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Le Franc Suisse : D’une monnaie «satellite» à une valeur refuge

Le Franc Suisse : D’une monnaie «satellite» à une valeur refuge

Un ouvrage commandité par la BNS et rédigé par l’expert en politique monétaire Ernst Baltensperger retrace l’histoire du franc suisse depuis sa création en 1850

 

La direction de la Banque nationale suisse (BNS) était presque réunie au complet, jeudi à Zurich, pour la présentation d’un livre consacré à l’histoire du franc suisse, réalisé à sa demande. Intitulé Le Franc suisse – histoire d’un succès , l’ouvrage rédigé par Ernst Baltensperger, professeur d’économie à l’Université de Berne, retrace l’histoire de la monnaie helvétique depuis sa création en 1850. Le livre, disponible en allemand seulement, explique comment le franc est passé du statut d’une «monnaie satellite» du franc français durant les cinquante premières années de son existence à celui d’une devise stable.

L’ouvrage ne se limite pas à énumérer des faits historiques mais les met en perspective avec des questions actuelles. «Il importe de connaître le passé pour bien comprendre le présent», a déclaré Thomas Jordan, le président de la BNS. Ernst Baltensperger a aussi estimé que «certaines questions reviennent de manière récurrente, bien que sous une forme différente».

C’est le cas de l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des instances politiques; de l’opposition entre la monnaie métallique, rattachée à des métaux précieux, et la monnaie papier en vigueur; ou encore de la question de la souveraineté monétaire. A cet égard, les parallèles entre l’Union monétaire latine, qui réunissait au XIXe siècle la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse, dissoute après la Première Guerre mondiale, et l’Union monétaire européenne apparaissent plus actuels que jamais.

Par Yves Hulman/Le Temps Oct12

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Les facéties de l’histoire monétaire par Bruno Colmant 

Et si l’histoire était vraiment un éternel recommencement ? Si l’organisation de l’économie n’était que la retranscription, siècle après siècle, des mêmes ordonnancements promis à l’éternité, mais sabordés à la première crise ? Ce n’est pas exclu lorsqu’on se penche sur l’Union monétaire. Pas sur celle de 1998, qui a conduit à la création de l’Euro. Pas non plus sur les accords de Bretton Woods qui ont charpenté la reconstruction monétaire occidentale après la Seconde Guerre mondiale. Ni davantage sur les accords de parité monétaire qui ont suivi le Traité de Versailles de 1919. Nous nous référons plutôt à l’Union monétaire latine de 1865. 

Cette année-là, les principaux pays européens décident alors de créer une Union monétaire, qu’ils qualifient de latine. Le 23 décembre 1865, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et la Suisse, rejoints par vingt-sept autres pays, signent une convention. Celle-ci harmonise le poids des monnaies et confirme la pérennité du franc Napoléon. Les monnaies des pays membres peuvent circuler indifféremment entre elles. Les membres de cette Union monétaire vont même battre la même monnaie : ils vont frapper des pièces de même qualité qui auront cours légal dans les autres pays. 

Cela a d’ailleurs conduit à la création d’une des seules pièces d’or de thésaurisation belge : le « 20 francs », d’une valeur actuelle de l’ordre de 250 euros, profilant notre premier roi, et dont la teneur en or fin est exactement celle du Napoléon, soit 5,801 grammes d’or fin ! Mais ce n’est pas tout : la Suisse a aussi frappé une pièce d’or de la même teneur d’or fin : le 20 francs suisses Vreneli. À l’époque, sur la base de la parité en or, un franc belge valait exactement un franc suisse ! 

