Behaviorisme et Finance Comportementale

Eloge du pessimisme par Jacques Attali

Eloge du pessimisme par Jacques Attali

 Il court en ce moment, une petite dispute dans le monde intellectuel et politique français,  qui en dit long sur ce que nous sommes : quiconque  dévoile  quelque risque est accusé de « pessimisme », grave accusation   discréditant celui qui en est ainsi qualifié : le pessimiste   voit tout en noir, donc son avis  n’a pas d’intérêt, puisqu’il jurerait qu’il pleut en plein soleil. 

Bien sur, il peut y avoir, dans certains cas, une dimension pathologique à un pessimisme systématique ; en, particulier quand il  vient de gens pour qui tout était mieux avant,  tout simplement parce qu’avant, ils étaient jeunes. Bien sur aussi, dans notre monde complexe, où les anticipations jouent un rôle déterminant, des prévisions pessimistes peuvent contribuer  à un climat qui conduit au pire : par exemple en annonçant qu’un pays est insolvable, on pousse les préteurs à s’en éloigner, le rendant vraiment incapable d’honorer ses échéances. 

Pour  autant, il serait terriblement dangereux de discréditer le pessimisme.    

D’abord parce que, malheureusement, dans  les  périodes  les plus noires de l’histoire, les pessimistes ont eu raison ;  et ceux qui les ont écouté se sont épargnés bien des désagréments. Ben Gurion avait, par exemple,  raison de dire que, à sa connaissance, seuls quelques pessimistes étaient  sortis vivants des camps de concentration. 

Ensuite parce que ceux qui, dans les années récentes, ont annoncé l’imminence de catastrophes écologiques, économiques et financières  n’ont pas été démentis par les faits. 

Enfin,  parce que la dénonciation systématique du  pessimisme et l’apologie de l’optimisme systématique correspond à une posture de nantis : les riches peuvent se permettre d’être  optimistes, parce qu’ils savent que, dans tous les maelstroms, ils s’en tireront mieux que les autres ;  par exemple,  la crise  financière actuelle peut être pour eux une source de profit.   Ainsi Guizot disait-il : « Le monde appartient aux optimistes ; les pessimistes ne sont que des spectateurs. ». En effet : les plus pauvres, eux, ne sont que des spectateurs, et ils ont raison aujourd’hui de craindre en particulier le risque de déclassement.  

Dénoncer le pessimisme, c’est  donc se satisfaire du monde comme il est ; et d’une  certaine façon, l’optimisme est conservateur. Le pessimisme est révolutionnaire. 

  Etre  pessimiste ne veut donc pas dire être résigné, au contraire ; cela implique d’être capable de faire l’analyse des menaces, de les comprendre, de les prendre au sérieux, et d’agir.  Car on peut être à la fois pessimiste dans le diagnostic et optimiste dans l’action. Par exemple, je reste aujourd’hui,  résolument pessimiste sur l’évolution à  moyen terme  de la crise économique et financière, si on continue à ne pas agir à l’échelle mondiale pour l’enrayer, et très optimiste sur la possibilité de la dépasser,  et sur l’avenir formidable qui peut s’ouvrir au-delà. 

   Picabia a raison d’écrire que : « le pessimiste pense qu’un jour est entouré de deux nuits, alors que l’optimiste sait qu’une nuit est entourée de deux jours. ».   Mais  le pessimiste sait, comme  l’écrivait le jeune   Jean Racine,  que les nuits  peuvent être  plus belles que les  jours. Et que c’est justement dans l’adversité que se révèle le meilleur de l’homme.

le 31 mai 2010 6H49 | par Jacques Attali

http://blogs.lexpress.fr/attali/2010/05/31/eloge_du_pessimisme/

8 réponses »

  1. Samedi 2 Mars 2013. Vive le pessimisme !

    Nous nous sommes permis de republier ce billet de Jacques Attali, ce n’est pas gratuit, bien entendu.

    Pour reprendre un plan d’exposition que nous affectionnons et qu’utilise Attali, nous utiliserons le découpage en, d’abord, ensuite et enfin.

    D’abord parce qu’Attali est un des rares intellectuels qui apporte quelque chose en cette époque de renoncement de la pensée. Les citoyens sont abreuvés d’informations. Ces informations sont nombreuses, complexes, contradictoires. L’une chasse l’autre, créant l’illusion que l’on est informé, que l’on comprend. Ces informations ne sont bien souvent ni vraies ni fausses, elles sont simplement, faute d’être remises dans leur contexte et insérées dans une grille de connaissance préalable, radicalement désinformantes. L’information résulte d’un travail qui permet de trier, classer, mettre en relation, interpréter. C’est le but de la pensée. La pensée révèle, crée du sens. Elle articule, montre les liens, fait découvrir sous la surface, la logique profonde des évènements. Et en ce sens donc Attali est un penseur. Il montre les liaisons cachées, enfouies, logiques et dialectiques. Il intègre les données dans un schéma d’interprétation, dans un tissu de connaissances qui produisent du sens. Il contribue à lutter contre l’acculturation, la désinformation dont les politiques, la ploutocratie et les médias tirent leur pouvoir. Les pouvoirs, eux ne cherchent pas le sens, ils cherchent le bon mot, la belle phrase d’idiot utile qui va frapper, oblitérer la réflexion et l’esprit critique.

