Art de la guerre monétaire et économique

Une enquête sur le nucléaire, l’Etat et les réseaux du pouvoir

Une enquête sur le nucléaire, l’Etat et les réseaux du pouvoir

Les événements économiques et technologiques nécessitent de s’immerger dans la culture locale et de dénouer les relations de pouvoir. En France, un réseau tel que celui de X-Mines doit figurer dans l’étude des recompositions industrielles. Le livre de Thierry Gadault Areva mon amour *en est la parfaite illustration. L’auteur est journaliste indépendant, auteur d’ouvrages sur l’industrie de défense et ancien de La Tribune, de L’Expansion et du Nouvel Economiste.

L’auteur évite le débat sur l’avenir du nucléaire. Mais le lecteur en ressort avec la certitude de mieux comprendre l’histoire de l’industrie nucléaire française, de connaître ses acteurs, le rôle du gouvernement et les dégâts d’une politique économique qui ne tient nullement à laisser une entreprise décider de sa stratégie. «En concentrant toutes ses forces sur la seule déstabilisation d’Anne ­Lauvergeon, tout en espérant que cela soit suffisant pour qu’elle jette l’éponge, l’Etat a laissé une entreprise aller droit dans le mur», écrit-il. En effet, dès 2008 il était évident qu’Areva était au bord de la rupture financière.

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Thierry Gadault dresse aussi un portrait très instructif d’Anne Lauvergeon. C’est sur proposition de DSK qu’«Atomic Anne» avait été nommée à la tête du groupe nucléaire Cogema en 1999. Elle profitait de bonnes relations avec les écologistes depuis son passage à l’Elysée en tant que conseillère de Mitterrand, et du soutien des amis du Corps des mines, lequel cherchait à mettre la main sur la filière nucléaire.

Un Etat dans l’Etat, le Corps des mines? C’est celui qui a inventé le financement politique dès les années 1930, selon l’auteur. Son pouvoir n’a cessé de croître jusqu’à la nomination de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république en mai 2007. En devenant ministre de l’économie en 2004, il n’avait pas supporté que Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain) et Raymond Lévy (président de Lagardère) l’appellent systématiquement pour discuter de chaque nomination. En 2007, l’ancien président ne voulait plus d’experts plus fidèles au «Corps» qu’à la République. Dans le nucléaire, il faudra toutefois attendre 2009 pour un transfert de pouvoir au profit d’Henri Proglio, le nouveau patron d’EDF, le grand adversaire de X-Mines.

La guerre historique entre EDF et le Corps des mines, via le Commissariat à l’énergie atomique, remonte à 1945, dès sa création par le général de Gaulle. Les Mines occuperont toutes les fonctions clés. Ce conflit s’est soldé par ce que l’auteur nomme le «Yalta de l’atome», signé en 1969 sous Chaban-Delmas. C’est cet accord qui volera en éclat avec la création d’Areva par Anne Lauvergeon. Née à Dijon, cette dernière a fait l’Ecole des mines à la fin des années 1970, avant de devenir sherpa de Mitterrand. Après l’Elysée, elle ira chez Lazard, Alcatel et, avec ses soutiens chez X-Mines, Cogema. Son premier grand dossier consistera à prendre le contrôle de ­Framatome, le fabricant de chaudières nucléaires. Le quotidien Les Echos comparera le rapprochement au schéma d’une abbaye cistercienne, et donnera l’idée à Anne Lauvergeon de s’inspirer d’un site religieux, Arevalo. Mieux, Arevo signifie «soleil» en arménien.

Méfiante, à sa nomination Anne Lauvergeon avait obtenu d’introduire Areva en bourse dans les deux ans pour gagner en indépendance. Les politiciens n’ont pas voulu lui accorder cette marge de manœuvre. Les gouvernements considéreront Areva comme une tirelire. On voulait par exemple qu’elle rachète certaines entreprises, qu’elle fusionne même avec Alstom. Las, en 2005 le ministre de l’économie refusera l’entrée en bourse, «parce qu’il pensait que l’entreprise supportait le risque financier du démantèlement des centrales». Pourtant ce risque est surtout logé chez EDF.

Le risque à court terme se situait en Finlande, au sein du premier chantier de centrale avec la technologie EPR, «plus sûre, plus moderne et plus chère». Areva assure la maîtrise d’œuvre, donc le risque financier. Les retards se sont accumulés et le chantier a tourné à la catastrophe financière (3 milliards de pertes). Le livre décrit d’autres erreurs. Areva s’est par exemple fait rouler par les aventuriers d’UraMin, société ayant des droits d’exploration d’uranium en Afrique. Areva lancera une OPA pour 2,5 milliards, six fois plus cher qu’au moment de l’IPO, pour une société finalement sans valeur.

Nicolas Sarkozy acceptera les vastes plans d’investissement d’Anne Lauvergeon, ainsi que l’idée d’un printemps du nucléaire et la promesse de dizaines de contrats d’EPR. Mais Areva avait besoin de trouver des capitaux. Et plutôt que de les lever en bourse, en 2010 l’ouverture du capital se fera en faveur de fonds souverains du Moyen-Orient.

Anne Lauvergeon sera aussi accusée de ne pas avoir obtenu une commande à 20 milliards pour une centrale à Abu Dhabi. La partie semblait gagnée d’avance. Le rêve de l’Emirat, c’était l’EPR construit et exploité par EDF. Or la France n’offrira qu’une solution Areva, GDF-Suez et Total. Selon l’auteur, les regards accusateurs devraient plutôt se pencher sur Claude Guéant.

Le mandat d’Anne Lauvergeon ne sera pas renouvelé. Il sera confié à Luc Oursel, son numéro deux et ancien du cabinet de Pierre Joxe, l’ancien ministre de Mitterrand. Or, ultime traquenard, Sarkozy a consulté le PS sur cette nomination, en l’occurrence Pierre Joxe et son réseau.

Cette nomination est une défaite pour X-Mines et une victoire pour Henri Proglio, nommé à la tête d’EDF. Pour celui qui a toujours voulu reléguer Areva au rôle de sous-traitant d’EDF, c’est une victoire à la ­Pyrrhus. Car technologiquement, EDF privilégiait plutôt les centrales meilleur marché et non l’EPR. Mais avec Fukushima la version «low-cost» a perdu toute crédibilité.

Pour l’auteur, Fukushima n’a servi que de révélateur de la crise financière d’Areva. Et de conclure: «il en va ainsi des affaires de l’Etat et des entreprises publiques, quand la politique se mêle de business».

* Areva mon amour, Thierry Gadault, François Bourin Editeur, 2012.

Par Emmanuel Garessus/Le Temps Sep12

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