Malheureusement, l’Union monétaire latine ne dura qu’une petite quinzaine d’années, car la croissance des économies était asynchrone. La découverte d’or en Californie, combinée au 5 milliards de franc-or que la France paya comme dommage de guerre à l’Allemagne pour la défaite de Sedan pervertit le système. Il fut mis fin au système en 1914. De surcroît, la Première Guerre mondiale entraîna un phénomène de thésaurisation suivi par des vitesses d’émission de billets différents selon les pays. La Belgique dénonça l’Union qui fut dissoute en 1927. En France, le Napoléon est lui-même écarté en 1928 au profit du « franc Poincaré ». 

http://blogs.lecho.be/colmant/2012/10/les-ac%C3%A9ties-de-lhistoire-mon%C3%A9taire.html

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Les points clés présentés par Ernst Baltensperger dans son ouvrage intitulé : Le franc suisse – histoire d’un succès :

PLUS DE FRANC SUISSE EN SUIVANT :

1. Le franc suisse a connu des débuts difficiles

Lors de sa création en 1850, le franc suisse n’était «pas nécessairement prédestiné à devenir l’une des monnaies les plus stables et les plus prisées au monde», a souligné Ernst Baltensperger mercredi à Zurich, auteur de l’ouvrage intitulé «Le franc suisse – histoire d’un succès ». Durant les cinquante premières années de son existence, la devise helvétique est restée – jusqu’à la fondation de la Banque nationale suisse de 1905 à 1907 – essentiellement une «monnaie-satellite» du franc français, rappelle l’économiste. La consolidation du pays sur le plan politique et social et son succès économique ont permis au franc de devenir peu à peu une monnaie de placement autonome, forte et d’importance internationale. «La stabilité budgétaire et monétaire, qui a toujours caractérisé la Suisse par rapport à d’autres pays, a joué un rôle central à cet égard», estime l’auteur.  

2. La stabilité monétaire, budgétaire et économique – trois facteurs étroitement liés

La stabilité du franc a bénéficié du succès politique et économique de la Suisse. Mais la stabilité monétaire a à son tour contribué la consolidation politique et économique du pays. Ces deux aspects s’influencent mutuellement.  

3. La monnaie-métallique n’est pas une garantie de stabilité

L’abandon de l’étalon-or international après l’éclatement de la Première Guerre mondiale avait déjà sonné le glas du système de monnaie-métallique. L’adoption du régime flottant au début des années 1970 a consolidé la domination de la monnaie-papier. Au cours des dernières années, la crise financière et de l’endettement ont réveillé les doutes concernant le système de monnaie-papier en vigueur actuellement. Est-il envisageable de revenir à l’ancien système ? Ce n’est pas l’avis d’Ernst Baltensperger qui rappelle aux partisans d’un retour à la monnaie-métallique que celle-ci peut également perdre son ancrage de stabilité, ce qui s’est souvent produit. «L’histoire monétaire regorge d’exemples de détérioration de la monnaie, de suppression ou d’adaptation politiquement opportuniste de parités métalliques prétendument fixes », a-t-il rappelé. L’histoire du franc au 19ème siècle a montré à maintes reprises que des situations d’instabilité peuvent aussi se développer dans des systèmes de monnaie-métallique.  

4. Le franc n’a pas toujours eu le monopole en matière de monnaie en Suisse

Le dilemme entre concurrence et monopole a une longue tradition dans l’histoire de la monnaie. L’histoire de la Suisse du 19ème siècle en est la parfaite illustration. De 1820 à 1850, une véritable concurrence existait avec un libre choix de la dénomination de la monnaie. L’introduction du franc en 1850 mis fin à cette période. Mais le système bancaire suisse resta largement non réglementé jusqu’à la loi de 1881 sur les billets de banque. Malgré l’introduction du nouveau franc suisse, il existait toujours une concurrence entre les banques d’émission autonomes, privées et publiques, jusqu’à cette date. A l’aune des critères de stabilité monétaire et financière, cette concurrence entre banques d’émission n’entraîna aucune conséquence négative durant cette période, constate le professeur. Ensuite, la période de 1801 à 1905 fut marquée par une émission excessive de billets de banque et un affaiblissement du système monétaire. La création de la Banque nationale suisse et la centralisation de l’émission de billets mis fin à cette situation.  

5. La garantie de la stabilité monétaire, seul objectif à poursuivre

Le passage à une monnaie exclusivement fiduciaire, sans rattachement à l’or ou des métaux précieux, a radicalement changé la position des banques centrales. Celles-ci se voient attribuer une multitude d’objectifs qui, outre la stabilité des prix, peuvent inclure aussi des critères tels que le plein-emploi ou la croissance, des buts qu’une banque centrale ne peut pas accomplir. «Au final, bien souvent, aucun de ces objectifs n’est atteint », constate le professeur. C’est pourquoi, selon lui, il est logique de fixer comme principale mission de la politique monétaire la seule stabilité des prix.  

