Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito du Dimanche 10 Mars 2013: A propos du salaire des dirigeants et des salaires « abusifs » en général par Bruno Bertez

L’Edito du Dimanche 10 Mars 2013:  A propos du salaire des dirigeants et des salaires « abusifs » en général par Bruno Bertez

Le présent article n’a nullement pour objectif de prendre position sur la question de savoir s’il faut limiter ou non les salaires de dirigeants. La question des inégalités est complexe. C’est un vaste sujet qui pour être abordé nécessite que l’on se place de différents points de vue: économique, moral, social, sociétal et symbolique. Par ailleurs il est relié à la question de la justice sociale qui, en elle-même, constitue un débat à part entière. 

Simplement nous voulons attirer l’attention sur un aspect passé sous silence. 

Les sommes touchées par les managers ont pour origine : la professionnalisation, la montée du pouvoir de ces managers et leur constitution en classe sociale hybride entre le salariat et le capital. 

   Le capitalisme familial, pour maintenir son patrimoine et son profit, a fait appel à des managers.

En même temps, les entreprises se sont ouvertes sur l’extérieur, sur l’actionnariat populaire et la dette bancaire, le levier. L’origine du profit et de l’enrichissement est devenue plus floue, plus complexe. 

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On aurait pu imaginer une évolution dans laquelle la classe des managers s’émancipait du capital et des propriétaires, cela a failli être le cas dans de nombreux pays. Avec des dirigeants self perpetuating élite, alliés du pouvoir politique, voire dans certains cas des syndicats salariés. 

Le double risque de la montée en pouvoir et autonomie des managers, et de la négligence des intérêts du capital : l’oubli de l’objectif  de profit maximum exigé  par le capital, a conduit à un nouveau contrat implicite entre les propriétaires et leurs dirigeants. 

Ce contrat se fonde sur l’idée que le dirigeant est un facteur de production en lui même, autonome, et qu’il doit être intéressé, il doit avoir droit à une part de l’enrichissement qu’il a produit par sa gestion avisée. La rémunération des managers n’est pas de même nature que le salaire, elle est une part de ce que l’on appelle, la création de valeur. Cette création de valeur, plus ou moins synonyme de hausse du cours de bourse,  est mesurée par les marchés. Cela se traduit bien souvent à la fois dans les contrats d’embauche des managers, et dans les droits aux stocks options. 

Pour s’assurer de la convergence des intérêts, de la solidarité entre les dirigeants et le capital,  entre les managers et les propriétaires, quoi de mieux que d’aligner les rémunérations sur cette solidarité, sur ce partage. Quoi de mieux que de les relier organiquement. 

Le capital dit : « Tu m’enrichis, je te donne ta part de cet enrichissement ». En fait la solidarité qui se noue va encore plus loin que la rémunération, car le manager oublie son statut de salarié et change de camp, il devient et pense capitaliste. Il en épouse les valeurs, les objectifs, la dureté diront les syndicats. Il impose, comme disent les gauchistes, la loi d’airain du capital encore plus efficacement que les propriétaires. Il ne fait pas de sentiment, pas de paternalisme. Et il a bonne conscience à le faire, car il est légitime, il a  travaillé et travaille encore dur. 

La lutte des classes, la contestation des inégalités jugées excessives, tout cela repousse le manager dans le camp du capital, dans le camp des marchés et il en devient une pièce essentielle. A fortiori quand le marché valorise ses stocks potions et fait de lui un homme riche qui n’a plus rien à envier aux propriétaires capitalistes. Le manager oublie ses origines, pense et vote comme le capitaliste.

Ce qui est extraordinaire, c’est que dans certains cas, anglo-saxons par exemple, le manager s’identifie encore plus au capital que le capital  lui même, on le voit dans les caisses de pension par exemple , ou les exigences et la dureté sont à leur comble. 

La constitution de cette solidarité entre capital et classe managériale a certainement été efficace pour faire respecter les objectifs d’efficacité et de productivité, c’est une évidence. Elle a donc favorisé la croissance et la production de richesses. Mais elle a eu pour contrepartie, une montée du court-termisme , on privilégie la création de valeur à court terme , comme dans les banques. Elle a eu pour contrepartie la prise de risques inconsidérés puisque l’on  était dans un système dissymétrique de tiers payant- le manager fait tourner  l’argent des autres- , enfin cela a provoqué rupture des solidarités au sein du monde du travail , les nouveaux patrons perdant le lien avec leurs ex-collègues. 

Dans le période présente de tensions sur le consensus social, on voit que les salariés, les syndicats et les gouvernements de gauche ne s’y trompent pas,  ainsi en Europe  on vient de passer des textes qui limitent les rémunérations des dirigeants d’entreprise. En Suisse on passe une initiative « contre les salaires abusifs ». Quand on veut baisser quelque chose, on emploie toujours le qualificatif « abusif » n’est ce pas. Et le phénomène va se généraliser. 

On aurait tort de considérer que l’on n’est que face à une question de gros sous, en fait on est au cœur de la politique et de l’organisation sociale. Les votes, les élections sont affaire d’alliances de groupes sociaux, affaires de valeurs communes, et si l’élite de la société se trouve d’un coté ou de l’autre, cela change tout. 

En France, l’une des erreurs des pouvoirs de droite et du patronat,  a été de rejeter les cadres d’entreprises dans le marais radical socialisant, on en voit le résultat. De même la dérive des managers, leur absence de conscience dans certains cas, leurs excès, se traduit par une perte de soutien social à leur statut. Nous le déplorons, non pas pour la question des rémunérations, mais pour une autre raison grave et fondamentale. En se désignant comme boucs émissaires, les dirigeants, les managers, élites trop payées, fournissent aux pouvoirs un bouc émissaire facile qui donne l’alibi de ne pas s’attaquer aux vrais problèmes. Exemple: Plutôt que de réformer le système bancaire,  le statut des banques centrales,  et le système monétaire international, les pouvoirs préfèrent faire semblant de s’attaquer aux salaires et bonus des banquiers.

BRUNO BERTEZ Le Dimanche 10 Mars 2013

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4 réponses »

  1. Le problème de la rémunération des dirigeants s’explique à partir de la Théorie de l’Agence (néolinérale)… selon laquelle il est nécessaire de lier les intérêts du principal (l’actionnaire) et de l’agent (le dirigeant)… grosse rémunération, intéressement, stock options, parachutes dorés, etc. Dans le cas contraire, le dirigeant pourrait profiter de l’asymétrie de l’information (en sa faveur) et gérer l’entreprise à son profit exclusif. Ceci dit, je crois que le dépassement de la crise implique une restructuration profonde de nos « élites », politiques, économiques, intellectuelles… Cela passera par l’obsolescence (forcée?) du capital social desdites élites…

    • Pas besoin de théorie pour comprendre cela, il suffit d’avoir vécu l’histoire des 30 dernières années; j’ai assisté à la montée des rémunérations des dirigeants, l’introduction des stocks options, c’est ainsi que cela s’est passé, c’est ainsi que cela se comprend. Ce n’est pas une theorie, c’est de l’histoire. Pour décrire plus avant le phénomène, il faudrait introduire la fonction de la concurrence pour le talent, la globalisation, et la libre circulation des personnes.

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