Art de la guerre monétaire et économique

Liborgate : Les Etats-Unis happés par le scandale du Libor (actualisé au 18/7/2012 à 09h00)

Liborgate : Les Etats-Unis happés par le scandale du Libor (actualisé au 18/7/2012 à 09h00)

Timothy Geithner avait averti la Banque d’Angleterre en 2008. Plusieurs plaintes pénales ont été déposées contre les banques impliquées

Le Liborgate éclabousse désormais les Etats-Unis. Des villes et Etats, des hedge funds et des fonds de pension se mobilisent pour dénoncer le scandale de manipulation du taux interbancaire Libor. Ils ont déjà déposé plusieurs plaintes devant la justice contre des dizaines de banques.

DON CORLEONE

Rappel des faits 

 Le Libor, ou London InterBank Offered Rate, est un taux d’intérêt calculé en fonction de données remises par un panel d’entre 8 et 16 grandes banques internationales. Il est considéré comme un benchmark, c’est-à-dire un taux de référence pour les autres taux d’intérêt de court terme. Il indique à quel coût les banques pourront emprunter entre elles sur le marché financier londonien. Publié pour la première fois en 1986, ce taux est décliné pour des durées et 10 devises différentes, et il est communiqué quotidiennement vers 11h45 heure de Londres. 

En octobre 2008, Robert Diamond, qui dirigeait alors la banque Barclays (il a récemment donné sa démission suite à l’éclatement de ce scandale), laquelle se trouvait en difficultés financières à ce moment-là, aurait eu une conversation avec Paul Tucker, le N°2 de la Banque d’Angleterre, au cours de laquelle ce dernier lui aurait dit qu’il « n’était pas toujours nécessaire » de fixer le taux du Libor à des niveaux aussi élevés. Ce message aurait été interprété comme une invitation à baisser les chiffres que la banque fournissait pour établir le calcul du taux d’intérêt. Un libor faible permettait en effet de dissimuler les difficultés de financement de la banque, tout en minimisant les intérêts payés par toute une gamme de créanciers, dont les gouvernements eux-mêmes, puisque le Libor impacte la détermination des taux d’intérêt d’un grand éventail d’instruments financiers. 

Ce LIBOR est un instrument essentiel sur les marchés financiers et surtout auprès des traders qui l’utilisent comme taux de référence pour une grande partie des positions et des transactions effectuées. En effet, ce taux n’est pas calculé sur la base des opérations effectivement réalisées mais sur la base d’une simple déclaration des banques auprès de la Bristish Bankers Association.

On comprend aisément que la manipulation d’un tel taux puisse permettre d’importants profits, en orientant celui-ci dans la direction qui favorise les positions des traders. C’est sur cette base que l’autorité de régulation londonienne a justifié sa première condamnation.

Selon le Wall street Journal, il s’agirait d’une fraude ayant permis le détournement de plus de 800 milliards de dollars. Mais un autre élément entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déclarer un taux plus bas que le taux réel. Cette déclaration peut également servir à «rassurer les marchés», permettant ainsi à certaines banques d’emprunter à un taux plus bas que la moyenne des banques.

En effet, plus la qualité d’une banque est bonne et plus bas sera le taux auquel elle pourra emprunter. Dans le cas de Barclays, il était important que la banque conserve sa bonne qualité auprès de ses partenaires. Dans le cas où la Barclays aurait dû emprunter à des taux plus élevés, cela aurait été interprété comme un signal de faiblesse et de hausse du risque, d’où la manipulation. Chose étonnante, de nombreux opérateurs sur les marchés financiers avaient remarqué la bassesse anormale du taux d’emprunt des banques, londoniennes principalement, et cela peu de temps après le début de la crise. Il aura tout de même fallu plusieurs années pour que ces doutes se concrétisent et fassent réagir les autorités. On peut dès lors discuter de la pertinence de ce taux aujourd’hui au vu des écarts gigantesques du prix d’emprunt de certaines banques depuis la crise de 2008. Un tel taux n’avait de sens que lorsque les banques étaient toutes plus ou moins proches de cette moyenne; ce n’est plus le cas.