6. La banque centrale doit rester indépendante vis-à-vis des instances politiques

En Suisse, à l’exception d’une courte période durant la Première Guerre mondiale, l’indépendance de la banque nationale vis-à-vis de la politique et des groupes d’intérêts a toujours été garantie. Selon le professeur, un élément particulièrement important est l’indépendance de la politique monétaire par rapport à la politique budgétaire. Cette indépendance a permis à la BNS de mener une politique garantissant la valeur de la monnaie. 

7. L’Union monétaire latine n’est qu’en partie comparable à la zone euro

Un régime de changes fixes présuppose que les principaux acteurs soient disposés à mener une politique monétaire consensuelle. Ils doivent avoir une conception commune non seulement en matière de politique monétaire mais aussi budgétaire. Et si ces conditions ne sont plus respectées, cela entraîne la formation de déséquilibres. Un régime de changes fixes peut générer de fortes tensions et la Suisse en a fait la douloureuse expérience à plusieurs reprises, comme à certaines périodes de l’Union monétaire latine au 19ème siècle. Celle-ci réunissait la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse. Pour notre pays, le passage au régime de changes flottants a ainsi constitué un «moindre mal », selon le professeur.  

Il est souhaitable de préserver la souveraineté monétaire, un «bien précieux», selon lui. En effet, cette souveraineté permet, même en cas d’engagement pris sur la base de changes fixes, de revenir à tout moment à une politique monétaire autonome. «Les turbulences que traverse actuellement la zone euro illustrent de manière frappante les dangers et les risques pouvant résulter de l’abandon prématuré de la souveraineté monétaire au profit d’une instance communautaire supérieure, s’il n’y a pas d’accord préalable crédible sur des valeurs économiques et politiques communes », a déclaré Ernst Baltensperger. Selon lui, ce constat devient évident si l’on compare l’union monétaire européenne actuelle et l’Union latine au 19ème siècle: «Dans cette dernière, il n’y a pas eu de transfert de souveraineté monétaire au profit de l’union », a-t-il précisé. L’Union monétaire latine ne prévoyait qu’une convention internationale visant l’adoption commune d’un étalon métallique déterminé. Ses membres pouvaient en tout en temps l’abandonner et revenir à une politique monétaire différente, contrairement à ce qui caractérise l’union monétaire européenne, souligne l’auteur. C’est pourquoi, selon Ernst Baltensperger, ces deux unions ne peuvent que difficilement être comparées. «Il était facile de sortir de l’Union monétaire latine, ce n’est pas le cas dans la zone euro aujourd’hui », a-t-il souligné mercredi à Zurich.

EN COMPLEMENT : Avantages de la souveraineté par Pierre Bessard

ERNST BALTENSPERGER. L’éminent économiste monétaire publie la première histoire intégrée du francPierre bessard 

Le franc suisse est la monnaie qui a la plus longue histoire de stabilité et de succès, malgré les nombreux chamboulements internationaux qu’il a dû traverser depuis sa création il y a 162 ans. Quels enseignements peut-on en tirer pour l’époque mouvementée actuelle? C’est pour répondre à cette question que l’économiste monétaire Ernst Baltensperger, professeur émérite à l’Université de Berne, vient de publier une rétrospective du franc sur les deux siècles derniers.*Rédigé sur mandat de la Banque nationale suisse et présenté hier à Zurich, l’ouvrage est à la fois un plaidoyer pour l’autonomie monétaire de la Suisse et un appel au respect du mandat constitutionnel sans équivoque de la stabilité des prix. «L’histoire ne fait que commencer», a commenté Thomas Jordan, président du directoire de la banque centrale.  

