Art de la guerre monétaire et économique

Crise céréalière, l’Egypte en première ligne

Crise céréalière, l’Egypte en première ligne

 Après ceux du soja, les cours du maïs ont atteint des sommets historiques sur le marché de Chicago, alors que les deux tiers du territoire américain sont déclarés en état de sécheresse. Poursuivant leur quatrième année d’appréciation consécutive, les épis ont vu leur prix s’envoler de 61% depuis le 15 juin. Le blé affiche de son côté une hausse de 46% sur la même période et se dirige d’autant plus vite vers ses records qu’il est utilisé pour le bétail comme produit de substitution à un maïs hors de prix. La publication des estimations de récolte par le Département américain de l’agriculture, le 10 août prochain, sera le rendez-vous clé de l’été sur la scène agricole mondiale. Les prix du blé décollent de 40% cette année. Premier importateur au monde, Le Caire retarde ses achats.

Tout a commencé avec une sécheresse comme les Etats-Unis – le premier pays exportateur de maïs, blé et soja – n’en ont pas connu depuis 1956. Le manque de précipitations sur l’ex-URSS, la faiblesse de la mousson en Inde et la crainte d’un retour du phénomène climatique El Niño font maintenant craindre une troisième crise alimentaire en cinq ans. Comme en 2008. Et comme en 2011, lorsque la cherté de la nourriture avait attisé les révoltes du Printemps arabe.

Ce coup de chaud intervient alors que les prix alimentaires mondiaux étaient déjà supérieurs de 40% à la moyenne des dix dernières années, selon la FAO. En mai, l’agence onusienne mettait en garde contre le risque de troubles sociaux dans les pays les moins favorisés. «Nombre de grands pays importateurs du Moyen-Orient retardent leurs achats, espérant que les prix vont baisser», remarquent les analystes de Barclays à Londres. «Ceux-ci vont se retrouver forcés d’acheter» ajoutent-ils. Au prix fort.

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L’Egypte temporise

L’Egypte, le plus important acheteur de blé du monde, affronte cette crise céréalière alors que son nouveau gouvernement est au pouvoir depuis un mois et que les prix alimentaires galopent déjà au rythme annuel de 9,2%.

A Genève, les regards des négociants sont braqués sur l’entrée en jeu du GASC, le bureau d’Etat réalisant environ la moitié des importations du pays. Pour l’instant, ce dernier n’a toujours pas procédé à un premier appel d’offres sur le blé de la moisson en cours. Officiellement, cela s’expliquerait par l’augmentation de la moisson locale. «Selon certains traders, les subventions élevées accordées aux agriculteurs locaux ont accentué le phénomène d’importation d’Europe de l’Est, déguisé en blé local», juge Siavosh Arasteh chez Agrinews, agence genevoise d’analyse du négoce de grains. Pour l’instant, «les importateurs privés qui ont acheté du blé à des prix inférieurs, avant la hausse, sont en mesure d’approvisionner le marché local», ajoute ce dernier.

Surprise en Jordanie

L’exemple de la Jordanie, autre pays dans lequel une agence d’Etat orchestre les achats, montre à quel point certains pays se sont fait surprendre par l’envolée. Les données d’Agrinews révèlent ainsi qu’Amman avait acheté, il y a un mois, un cargo de 50 000 tonnes de blé à 309 dollars la tonne. Le 8 juillet, une autre commande est reportée, alors que le monde agricole attend l’état de lieux de Washington sur la sécheresse. Le 19 juillet, la Jordanie finit par acheter deux cargos. Mais à 343 dollars. «Il y a dix jours, Amman a annoncé que les prix locaux du blé et de l’orge n’augmenteraient pas; la partie de la facture alimentaire réglée par l’Etat sera donc plus importante, le prix à payer pour éviter que le mécontentement populaire ne s’aggrave», relève le spécialiste d’Agrinews.

La situation est encore plus tendue en Syrie, où sécheresse et guerre civile menacent les moissons. Selon la FAO, ces douze prochains mois, les importations de céréales du pays atteindront 5 millions de tonnes. Soit une fois et demie celles de l’année précédente. Alors que les sanctions économiques en compliquent le négoce.

Retour aux sommets touchés en 2008

D’éventuels embargos dans l’ex-URSS rendraient la situation explosive

Jeudi, l’International Grain Council a, lui, déjà réduit ses prévisions de production mondiale, toutes céréales confondues, pour 2012-2013. Les récoltes de blé sont attendues en repli de 4,5%. Le même constat vaut pour le maïs; alors que sa consommation mondiale devrait progresser de 1%.

«Attention à la remise en place de restrictions sur les exportations, qui ne feraient qu’empirer la situation», préviennent les experts de Barclays. La Russie, l’Ukraine ou le Kazakhstan sont les premiers pays soupçonnés, en raison du recours à de tels embargos il y a deux ans.

Par rapport aux crises de 2008, certains facteurs pourraient cependant limiter l’impact de cette envolée sur les importateurs de grains. Les stocks de riz restent « relativement confortables », note la Bqanque Mondiale, alors que cet aliment crucial dans les pays pauvres avait vu son prix plus que tripler en 2008.

Répit sur les tarifs du fret

D’une part, le dollar – la monnaie d’échange des céréales – a vu sa valeur faiblir par rapport à de nombreuses devises émergentes. D’autre part, les tarifs du transport maritime en vrac ont encore baissé la semaine dernière, en raison de l’environnement économique morose et de l’abondance de navires disponibles. L’indice Baltic Dry Index – la moyenne des tarifs pratiqués sur 24 routes – est passé vendredi sous les 1000 points. Fin mai 2008 le même indice avait touché un record de 11 793 points.

Mais à court terme les prix sont encouragés à la hausse par la communauté spéculative

Des données compilées par Bloomberg indiquent que la demande pour de nouvelles parts du Fonds négocié en bourse (FNB) PowerShares DB Agriculture a augmenté de 4 % en juillet, la plus forte hausse depuis mars 2011. A comparer avec d’un autre côté et selon le principe des vases communiquant , le nombre de parts en circulation pour le fonds SPDR Gold Trust, le plus important FNB s’appuyant sur l’once d’or, qui a reculé de 1,9 % ce mois-ci, ce qui pourrait être la plus forte baisse de l’année.

Par Pierre-Alexandre Sallier/Le Temps juil12

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