Cette affaire pourrait avoir de très longues ramifications. Le Wall Street Jounal révèle ainsi qu’en 2008, l’actuel Secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, avait envoyé une note au gouverneur de la Banque d’Angleterre Mervyn King dans laquelle il évoquait des modifications à apporter au Libor, et notamment de prendre des mesures pour « éliminer les incitations » à rapporter des données incorrectes pour les banques, et il proposait également de déterminer le libor à partir d’un panel de banques fixé au hasard pour éviter les fraudes. En outre, le Libor pourrait ne pas être le seul taux manipulé de cette sorte, et l’euribor, son équivalent pour le marché interbancaire européen, aura désormais bien du mal à échapper au soupçon

PLUS DE LIBORGATE EN SUIVANT :

Vendredi, la Réserve fédérale de New York a donc  publié des documents pour tenter de se disculper.

Elle a certes montré qu’elle était déjà au courant en 2007 de la possible manipulation du taux Libor (London interbank offered rate) par certaines banques. Mais son président de l’époque, Timothy Geithner, actuel secrétaire américain au Trésor, avait fait six recommandations au gouverneur de la Banque d’Angleterre Mervyn King.

Dans un e-mail daté du 1er juin 2008, il écrivait: «Nous avons brièvement parlé à Bâle au sujet du régime Libor et vous avez dit que vous seriez favorable à des suggestions. J’ai joint une liste de recommandations. […] Nous vous serions reconnaissants de nous donner votre avis sur les changements qu’il est possible d’effectuer.» Deux jours plus tard, Mervyn King répond et juge les recommandations pertinentes. A l’époque, Timothy Geithner estimait nécessaire d’agir pour «renforcer la crédibilité du Libor» qui est la base sur laquelle reposent des centaines de milliards d’instruments financiers.

Les documents publiés vendredi par la Réserve fédérale de New York confirment que son ex-président s’est préoccupé du problème et a tenté d’agir. Mais ce qui n’est pas clair, ce sont les mesures qu’a prises ou non Timothy Geithner après cet échange d’e-mails pour mettre fin aux manipulations du Libor effectuées par les banques qui participent à en définir le taux. A la décharge de Timothy Geithner, l’Amérique se trouvait à ce moment au milieu de la crise financière. Quelques semaines avant que ce dernier ne participât, le 28 avril 2008, à une réunion consacrée à la correction du Libor, la banque d’investissement Bear Stearns s’effondrait.

La Fed de New York a assuré avoir coopéré à l’enquête des autorités britanniques sur les agissements de Barclays, après avoir été informée dès fin 2007 de «problèmes avec le Libor», mais laisse entendre qu’elle n’avait pas les moyens humains de lancer une enquête séparée sur le Libor en pleine crise financière. «Dans le contexte de notre surveillance du marché au début de la crise financière fin 2007, un exercice ayant donné lieu à des milliers d’appels téléphoniques et de courriers électroniques d’acteurs du marché pendant plusieurs mois, Barclays nous a parlé de façon intermittente et informelle de problèmes avec le Libor», indique la Fed.Au printemps 2008 «nous avons interrogé Barclays sur la façon dont le Libor était fixé. Nous avons ensuite partagé notre analyse et nos suggestions pour une réforme du Libor avec les autorités concernées en Grande-Bretagne», conclut l’antenne de New York de la Réserve fédérale.

Jeudi, plusieurs membres du Congrès ont ajouté une pression supplémentaire sur les épaules de Timothy Geithner dans une lettre exhortant le ministre de la Justice Eric Holder à mettre banquiers et régulateurs devant leurs responsabilités s’ils ont omis de mettre fin à «des actes illégaux dont ils avaient ou auraient dû avoir connaissance». Les républicains avaient déjà questionné un peu plus tôt l’implication de l’actuel secrétaire au Trésor dans le scandale du Libor que deux journalistes du Wall Street Journal, Carrick Mollenkamp et Mark Whitehouse, avaient déjà révélé en 2008 sans que personne n’y prête vraiment attention.