Ernst Baltensperger élucide, avec l’érudition qui la sienne, l’importance de la stabilité politique et financière, analyse l’expérience positive de la monnaie métallique et de la concurrence monétaire, ainsi que le passage de changes fixes à un régime flottant. Il en déduit l’impératif de maintenir la souveraineté monétaire du pays. «La volonté marquée d’autonomie, mais aussi de stabilité budgétaire et monétaire, qui a toujours caractérisé la Suisse par rapport à d’autres pays, joue un rôle déterminant pour la qualité de la monnaie», relève l’économiste. Ce sont les facteurs qu’il s’agit de préserver, indépendamment des turbulences qui peuvent apparaître périodiquement. Comme c’est le cas aujourd’hui avec la politique ultra-expansive de la Réserve fédérale américaine et l’indépendance ébréchée de la Banque centrale européenne.  

Deux nuances peuvent être apportées aux conclusions historiques d’Ernst Baltensperger. Il est probable que l’économiste caractérise un peu vite la monnaie de «monopole naturel», alors que la recherche sur le free banking revient en force: une fois le monopole légal du franc établi, qui tendait certes à s’imposer dans la pratique, comment le marché aurait-il pu développer spontanément les normes ou les arrangements institutionnels qui auraient permis d’améliorer un système concurrentiel? Les billets de banque n’étaient pas encore très répandus au dix-neuvième siècle et le développement évolutif de leur usage aurait sans doute été influencé favorablement par le progrès technologique. Il est plus vraisemblable de conclure qu’avec la rapide mainmise de l’Etat, le marché n’a pas eu sa chance et que l’on ne sait tout simplement pas ce qui serait advenu en l’absence du monopole public d’émission.  

La seconde nuance porte sur la qualification de la monnaie métallique. L’économiste insiste à raison qu’une monnaie couverte par l’or, par exemple, n’est pas en soi une garantie de stabilité. Elle dresse des barrières utiles contre l’opportunisme grâce à la quantité fixe de métal dans l’unité monétaire, mais elle peut perdre son ancrage s’il n’existe pas de volonté sous-jacente d’honorer les engagements pris, ce que la politique n’a justement pas toujours fait. Cependant, il semble y avoir une différence fondamentale de degré entre les tentations et les risques politiques d’une monnaie papier et d’une monnaie étalon. Le vingtième siècle, comme le rappelle Ernst Baltensperger, n’est pas considéré sans raison comme celui de l’inflation. «Les expériences relatives à la récente crise de la finance et de l’endettement ont réveillé les doutes concernant le système de monnaie papier en vigueur», souligne par ailleurs l’auteur.  

Mais l’ancien directeur du Centre d’études de Gerzensee de la Banque nationale inscrit son analyse dans le contexte pratique du monde tel qu’il est. De ce point de vue, le retour à une monnaie métallique paraît irréalisable. D’où l’insistance de la nécessité de dispositions légales et constitutionnelles claires et surtout de la volonté de les appliquer. Ce qui par exemple ne fut pas le cas dans la zone euro, du fait de l’irresponsabilité budgétaire, y compris du gouvernement allemand, qui fut l’un des premiers à violer les règles de Maastricht et à empêcher la mise en place de sanctions. La Suisse, par contre, a été épargnée de tels aléas politiques: c’est ce qui a favorisé l’évolution du franc suisse d’une monnaie satellite du franc français à ses débuts vers une monnaie de placement autonome, forte et d’importance internationale.  

* «Der Schweizer Franken: Eine Erfolgsgeschichte. Die Währung der Schweiz im 19. und 20. Jahrhundert», Verlag Neue Zürcher Zeitung, 320 pages.

1 réponse »

  1. Notre interpretation de la politique actuelle de la BNS est que c’est un piège. Le laxisme apparent de la BNS avec son soutien à l’euro et sa création monétaire qui gonfle son bilan ne sont pas un changement fondamental de politique et de principe , mais une facilité temporaire.

    La BNS n’est pas ralliée à l’inflationnisme, elle en tire parti momentanement, en attendant que les choses se décantent à la fois en Europe et dans son système bancaire. Cela a en outre l’avantage de faciliter le plein emploi et l’activité économique .

    Les conditions sociales, institutionnelles , budgétaires de l’inflationnisme ne sont pas réunies en Suisse.

    Dans une perspective de long terme, le cours actuel du franc suisse est attrayant .

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