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Dette argentine: un juge insensible au tango Par Jean-Pierre Béguelin

Dette argentine: un juge insensible au tango Par Jean-Pierre Béguelin

Un juge américain vient d’intimer à l’Argentine l’ordre de rembourser ses créanciers récalcitrants, une décision qui pourrait à la longue venir peser sur les placements en obligations émergentes

À New York, le juge fédéral Thomas Griesa vient d’ordonner à l’Argentine de rembourser mi-décembre 1,33 milliard de dollars à ses créanciers les plus récalcitrants. À 82 ans, ce digne magistrat a ainsi jeté un pavé qui risque de faire des remous dans le marigot des emprunts internationaux branlants, rempli en bonne partie d’ailleurs de papiers argentins aux trois-quarts effacés. C’est qu’au palmarès des mauvais débiteurs, l’Argentine brille de tout son éclat. En 1890 déjà, le défaut de Buenos Aires força la Banque d’Angleterre à sauver in extremis la banque Baring Brothers, ce monument de la City. Presque un siècle plus tard – je saute les épisodes intermédiaires – les grandes banques occidentales ont à leur tour senti le vent du boulet pour avoir trop prêté de pétrodollars, entre autre à l’Argentine. Vers 1980, ne disait-on pas que les crédits accordés au gouvernement de Buenos Aires ne quittaient pas la banque prêteuse car ils étaient immédiatement transférés sur les comptes de certains généraux et de leurs amis?

 

C’est que sur le plan international, les dirigeants argentins ne craignent pas grand-chose, leur pays pouvant assez bien vivre en quasi-autarcie grâce à sa production agricole abondante, à son pétrole et à une population bien éduquée. C’est d’ailleurs sans doute en grande partie pourquoi il est si mal géré, passant du protectionnisme le plus crasse sous le régime Perón à l’inflation débridée des généraux lorsque chaque réforme monétaire successive – on a passé du peso, au nouveau peso, à l’austral pour revenir au peso – échouait. En 1991 finalement, et sous la pression du FMI, un nouveau gouvernement choisi de rattacher – peg en anglais – sa monnaie au dollar en déclarant que, dorénavant et ad aeternam (!), un peso vaudrait un dollar US. Mais, comme c’est presque toujours le cas après la fixation d’une parité en vue de lutter contre l’inflation, les prix domestiques continuent assez longtemps de renchérir sur leur lancée précédente si bien qu’en termes réels le peso se retrouve rapidement et nettement surévalué. 

En Argentine, l’économie est ainsi de plus en plus déséquilibrée. Le déficit de la balance commerciale grandit d’autant plus rapidement que la devise américaine est très forte à la fin des années 1990; la banque centrale limitant sa création monétaire par manque de devises étrangères, l’économie domestique souffre, entraînant un déficit budgétaire grandissant que le gouvernement couvre en empruntant allégrement à l’extérieur. Il le fait d’ailleurs d’autant plus facilement que le peg perdure. Cette résistance rassure en effet des prêteurs externes qui n’ont alors plus l’impression de courir un risque de change en avançant des fonds à une Argentine prête, en outre, à payer un taux d’intérêt attractif. Même les banques italiennes en viennent à conseiller à leurs petits épargnants (!) d’acheter des obligations argentines à la place des italiennes dont le rendement s’est effondré avec l’introduction de l’euro. 

Avec le temps cependant, ce mécanisme devient de plus en plus précaire et susceptible, par fuite des capitaux, de se briser au moindre choc, ce qu’il fait quelques semaines après le 11 septembre 2001. Le gouvernement argentin doit abandonner le peg, dévaluer le peso et forcer ses ressortissants à convertir leurs avoirs à la nouvelle parité. Simultanément, il fait défaut pour quelque 100 milliards de dollars sur sa dette externe.

