d’influence et de contrôle sur les prix que procurent des marchés oligopolistiques?

Ces marchés peuvent être manipulés. J’ai été invité à un repas qui réunissait les directeurs de Rio Tinto, BHP Billiton et Glencore, ainsi que les grandes fortunes russes. Ils se connaissent tous très bien et il n’existe aucun problème pour eux de faire augmenter le prix de 20% de telle ou telle matière première. Mais c’est la même chose avec McDonald’s et Burger King ont Etats-Unis, voire du côté des banques sur le niveau des commissions. Je ne suis donc plus convaincu que nous soyons dans un marché libre. Il est clair que les investisseurs ne peuvent avoir accès aux mêmes renseignements en même temps que les patrons des multinationales. Ils sont désavantagés sur les seconds qui contrôlent des marchés devenus pipés. Cela explique pourquoi les investisseurs privés sont de moins en moins actifs sur les marchés actions.

– Quels sont les pays asiatiques que vous jugez attractifs?

– Je mise sur la Thaïlande, la Malaisie et Singapour afin que le rendement du dividende de mon portefeuille s’élève environ à 5% par an. Ces marchés sont économiquement diversifiés et solides. Ils recèlent des entreprises qui offrent des rendements attractifs, même s’ils peuvent tout à fait subir une correction de 20% par rapport aux niveaux actuels. Cela ne m’inquiète pas, car je préfère les garder et ne pas avoir trop de liquidités. Environ un quart de mon portefeuille est composé d’actions, le reste est réparti équitablement entre l’or, les obligations et l’immobilier. A titre d’exemple, Singapour Telecom offre un rendement de 5%. Il s’élève à 5% à 7% pour les fonds immobiliers singapouriens qui investissent dans les hôpitaux, les bâtiments et les hôtels. Ils restent attractifs même si l’économie chinoise plonge et si leur rendement baisse de 50%.

Christoph Blocher et Oswald Grübel critiquent le plancher de 1,20 francs l’euro maintenu par la Banque nationale suisse. Qu’en pensez-vous?

– Le franc suisse ne me semble pas sous-évalué actuellement vis-à-vis de l’euro. En se rattachant à l’euro, la BNS a perdu son indépendance. A Singapour, le dollar est relié à un panier de devises, ce qui fait davantage sens. La Suisse aurait dû faire de même en liant le franc suisse à un panier composé du dollar américain, canadien et australien, de l’euro, de la livre sterling, etc… Cette solution est préférable que de lier le franc à une devise dont l’avenir est incertain. Mais de manière générale, je suis défavorable au lien d’une devise avec une autre. Pour moi, la force du franc n’est pas négative. Certes, en Suisse, le tourisme et l’industrie se plaindront toujours. Mais pourquoi ne baissent-ils pas leurs tarifs si le franc est fort? En Europe, un hôtel de luxe coûte en moyenne 500 euros. Pourquoi les établissements suisses n’ajusteraient-ils pas leurs tarifs en fonction de cette moyenne? La Suisse importe beaucoup de matières premières, comme le pétrole, le cuivre et le gaz. Elle bénéfice du franc fort. Par ailleurs, la plupart des entreprises exportatrices possèdent des sites de production à l’étranger, ce qui fait qu’elles ne souffrent pas autant du franc fort que les entreprises exclusivement nationales. Ici, les coûts du travail par rapport aux prix de vente des produits ne sont pas si élevés. Ils atteignent au maximum 1500 francs pour une montre vendue 10000 ou 20000 francs à Hong Kong. Les frais de marketing sont nettement plus élevés.

Vous annoncez depuis longtemps la fin du système actuel. Celui-ci nécessite de repartir sur de nouvelles bases. Quel est le monde que vous souhaitez voir émerger?

J’aimerais que la taille des gouvernements diminue de moitié. Il faudrait revenir à un système où les gens sont responsables de ce qu’ils font, où tout n’est pas garanti par l’Etat. Ils reviennent à une vie où ils épargnent davantage et arrêtent d’emprunter pour s’acheter des voitures, une maison, un réfrigérateur. Ils ne devraient pas non plus dépendre de leur pension pour survivre. Dans une démocratie, il est très problématique que les retraités aient autant de pouvoir sur les jeunes dans les votes. Cela va conduire à des tensions sociales croissantes. Tôt ou tard, le monde devra repartir sur de nouvelles bases.

Propos recueillis par Daniel Eskenazi ZURICH/ Le Temps Juin12

1 réponse »

  1. Pour le problème des retraites, peut-on signaler que la France a une place particulière en Europe?

    C’est la seule nation qui maintient une natalité positive et une pyramide des ages avec une base encore nette. Pour notre pays, les retraites seront payés par une population plus jeune et plus dynamique que dans le reste de l’Europe.

    Vu des États-Unis, la situation de la France ressemble à celle de l’Espagne. Mais vu d’ici ce n’est pas du tout la même chose, non ?

    Je ne suis pas souvent aussi cocorico, mais la France pour moi est mieux placée que l’Angleterre pour faire face à la crise.

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