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Paul Krugman se trompe. Mais Ben Bernanke aussi par Andréas Hofert

Paul Krugman se trompe. Mais Ben Bernanke aussi par Andréas Hofert

Il serait temps d’admettre que la politique monétaire ne permet pas la relance concrète attendue de l’économie.

Depuis la crise financière de 2007/2008, les économies développées font face à des environnements de faible croissance, de récessions voire de dépressions. Et les politiques tant monétaires que fiscales menées depuis cinq ans ont tenté de relancer ces économies ou tout au moins de les stabiliser. La réussite de ces politiques est rien moins qu’impressionnante. Les Etats-Unis affichent une croissance anémique et l’Europe entre à nouveau en récession. Ne faudrait-il donc pas à nouveau intervenir? Je n’en suis plus si sûr.

Selon une définition populaire, la folie consiste à faire la même chose à répétition et à s’attendre à ce que les résultats soient différents. Je ne prétends pas que la Réserve fédérale et son président, Ben Bernanke, sont fous. Mais, après presque quatre années de fonds fédéraux à taux zéro, deux programmes d’assouplissement quantitatif et l’opération Twist, prolongée au moins jusqu’à la fin 2012 – avec pour résultat le triplement du bilan de la Réserve fédérale – il serait temps d’admettre que la politique monétaire ne permet pas la relance concrète attendue de l’économie.

La Banque des règlements internationaux l’a exprimé ouvertement dans son dernier rapport annuel: «Une politique monétaire souple ne peut résoudre les problèmes sous-jacents de solvabilité ou structurels plus profonds. Certes, elle permet de gagner du temps, mais peut en faire gaspiller plus facilement, retardant le retour à une reprise durable. […] La politique monétaire ne peut pas se substituer aux mesures politiques à même d’aborder les causes profondes de la fragilité financière et de la faiblesse économique.»

En fait de nombreuses économies développées font face à ce que l’on appelle en jargon d’économiste une trappe à liquidités. Les taux d’intérêts sont certes proches de zéro mais n’incitent pas les ménages croulants sous les dettes à encore s’endetter davantage. De plus, l’aplanissement des courbes de taux grève la rentabilité de nombreux intermédiaires financiers, retardant l’assainissement de leurs bilans et ne les stimulant pas à prêter davantage au grand public.

C’est là qu’intervient Paul Krugman économiste nobélisé et éditorialiste au «New York Times». Dans son dernier ouvrage «End This Depression Now!» (Terminez cette dépression maintenant!), qui n’est pas encore paru en français, l’hyper-keynésien soutient la thèse suivante: étant donné que les taux d’intérêt sont si bas et que tous semblent disposés à prêter de l’argent au gouvernement à des conditions très avantageuses, les dépenses publiques constituent le meilleur moyen de stimuler l’économie. Voilà en termes simplifiés le conseil que nous donnerait John Maynard Keynes, le grand économiste britannique qui a figuré parmi les premiers à parler de trappe à liquidités.

Mais étant donné que le ratio déficit public-PIB américain atteignait l’année dernière le chiffre incroyable de 8,5% et qu’il devrait rester à ce niveau en 2012, il faut conclure que la politique budgétaire ne fournit pas non plus le coup de pouce souhaité à l’économie réelle.

Cependant, Paul Krugman soutient dans son livre que ces déficits immenses ne sont pas suffisants alors qu’ils sont à l’origine d’une dette publique stratosphérique de 15.000 milliards de dollars américains, soit plus de 100% du produit intérieur brut du pays.

Il n’est pas vraiment possible de démystifier ce raisonnement erroné. Paul Krugman pourra toujours affirmer que le dysfonctionnement des dépenses publiques est dû à leur insuffisance, quelle que soit la taille de ces dépenses. Jetez plus d’argent par la fenêtre, semble-t-il dire, mais pour combien de temps?

Après quatre années d’enlisement et de croissance anémique dans les pays développés, il serait pourtant temps d’admettre que le processus de guérison de sociétés surendettées est long et que celles-ci devront endurer des ajustements structurels douloureux. Jeter plus de liquidités et de dettes publiques sur ces économies, en se disant que ce qui nous a mis en difficulté en premier lieu nous permettra également d’en ressortir, est simplement faux.

Andréas Hofert  Chef économiste/UBS Wealth Management/Agefi

1 réponse »

  1. Les « sciences économiques » sont quasi certainement le seul domaine où le Prix Nobel a pu être décerné à des théoriciens qui se situent pratiquement aux antipodes les uns des autres … Ce seul constat tend à invalider le caractère scientifique de la démarche… ou du moins à valider le caractère incomplètement scientifique de leurs démarches .. Parce que ces démarches a priori contradictoires ne le sont peut-être pas si fondamentalement.

    Pour faire simple, il y a une part de vérité chez un Haavelmo (Prix Nobel dont le théorème remonte à quelques années quand même) et chez un A. Laffer (non Prix Nobel, mais mettant le doigt sur la loi des rendements fiscaux décroissants et le phénomène du triangle macroéconomique perdu en raison de l’écart entre salaire poche et débours brut de l’entreprise, que tout chef d’entreprise même non membre du jury de Stockholm pourra valider …) ..

    Ces deux parts de vérité sont-elles à tout jamais inconciliables en une politique économique lucide et structurellement efficace ?

    Absolument pas. Mais un sérieux décapage épistémologique est certainement nécessaire pour percevoir comment briser les (fausses) impasses qui semblent constituer un labyrinthe suicidaire en ce qui concerne l’économie réelle. Et il serait sans doute plus que temps d’accorder plus d’attention aux réalisateurs économiques, ceux qui ont assumé l’équation de la création d’emplois sur le terrain … Malgré des normes a priori prudentielles mais dangereusement discriminantes au détriment des entreprises …

    Et la monnaie est-elle neutre par rapport à l’économie réelle ? Comment imaginer pareille sornette? Surtout avec des calculs de ratios aussi arbitraires ..

    La politique monétaire remodèle évidemment les prix relatifs et le risque de distorsions suicidaires doit lui aussi être sérieusement pris en compte …

    La synthèse évoquée plus haut doit donc assumer une contrainte supplémentaire : la « renaturation » (correction de distorsions issues de l’inflation de crédit essentiellement) des prix relatifs …

    Impossible ? Non. Mais il faut sortir des sentiers battus des fausses querelles doctrinales.

    Et ceci est une longue histoire … trop longue à aborder ici.

    Thierry LENFANT

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