Art de la guerre monétaire et économique

La «répression financière» est l’impôt qui effacera les dettes

La «répression financière» est l’impôt qui effacera les dettes

 «Répression financière», tel est le nouveau mot à la mode parmi les économistes. Il a été inventé en 1973 par Edward S. Shaw et Ronald Mc Kinnon, mais il a été remis à la mode l’an dernier par Carmen Reinhart

«Répression financière», tel est le nouveau terme à la mode parmi les économistes. Inventé en 1973 par Edward S. Shaw et Ronald Mc Kinnon, il a été remis au goût du jour et approfondi l’an dernier par Carmen Reinhart et Belen Sbrancia, dans un travail de référence *. «La répression financière menace les citoyens des Etats-Unis et d’Europe», écrit Michael Rasch, éditorialiste de la NZZ. La National Review annonce aussi «le retour de la répression financière». Mais de quoi s’agit-il?

http://www.bis.org/publ/work363.pdf

Le terme regroupe les mesures prises par l’Etat pour s’attirer, généralement auprès d’une clientèle captive, les capitaux qui autrement prendraient d’autres directions. Les politiciens y obtiennent un avantage considérable. Les coupes dans les dépenses budgétaires sont visibles et mal vécues par les électeurs. Dans ce contexte, la répression financière, surtout si elle est associée à l’inflation, est une alternative efficace. Un somnifère indolore et difficile à chiffrer. Un impôt qui ne dit pas son nom. En effet, elle permet un transfert de dettes sans effet d’annonce.

La répression financière est une pratique ancienne. Elle a déjà été employée au sortir de la Deuxième Guerre lorsque la dette publique atteignait, comme aujourd’hui, environ 100% du PIB dans les principaux pays (116% aux Etats-Unis). Elle se prolongea jusqu’aux années 1970, même si la dette américaine n’a pris que dix ans pour baisser de 40%.

L’instrument privilégié d’une telle politique, c’est le taux d’intérêt. La répression financière se traduit en effet par une intervention massive dans le système financier. L’interdiction de rémunérer les avoirs bancaires («Regulation Q» pratiquée de 1933 à 1986 aux Etats-Unis), ou de détenir de l’or («Confiscation Act» qui se prolongea jusqu’en 1974), les contrôles de capitaux, les lois poussant à l’achat d’obligations souveraines, font partie de cet arsenal. Comme l’indique Michael Rasch, la répression financière mène à une «alliance contre-nature» entre l’Etat, la banque centrale et les banques commerciales.

Pour Carmen Reinhart, la banque centrale joue un rôle clé dans la répression financière. L’idée consiste en effet à maintenir les taux d’intérêt nominaux en dessous du taux qui résulterait du jeu de l’offre et de la demande. Des taux d’intérêt artificiellement trop bas permettent de réduire la charge financière des gouvernements et contribuent à la réduction du déficit budgétaire.

Après la guerre, la liquidation des dettes publiques américaine et britannique par des taux réels négatifs correspondait à 3-4% du PIB par année (en Italie 5%), selon Reinhart et Sbrancia. Ainsi, par le jeu des intérêts composés, la répression financière a représenté la moitié de l’ajustement fiscal effectué aux Etats-Unis. Selon les deux économistes, durant la répression financière de 1945 à 1980, le rendement annuel réel des obligations souveraines américaines n’a pas été une seule année supérieure à 3%. Et dans deux tiers des années, il a été inférieur à 1%…

Les effets secondaires d’un tel remède sont particulièrement lourds: Avec des taux d’intérêt réels négatifs, on assiste à un transfert d’argent du créancier vers le débiteur, en l’occurrence l’Etat. Le grand perdant, c’est le créancier, donc l’épargnant privé ou institutionnel (caisse de pension). Keynes qualifiait ce processus d’«euthanasie du rentier».