Du côté des collectivités publiques, la colère monte. Près de 75% des grandes villes d’Amérique empruntent de l’argent par le biais d’instruments financiers liés au Libor. Beaucoup pourraient avoir perdu des millions de dollars dans l’affaire. Baltimore, dans le Mary­land, mène la rébellion. Elle a déjà porté plainte, devant une cour fédérale de Manhattan, contre plusieurs banques. Parmi elles, plusieurs établissements américains et européens, mais aussi Credit Suisse et UBS. Le comté de Nassau, l’Etat du Massachusetts et le plus grand fonds de pension américain, California Public Employees’ Retirement System, font aussi le compte de leurs pertes au même titre que l’investisseur Charles Schwab.

Certains économistes avertissent déjà: il pourrait s’agir du scandale le plus coûteux pour Wall Street depuis la crise financière. Pour les victimes du scandale toutefois, les preuves juridiques seront difficiles à apporter.

Pour David Kotok, président du cabinet de conseil Cumberland Advisors, le scandale du Libor fait douter de l’efficacité de la surveillance des marchés par la Banque centrale américaine, la Fed, et notamment son antenne de New York, plus particulièrement chargée du suivi de Wall Street.

Selon lui, les banques ayant trempé dans les manipulations de taux devraient perdre leur statut d’interlocuteur «préférentiel», un statut aussi recherché que lucratif attribué par la Fed de New York à certaines banques qui sont ainsi autorisées à acheter des bons du Trésor directement au gouvernement. «On se demande quel serait le message envoyé si la Fed de New York retirait son statut d’interlocuteur préférentiel à Barclays pendant une certaine période, à titre de punition», indique M. Kotok dans une note à ses clients. «Et on se demande ce que le marché penserait si la Fed de New York ne faisait rien».

Le scandale du Libor touche les banques américaines Citigroup et JPMorgan Chase, qui font partie des banques internationales contribuant à la fixation du taux du Libor et de divers taux interbancaires, et font l’objet de demandes d’informations de la part de régulateurs et enquêteurs, voire de poursuites de clients s’estimant lésés.

JPMorgan Chase indique pour sa part faire l’objet de poursuites « aux côtés d’autres banques tel Citigroup dans une série de plaintes individuelles ou plaintes en nom collectif dans plusieurs Etats (américains) accusant (ces banques) d’avoir » menti dans leurs déclarations de taux entrant dans la fixation du Libor. Bank of America ne fait, pour l’instant en tout cas, aucune mention dans ses propres déclarations boursières de demandes d’informations de la part des autorités sur ce sujet.

Le Financial Times indique que, selon un rapport de Morgan Stanley, les 12 banques internationales impliquées dans le scandale de la manipulation du taux Libor pourraient se voir condamner à un montant d’amendes total de 22 milliards de dollars. Selon le rapport, outre Barclays, qui vient d’être condamnée à payer 456 millions de dollars le mois dernier, 11 autres banques pourraient être mises en cause, et leurs manœuvres auraient impacté 360.000 milliards de dollars de produits dérivés et prêts accordés à la clientèle. Ces calculs ne prennent pas en compte les éventuelles poursuites des autorités américaines et européennes, qui pourraient se solder par d’autres milliards de dollars d’amendes

Les conséquences du scandale

Bien que les autorités furent amenées à agir  et infliger de lourdes sanctions aux responsables de ces manipulations, certaines conséquences seront inévitables et relativement lourdes, tant sur un plan économique que psychologique.

