Analyse d'un secteur économique particulier

Guerre économique : Dans le solaire, la Chine l’Europe et les Etats Unis sont prêtes à lancer les hostilités

Guerre économique : Dans le solaire, la Chine  l’Europe et les Etats Unis  sont prêtes à lancer les hostilités

Des producteurs européens demandent à Bruxelles d’ouvrir une enquête sur leurs concurrents asiatiques

La tension monte dans le solaire entre l’Europe et la Chine. Face au dumping présumé des fabricants chinois sur les prix de vente des panneaux solaires, EU ProSun, regroupement d’industriels européens du solaire, a demandé à fin juillet à Bruxelles d’ouvrir une enquête. La Commission européenne dispose encore de 40 jours pour le faire et établir si les Chinois pratiquent une concurrence déloyale vis-à-vis des acteurs européens en vendant des panneaux solaires à des tarifs inférieurs aux coûts de production.

La réaction de Pékin ne s’est pas fait attendre. Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, Sun Guangbin, vice-directeur de la Chambre de commerce pour l’importation et l’exportation de machines, a rétorqué que des emplois et des bénéfices seraient perdus si la Commission européenne tranchait en faveur des acteurs européens. «Si des restrictions au commerce sont introduites, la demande pour les produits solaires ne pourra être satisfaite, car seul un petit nombre d’entreprises profitera de la hausse des prix. En Europe, beaucoup perdront leur emploi, car les sociétés en amont et en aval de la production souffriront. Les importations chinoises de composants solaires et de services soutiennent 300 000 emplois en Europe», a-t-il rappelé. De leur côté, les entreprises chinoises qui exportent 60% de leur production de panneaux solaires vers l’Europe ont appelé leur gouvernement à utiliser tous les moyens possibles pour répondre à une guerre commerciale.

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Cette bataille entre l’Europe et la Chine se déroule dans un contexte de déliquescence de l’industrie solaire. Depuis 2010, une soixantaine d’entreprises de la branche, dont l’immense majorité en Europe, se trouvent proches de la liquidation ou ont mis la clé sous le paillasson. Rien qu’en Allemagne, six entreprises ont entamé une procédure pour insolvabilité depuis décembre 2011. Parmi ces dernières figure ­Q-Cells, ex-fleuron de l’industrie solaire allemande qui était encore leader mondial de la production de cellules photovoltaïques il y a cinq ans. La Chine et sa présumée politique de dumping sur les prix sont-elles les seules responsables des déboires de l’industrie solaire européenne?

Matthias Fawer, analyste dans le développement durable auprès de la Banque Sarasin, ne le pense pas. «Le manque de compétitivité des entreprises européennes n’est pas essentiellement dû aux charges salariales, voire aux coûts de production trop élevés, mais à la politique des banques en matière de crédits. Sur le Vieux Continent, elles ne veulent plus ou n’ont plus les capacités de prêter aux entreprises de l’industrie solaire. Le manque de crédits en Europe freine les sociétés de la branche», estime-t-il.

Outre ce manque de soutien financier, les entreprises doivent aussi affronter les changements politiques. L’Allemagne, plus gros marché mondial du solaire, a décidé de réduire les subventions pour le rachat d’électricité d’origine photovoltaïque. Avec plus de 130 milliards de dollars payés en subventions pour des installations en photovoltaïque, l’Allemagne est la championne du monde. Mais désormais, le gouvernement allemand souhaite supprimer le programme de subventions le plus vite possible. La raison : c’est un total échec

En Chine, par contre, les établissements bancaires ont le devoir de soutenir les entreprises dans le solaire en fournissant des crédits. Ils respectent ainsi les volontés du gouvernement de promouvoir les énergies renouvelables. «Les plus grandes entreprises profitent des effets d’échelle pour leurs achats. Elles obtiennent des rabais qui leur permettent de générer des profits. Arrêtons de parler de dumping des Chinois, alors que l’Allemagne et beaucoup d’autres pays ont soutenu dès le début leur industrie solaire en offrant des conditions-cadres favorables, par exemple via des crédits de l’Union européenne», explique Matthias Fawer.

Le déséquilibre dû à la surproduction, dans un contexte de réduction des subventions de rachat de courant solaire à cause des difficultés budgétaires de plusieurs pays européens, conduit à un cercle vicieux pour de nombreuses entreprises en Europe et aux Etats-Unis. «Seules 30 à 50% des lignes de production sont actuellement utilisées», note Matthias Fawer. Dans cet environnement économique particulier, seules les entreprises les moins endettées, ou les mieux subventionnées par l’Etat, comme la Chine est accusée de le faire, ont des chances de survivre.

Qui dit consolidation dit disparition de dizaines d’entreprises américaines et européennes, et de milliers d’emplois. La faillite de Solyndra aux Etats-Unis et de l’allemande Q-Cells ne représentent que la pointe de l’iceberg. La Suisse, marquée par la déliquescence de Flexcell et le brutal arrêt de la construction, dans le canton de Berne, de la plus grande usine de modules photovoltaïques du pays, n’est pas épargnée par ce complet retournement du marché

A l’instar de l’Europe, l’industrie solaire suisse se trouve en situation précaire.