Mais l’effet secondaire ne se limite pas à ce gigantesque transfert. La répression financière produit des distorsions dans l’allocation du capital. Si les taux sont trop bas, l’investisseur modifie son comportement. Il est incité notamment à s’endetter et, par exemple à acheter de l’immobilier. La politique de désendettement de l’Etat incite donc le privé à acheter un actif potentiellement surévalué. L’absurde de la situation ne s’arrête pas là. L’achat excessif d’immeubles incite à son tour les politiques, ou les banques centrales, à prendre des initiatives pour décourager l’accès à la propriété. Cette série d’interventions et de manipulations supprime le principe de vérité des prix. A l’évidence, on sort alors d’un système libéral.

La répression financière compte aussi ses partisans. Matt Stoller, chercheur au Roosevelt Institute, estime qu’elle n’a pas empêché des années de forte croissance au sortir de la guerre et une augmentation annuelle de 9% des investissements entre 1947 et 1980. Si elle n’a pas empêché des dizaines d’années d’expansion, pourquoi s’en priver aujourd’hui?

La situation n’est en rien comparable. A l’époque, les Etats étaient endettés à cause de l’effort de guerre et non d’un excès de consommation et de promesses sociales. L’inflation était également très élevée après la guerre. Aujourd’hui, le chômage est important en Europe et aux Etats-Unis, mais l’inflation très basse. De plus, non seulement les Etats mais également les banques et les ménages sont très endettés. Enfin, l’actuelle phase de répression financière ne s’accompagne nullement d’une augmentation du PIB et des investissements.

Pourtant, la répression financière va s’accélérer. Les réglementations obligeant les acteurs économiques à acheter les emprunts d’Etat se multiplient. C’est le cas des règles de solvabilité pour les assurances (Swiss Solvency Test en Suisse et bientôt en Europe avec solvabilité II) et de Bâle III pour les banques. Les assurances n’ont alors pas besoin de mettre du capital de côté si elles achètent des obligations d’Etat, alors que le coût de l’investissement est prohibitif pour l’achat d’actions, d’immeubles ou de placements alternatifs. Pourquoi s’étonner si les assureurs vie étaient les premiers acheteurs d’obligations de l’Etat français (les OAT).

Cela ne devrait pourtant n’être qu’un début, estime la NZZ. En effet, le taux d’endettement est bien plus élevé qu’on ne le dit. En France, il est officiellement de 86%, mais avec les garanties à l’UE, le taux grimpe à 146% du PIB. Il est encore plus indécent avec les engagements pour les systèmes de retraite et de santé.

* «The liquidation of government debt», Carmen Reinhart and Belen Sbrancia, NBER, 2011.

http://www.bis.org/publ/work363.pdf

Par Emmanuel Garessus/Le Temps juin12

1 réponse »

  1. C’est aussi le titre d’un excellent (déjà ) ouvrage, aujourd’hui introuvable, de Jean-Jacques Rosa, économiste visionnaire et courageux, qui y écrivait (en 1981!):

     » La France est un pays de finance réprimée. Les complaintes traditionnelles sur l’insuffisance de l’épargne longue et les préférences des Français pour les biens immobiliers et les placements refuges n’ont pas d’autre source qu’une politique financière de captation et d’exploitation publique des fonds prêtables. Elle s’appuie sur un abaissement systématique de la rémunération réelle des placements. Elle déforme et affaiblit la structure financière, elle compromet l’augmentation du niveau de vie.

    A l’inverse, nous commençons à comprendre qu’une bonne politique de croissance passe par une honnête politique de l’épargne. La seule politique de la monnaie, qui ne vise que quelques actifs financiers parmi d’autres, n’en. est qu’un élément. L’euthanasie du rentier en est aux antipodes. Car cette politique implique que l’État favorise le développement de l’industrie financière au lieu de la constituer en monopole dont il confisque les rentes pour les orienter à des fins politiques. En ce secteur plus encore que dans les autres, le monopole exploite le consommateur et appauvrit l’économie. « 

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