Tout d’abord, cet évènement s’additionne à l’ambiance globale plutôt sombre en Europe où, entre crise de la dette et malaise social, on ne fait qu’amplifier le sentiment de doute au sujet de la stabilité du système bancaire. Cela a pour résultat logique la perte de confiance grandissante dans le système bancaire et financier mondial. Ce sentiment a eu des répercussions directes sur les marchés des métaux précieux, où l’on  a noté un flux d’investissements important ces derniers jours. Et on commence même à supposer que le cours de l’or, comme les taux d’intérêts, a pu être manipulé depuis des années. En effet, l’or reflète la valeur réelle de la monnaie. On peut aisément imaginer que la manipulation de son cours permette de maintenir la confiance dans le système fiduciaire actuel. Cette manipulation permettrait également aux banques d’obtenir des positions favorables pour engranger des profits très facilement.  Néanmoins, cela reste très théorique, la quotation de l’or se basant sur un marché bien réel et non sur de simples déclarations, comme c’est le cas pour établir les taux LIBOR. Cependant, il serait fort à parier que de nouveaux scandales liés aux marchés des métaux précieux apparaissent, vu la vitesse à laquelle le système financier est en train  de capoter une nouvelle fois.

Par Stéphane Bussard New York /Le Temps Juil12+ agefi + Agences +Tyvar h. Vogel/Traditions SA Juil12

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 UBS et Credit Suisse, esquisse d’une ardoise par  Sébastien Dubas /Le Temps

UBS et Credit Suisse, esquisse d’une ardoise après le scandale du Libor Les deux banques suisses pourraient payer 2,2 milliards d’amende selon Morgan Stanley

 Jeudi soir, Morgan Stanley a publié une étude sur les coûts que pourraient subir les banques impliquées dans la manipulation d’un taux auquel sont adossés 350 000 milliards de dollars de produits financiers. La banque américaine, qui a l’avantage de ne pas être liée au scandale, estime que 11 des 12 établissements concernés pourraient payer jusqu’à 14 milliards de dollars (13,8 milliards de francs suisses) d’amende.

Pour l’heure, seule Barclays s’est acquitté d’une ardoise de 456 millions de dollars pour mettre fin aux enquêtes des autorités américaines et britanniques. Mais, rappelle Morgan Stanley, la banque britannique a bénéficié d’un rabais – estimé à 30% – pour avoir coopéré avec les gendarmes financiers. Sans quoi, d’après les calculs de Morgan Stanley, la facture se serait probablement élevée à 650 millions de dollars. Comme pour les autres banques qui restent dans le viseur des autorités.

Avantage aux premiers

UBS devrait également profiter d’une ristourne puisqu’elle fut la première à confesser, en juillet 2011, sa participation à la manipulation du taux interbancaire. Toutefois, souligne Morgan Stanley, en se dénonçant, la banque suisse a conclu un accord avec la division «antitrust» du Département américain de la justice (DoJ) en échange d’une immunité. Or c’est un autre service du DoJ, celui des fraudes, qui a condamné Barclays à payer 160 millions de dollars. Morgan Stanley pense donc qu’UBS pourrait se voir infliger une amende de quelque 255 millions de dollars de la part des autorités financières.

Montant auquel il faut encore ajouter les contentieux légaux dont les banques devront s’acquitter. Des sommes qui, selon Morgan Stanley, dépendront de la taille du portefeuille de produits dérivés des banques incriminées. Pour Credit Suisse, la facture pourrait ainsi s’élever à 742 millions de dollars contre 585 millions pour UBS.

Au total, Credit Suisse pourrait donc payer, selon Morgan Stanley, près de 1,4 milliard de dollars (650 millions + 742 millions) alors qu’UBS pourrait débourser 835 millions (250 + 585).

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1 réponse »

  1. Plus l’escroquerie est énorme et moins elle dégage de soupçons !
    Les escroqueries des banques sont donc plus importantes que la quasi totalité des autres …
    À L’EXCEPTION (notable) DES ÉTATS EUX MÊME !

    Nous assistons en ce moment à une escalade dans le genre qui est sans égale !
    Quel beau match n’est-ce pas ?

    Quand à ce qu’il faut en penser ?
    Peut-être citer Balzac ? (je le faisais déjà en avril 2012)

    ON NE PEUT DISTRIBUER SON MÉPRIS QU’AVEC PARCIMONIE, TANT SONT NOMBREUX LES NÉCESSITEUX !

    Je n’ai pas changé d’avis !

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