 L’économie argentine tombe alors dans une profonde crise et l’inflation rebondit. Peu après cependant, le nouveau gouvernement péroniste, débarrassé désormais du carcan monétaire qu’était le peg, se lance dans des politiques plutôt populistes qui rencontrent quelques succès grâce aussi à la forte montée des prix mondiaux du soja – Chine oblige – dont l’Argentine est un des principaux producteurs. Sur le plan externe en revanche, la situation est nettement plus compliquée d’autant que les officiels argentins traitent leurs créanciers avec une morgue digne des grands d’Espagne en leur disant qu’ils ne toucheront que 25% de leurs créances, à prendre ou à laisser. Des négociations s’engagent malgré tout avec un syndicat de détenteurs d’obligations et on se met finalement d’accord en 2005 puis à nouveau de 2009, sur un remboursement partiel rééchelonné. 

Mais tous les prêteurs n’acceptent pas cette solution.

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Deux hedge funds américains en particulier refusent, arguant que ces obligations ne comprennent pas la clause dite d’action collective statuant qu’une majorité qualifiée ou non de créanciers suffit pour obliger chacun d’entre eux individuellement. Et ils se tournent vers les tribunaux pour se faire rembourser à 100%. La Banque d’Argentine gardant par prudence une part importante de ses réserves à la BRI, ils ont même demandé à la Suisse de bloquer ces avoirs, ce que la Confédération a refusé de faire en raison du statut supranational dont jouit la Banque des banques centrales.

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Pas touche aux coffres de la Banque des règlements internationaux (BRI). Le Conseil fédéral a rejeté  le recours de deux sociétés de gestion de fonds américaines tentant de se faire rembourser un milliard de dollars dû par l’Etat argentin; en se servant sur ses avoirs au sein de l’institution internationale installée à Bâle. Ces «avoirs de la République d’Argentine ne peuvent pas être séquestrés». 

Guérilla judiciaire 

Les deux plaignants – NML Capital, une filiale du groupe financier Elliott, et EM Limited – avaient déposé il y a trois ans, en Suisse, une requête de séquestre d’un milliard de dollars, bloquée par le Tribunal fédéral durant l’été 2010. Puis étaient revenus à la charge en s’adressant aux Affaires étrangères. Avant de porter plainte pour blanchiment contre la BRI l’an dernier. 

Fortes d’une décision d’un tribunal new-yorkais en leur faveur, ces deux sociétés financières cherchaient à obtenir le remboursement d’obligations acquises à prix bradé lors du défaut de l’Etat argentin, en 2002. Stratégie? Tenter d’en retirer un maximum ultérieurement, par le biais d’une guerre d’usure judiciaire. Tactique? Accuser la Banque centrale d’Argentine d’abuser de l’immunité dont bénéficie l’organisation internationale établie à Bâle, en lui confiant la majeure partie de ses réserves en devises. Et accuser en parallèle la BRI d’aider Buenos Aires à échapper à une décision de justice. 

Berne et la BRI d’accord 

Le Conseil fédéral ne l’entend pas de cette oreille. En ce qui concerne l’organisation installée à Bâle, il rappelle que «le dépôt des valeurs des banques centrales auprès de la BRI correspond à [ses] buts statutaires». Et qu’il «n’appartient pas» aux autorités suisses «d’examiner» ces placements de banques centrales. Selon le gouvernement, «rien ne permet d’affirmer qu’un abus d’immunité» aurait été commis par la BRI. Il n’existe donc «aucun désaccord» entre Berne et l’institution internationale. 

Au sujet de l’Argentine, le Conseil fédéral note «qu’en l’absence de décision judiciaire contraignante ou de résolution prise par une organisation internationale et reconnue par la Suisse», il n’a pas «à se prononcer sur la politique de placement de la banque centrale d’un autre Etat». Le différend se situe donc «entre la République d’Argentine et les sociétés de gestion de fonds». Et ne concerne donc pas la Suisse. Les deux fonds spéculatifs pourront se targuer d’avoir forcé le gouvernement helvétique à se prononcer à leur sujet.