    Ensuite parce que la question du pessimisme, en 2010 se posait. On était submergés par les mensonges européens, ceux de Lagarde, ceux des banquiers centraux. La crise était maitrisée, la reprise passait sa tète au coin de la rue. On a vu ce qu’il en était: Ce texte datant de 2010, on a vu, on voit, qui avait raison des optimistes et des pessimistes. C’est sur maintenant, ce sont les pessimistes qui ont vu juste. Nous sommes pessimistes depuis le début des années 2000, nous prévoyons que de subterfuges en mensonges, et kick the can, on s’acheminerait vers un véritable chaos. Le chaos s’est révélé en 2008 pour le public, et dés cette époque nous avons dit que les remèdes n’en étaient pas et que sur la voie suivie, les responsables de la conduite des affaires avaient choisi un chemin sans retour, un aller simple, il ne pouvait y avoir d’exit. Encore maintenant, nous rappelons notre position, de temps à autre, pour que nos lecteurs ne se trouvent pas emportés par la déferlante périodique de maniaquerie euphorique.

    Enfin Attali ne se contente pas de fournir son analyse et son opinion, il s’interroge sur l’origine de l’optimisme officiel, l’optimisme des pouvoirs, des nantis. Et bien sur c’est là ou nous buvons du petit lait. Aucune information, aucune opinion, aucune production intellectuelle n’est innocente, elle est toujours diffusée par quelqu’un, un groupe, des intérêts, souvent dominants. Pour Attali, cet optimisme, discrédité par l’évolution réelle de l’histoire de la crise, cet optimisme est une posture de nantis. Nous sommes d’accord.

    Que nous divergions d’avec Attali sur l’identité des nantis, sur les bénéficiaires, en termes de classe sociale, de la posture optimiste n’est pas important à ce stade. L’essentiel réside dans l’interrogation, à qui profite le crime d’optimisme?

    Attali n’échappe pas, bien sur, au vice de la propagande, preuve que la désinformation est en chacun de nous, il proclame : « L’optimisme est conservateur, le pessimisme est révolutionnaire.

    Une pirouette qui lui permet de décliner son identité, son camp.

  2. Dans la recherche de la qualité pour les productions industrielles, les spécialistes savent très bien que des enseignements peuvent être tirés des situations défectueuses parce que l’analyse des causes des défauts permet de trouver des pistes pour améliorer le fonctionnement des processus. Une situation vue comme satisfaisante ne peut inciter qu’à un manque de vigilance. Or il faut être vigilant car des événements extérieurs viennent toujours perturber le cours des choses, même alors que tout semble aller bien.
    Un regard responsable est fondamentalement un regard de pessimiste, de quelqu’un qui relève non seulement les accidents, mais même aussi les « presque-accidents », pour éviter le pire.
    Il est sûr que la situation actuelle regorge tellement d’accidents qu’il n’est pas nécessaire de rechercher des presque-accidents pour avoir du grain à moudre si l’on veut analyser les processus, remonter les cheminements des effets aux causes afin de trouver des pistes de redressement.
    S’arrêter aux constats ne conduit qu’à se lamenter. Il faut remonter aux causes profondes et proposer des remèdes. Cela conduit souvent à aller contre les idées dominantes, les intérêts particuliers des maîtres du jeu et même parfois ses propres préjugés. C’est déjà un exercice de courage intellectuel où beaucoup renoncent à s’engager.

  3. Attali, Attali, morne plaine ? Comment ça ? C’était pas Attali ? C’était Waterloo ? Ah ! Ben ça alors, j’me d’mande bien comment j’ai pu bien faire ce lapsus ?

    • Antoine ne découragez pas les gens qui pensent encore, mème si certains de leurs choix sont discutables! Attali en plus j’en suis sur, va progresser!

      • Certes, certes, vous avez raison et d’ailleurs, parti comme il l’est l’Attali, je le vois bien atteindre les cimes,
        les hauteurs « hymne à la hyène » ou trône Minc dit le goure où ? Sky WAS the limit !

  4. Attali fait de temps à autre de bons diagnostics, il délivre des réflexions intéressantes (parfois empruntées à d’autres, cf. ses affaires de plagiat d’auteurs). Mais l’escroquerie chez lui vient des solutions qu’il avance comme remèdes à la Grande Crise…. Le gouvernement mondial, la monnaie unique, le fédéralisme universel.

    Et là, on comprend pour qui il travaille.

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