VHF-Technologies, fabricant de films photovoltaïque basé à Yverdon-les-Bains (VD) plus connu sous le nom de sa technologie Flexcell, est proche de la faillite. De son côté, Komax, producteur de machines permettant de relier les cellules solaires entre elles grâce à des fils électriques, a affiché une perte opérationnelle de 10 millions de francs suisses  au premier semestre. Quant à Meyer Burger, il a vu la vente de ses machines de découpe de blocs de silicium pratiquement chuter de moitié au premier semestre 2012.

Malgré les difficultés actuelles, Matthias Fawer estime que la Suisse doit être satisfaite de ne pas avoir autant de fabricants de panneaux solaires que l’Allemagne. «La production de panneaux solaires ­restera dans les mains des Chinois pendant de nombreuses années ­encore», estime l’expert. Par conséquent, la Suisse doit se concentrer sur l’innovation, même si aujour­d’hui ce facteur n’est pas aussi primordial que les coûts de production en raison de la crise que traverse le solaire. Une fois qu’elle sera passée dans deux à trois ans, dit Matthias Fawer, de nouveaux produits et technologies seront lancés. La Suisse devra alors intensifier les efforts de recherche dans les hautes écoles et les universités. En attendant, Suntech Power, Trina Solar et Jinko Solar, trois géants chinois du solaire, ont déjà choisi la Suisse comme base pour poursuivre leur conquête du marché européen.

Inexistant il y a cinq ans dans ce secteur, la Chine, qui exporte 95% de sa production de panneaux solaires, est aujourd’hui omniprésent.

Plus de la moitié des cellules photovoltaïques installées en Europe sont d’origine chinoise. Et si la première société dans ce domaine, First Solar, est américaine, elle est talonnée par trois entreprises chinoises qui, à elles seules, représentent deux fois et demie son volume de production. Sur les dix plus gros fabricants de panneaux solaires, cinq sont chinois et deux sont installés à Taïwan.

Arvind Shah, spécialiste en photovoltaïque, professeur honoraire de l’Institut de microtechnique de Neuchâtel-EPFL, crie à la distorsion de concurrence. «Les autorités chinoises subventionnent massivement le prix de l’électricité. Construire des panneaux solaires avec un prix du courant équivalent à quelques centimes d’euro constitue une forme de concurrence déloyale face aux constructeurs européens et américains. Sans parler des aides chinoises directes massives aux fabricants.» Ce discours est également tenu au niveau des autorités américaines. Il commence aussi à poindre dans certaines régions allemandes, irritées de devoir indirectement subventionner la pose de panneaux solaires chinois alors que des entreprises locales, actives dans ce secteur, font faillite.

 L’administration américaine du commerce extérieur a signalé qu’elle a «de sérieuses raisons de croire que les entreprises chinoises qui importent leurs modules aux Etats-Unis bénéficient de subventions massives, et vraisemblablement illégales, de la part du gouvernement chinois». Cette constatation pourrait déboucher sur une guerre commerciale entre les deux pays, et le prélèvement de droits de douane spéciaux par les Etats-Unis. Le patron de Suntech, société chinoise qui emploie 22 000 personnes , dément une politique d’aide étatique massive. «Les crédits effectivement reçus de l’Etat sont dix fois moins importants que les 7,3 milliards de dollars évoqués. Et les taux d’intérêt accordés sont parfois supérieurs aux taux occidentaux», explique-t-il dans un entretien publié dans Le Figaro.

Nicolas Musy, responsable du Swiss Center à Shanghai, ne nie pas l’aide étatique à des secteurs jugés prioritaires, mais estime que le succès chinois dans le solaire s’explique par d’autres facteurs. «L’ensemble des coûts de production est inférieur, et il y a aussi une masse critique importante qui fait baisser le coût par unité produite.» Arvind Shah empoigne le problème d’une autre manière. Il a lancé, dans les milieux scientifiques et économiques, le projet d’un label écologique afin de minimiser l’impact de la fabrication des panneaux solaires, gourmands en énergie grise. Pour obtenir ce label, comparable à une norme de qualité ISO, les constructeurs chinois devraient par exemple renoncer à utiliser du courant électrique provenant de centrales à charbon et globalement s’aligner sur les normes de production «verte» respectées en Europe et aux Etats-Unis. Le rachat de courant «vert» subventionné par les pays européens pourrait alors être lié à l’apposition de ce label. «Ma crainte, si rien n’est entrepris, c’est de voir se dégrader la réputation du solaire, énergie pas toujours verte selon le mode de fabrication des panneaux», explique Arvind Shah.

«Ce label est une idée intéressante», note Matthias Fawer. Elle ne déplaît pas non plus à Nicolas Musy, persuadé «que la Chine pourrait s’y adapter, comme elle l’a fait pour la norme CE de l’Union européenne».

Par Daniel Eskenazi Zurich et Willy Boder Berne /Le Temps Aout12

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