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Récemment, ils ont fait saisir par le Ghana le Libertad, voilier-école de la marine argentine, et ils viennent – on l’a dit – d’obtenir un véritable commandement de payer d’un juge américain très énervé par l’attitude hautaine des officiels argentins. Ceux-ci, oublieux qu’en économie comme dans la nature les charognards sont très souvent fort utiles, assimilent ces fonds à de véritables vautours voulant faire un profit sur des papiers obtenus bien au-dessous du pair, ce qui est sans doute vrai puisque c’est comme cela que ces hedge funds, qualifiés de distressed, opèrent habituellement.

 Plus que le jugement qu’on peut porter sur les agissements de ces spéculateurs, c’est la validité, en l’absence de la clause ad hoc, de tous les futurs accords entre créanciers transnationaux qui est discutée, un enjeu fort important à l’heure où les placeurs occidentaux prisent de plus en plus les obligations émergentes. La patience est toutefois de mise puisque de recours en recours il faudra attendre les décisions des Cours suprêmes, celle des États-Unis en particulier, avant d’être fixé. En attendant l’Argentine est prise dans un dilemme: soit elle accepte en décembre de consigner ces fonds, ce qui fera à coup sûr sauter les accords qu’elle a passés avec les créanciers raisonnables, soit elle refuse d’obéir à une décision judiciaire US et risque alors de subir toutes sortes de nouvelles sanctions. 

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L’agence d’évaluation financière Fitch a abaissé mardi 27 novembre de cinq crans la note de l’Argentine, de « B » à « CC », et jugé « probable » un défaut de paiement du pays, qui vient d’être condamné à verser 1,33 milliard de dollars à des fonds spéculatifs. 

« Un défaut de paiement est probable », a estimé dans un communiqué l’agence Fitch, indiquant par ailleurs que la perspective associée à la note de la dette publique argentine restait « négative » et qu’un nouvel abaissement n’était pas exclu dans les mois à venir. 

La note désormais attribuée à l’Argentine par Fitch n’est plus qu’à deux crans de la catégorie DDD qui correspond à des émetteurs en défaut de paiement.

 Le moment de vérité pour Buenos Aires viendra le 15 décembre. Ce jour-là, l’Argentine doit faire face à une échéance de la dette renégociée pour 3,1 milliards de dollars, auxquels s’ajoute maintenant le 1,33 milliard devant être versé aux créanciers récalcitrants. « Un seul paiement manqué (…) pourrait déclencher une cascade de défauts de paiement sur les tous les titres de dette émis sous le régime du droit international », estime l’agence Fitch. 

L’Argentine, qui a annoncé son intention de faire appel du jugement new-yorkais, a toujours refusé de payer un centime à ces fonds spéculatifs qu’elle qualifie de « vautours » parce qu’ils cherchent à être remboursés à 100% alors que la plupart des créanciers ont accepté une décote de 75% après la faillite du pays en 2001.

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La viande argentine risque bien de se faire rare sur nos tables lors des prochains réveillons…

Source Le Temps Nov12

2 réponses »

  1. D’une certaine façon, ce n’est pas plus mal qu’il y ait ce risque de défaut afin de dissuader la tentation de la solution argentine. Et c’est pareil pour les problèmes qui viennent au Japon…
    Si le vice ne paie pas, ceux qui prônent comme solution la fuite en avant, le nivellement par le bas se feront plus discrets.
    Il n’y a qu’une façon de s’en sortir de façon vertueuse : remettre de l’ordre dans la finance et l’état, faire le deuil de la klepto-dolce vita et s’adapter.

  2. Heureusement qu’par cheux nous c’est pas pareil ?

    Ben non, la dette grecque , c’est du solide et on peut être sur que les prêteurs seront remboursés …
    probablement vers l’an 3500 – 4 000, ou un peu plus tard.

    Mais c’est sur de sur, ça s’fera ! Parole … de grec.

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