Au coeur de la création de richesse : l'Entreprise

La lutte contre la pauvreté est d’abord un combat d’idées

La lutte contre la pauvreté est d’abord un combat d’idées

 La pauvreté n’a pas disparu. Mais l’économie a donné tort aux prophètes de malheur

Nommé tant par The Economist que par le Financial Times dans la liste des meilleurs livres économiques de l’année, le Why Nations Fail: Their Origins of Power, Prosperity and Poverty 1 de James Robinson et Daron Acemoglu révèle que le déclin d’une nation s’explique par la cupidité, l’égoïsme et l’ignorance de l’histoire des leaders politiques et par la faiblesse des institutions. Quel plaisir de voir ainsi honorée, certes avec retard, la théorie des choix publics de James Buchanan, Prix Nobel d’économie. Dans The Calculus of Consent (1962), il partait de l’hypothèse que les politiciens n’étaient ni plus ni moins altruistes que les autres et que l’action collective était le résultat de choix individuels. Les faits contés par Why Nations Fail lui donnent raison.

Son analyse des causes de la pauvreté est d’autant plus actuelle que la période de Noël s’accompagne de douteuses statistiques à ce sujet, couplées à des appels de dons et de renforcement des politiques redistributives. Elles sont douteuses, parce que la pauvreté est mesurée en termes relatifs (écart avec la médiane). C’est une mesure d’inégalité et non de pauvreté. D’ailleurs, au sein des pays industrialisés, les 10% les plus pauvres ont un revenu supérieur à celui du milieu des années 1980, selon l’OCDE. Il n’y a que deux exceptions: Israël et le Japon.

Sur le même sujet, le best-seller de Robert D. Kaplan2 réactualise la piste géographique comme cause de progrès ou de pauvreté. L’auteur fait fausse route. En Chine, des centaines de millions de personnes sont sorties de la pauvreté, mais la géographie du pays n’a pas changé. Le succès de la Chine provient uniquement du changement culturel initié par Deng Xiaoping, à son ouverture à l’économie de marché, à un climat favorable à l’éclosion d’une «bourgeoisie», comme l’explique Deirdre McCloskey dans Das Ende der Armut 3, ouvrage collectif de l’Institut Libéral.

L’histoire a donné tort aux prophètes de malheur. Robert Malthus avertissait à la fin du XVIIIe siècle que la croissance démographique provoquerait la misère et la famine. La réalité est autre. La population a été multipliée par six depuis Malthus. La consommation moyenne est dix fois supérieure à celle de 1800. Et en Europe, la classe moyenne gagne 45 fois plus qu’en 1800, selon Deirdre McCloskey.

Le débat est vif sur les causes de ce progrès, mais l’économie ne peut à elle seule expliquer cette multiplication par 45 du niveau de vie, selon McCloskey. C’est le pouvoir des idées, des valeurs morales et un autre regard sur la bourgeoisie qui décident du sort d’un pays. Au cours du XIXe siècle, le marché et l’innovation ont lentement été reconnus pour leurs mérites.

La liberté économique ne suffit pas à elle seule à créer la croissance. Les indices de liberté économique publiés depuis des décennies par l’Institut Fraser confirment le lien direct entre liberté économique et revenu par habitant. Mais cette corrélation positive n’en fait pas une cause. Une culture favorable à la bourgeoisie, au commerce et à la prise de risque, telle est la vraie raison de cette multiplication par 45 des revenus.

Le discours de François Hollande, sa méfiance à l’égard des commerçants, des entrepreneurs et des «riches» s’inscrit dans une logique inverse. Elle se nourrit du vocabulaire de François Mitterrand et de son hostilité à l’égard de la bourgeoisie. Ce qui n’est pas de bon augure pour nos voisins. Les attaques contre les riches ne sont qu’un prélude à une lente expropriation de la classe moyenne.

PLUS(moins) DE PROPERITE EN SUIVANT :

La Suisse n’est pas vaccinée contre les mesures et la culture socialistes. Le soutien à l’innovation est applaudi s’il est le fruit des décisions de l’Etat. Il est nettement plus critique s’il vient de deux riches entrepreneurs comme Ernesto Bertarelli et Hansjörg Wyss, qui veulent sauver la biotech à Genève. De plus en plus, la liberté économique passe après les appels à la «justice fiscale», la flexibilité du marché du travail après la protection des travailleurs, la défense de la propriété après la lutte contre les inégalités salariales.

Le refus ou l’incapacité d’admettre qu’une culture «bourgeoise» est cruciale pour notre bien-être trouve ses origines dans une contradiction apparente, celle qui veut que les ressources soient limitées alors que le bien-être s’améliore de façon apparemment illimitée sous l’effet de l’économie de marché. La solution est claire et elle a été expliquée par Carl Menger, au XIXe siècle: la valeur économique d’un produit est indépendante des ressources, mais directement fonction des besoins de l’homme. Comme ces derniers sont illimités, il existe en permanence de nouveaux désirs à satisfaire. Il n’y a donc pas de limite à la croissance. «Les institutions de l’économie de marché – propriété privée, liberté de contrat, sécurité juridique – permettent la rencontre de cette demande illimitée et de cette offre limitée dans un système d’échange organisé par le mécanisme des prix, selon Christian Hoffmann3. La ressource ultime, c’est la capacité d’innovation. C’est donc sur le terrain des idées que la lutte contre la pauvreté se gagne, et non à travers une politique de transferts sociaux.

Le magazine The Economist a été un acteur clé au XIXe siècle de l’acceptation de ces idées libérales. Fondée par James Wilson en 1843, la revue faisait partie des innombrables journaux d’agitation qui s’étaient rangés derrière l’entrepreneur de Manchester, Richard Cobden. Leur but était de s’attaquer à une loi protectionniste sur les céréales, une taxe qui renchérissait les prix de l’alimentation. Ce mouvement, appelé libéralisme manchestérien, aboutit à la révocation de la loi en 1846, soit un an après la dernière grande famine en temps de paix. L’Ecole de Manchester obtint ensuite l’abandon du monopole maritime en 1851, puis un traité de libre-échange avec la France en 1860.

La lutte contre la pauvreté doit se fonder non sur la méfiance à l’égard des commerçants et entrepreneurs, mais sur l’esprit d’innovation et l’encouragement à la prise de risque.

1. «Why Nations Fail», Daron Acemoglu and James Robinson, Crown Business, 2012.

2. «The Revenge of Geography», Robert D. Kaplan, Random House, 2012.

3. «Das Ende der Armut», ouvrage collectif sous la direction de Christian Hoffmann et Pierre Bessard, Edition Liberales Institut, 2012.

Par Emmanuel Garessus/Le Temps dec12

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/4ad80ffa-43bf-11e2-ac7c-f1e9d2f47a83/La_lutte_contre_la_pauvreté_est_dabord_un_combat_didées

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