Agefi Suisse

Hugo Chavez, la fin d’une ère d’idolâtrie décriée

Hugo Chavez, la fin d’une ère d’idolâtrie décriée

 Les pouvoirs despotiques survivent rarement à leurs icônes dans l’immédiat. C’est du moins ce que prédit la presse internationale après la mort du leader bolivariste du Venezuela

EN LIENS: Chavez, trois questions en héritage

Chavez ou la colère de Dieu…./Questions sur la santé mentale du Boss Hugo

«A las 4:25 de la tarde falleció Chávez», titre El Universal, le journal antichaviste de Caracas qui entame sa nécrologie par une ironique allusion au fait qu’il espérait «gouverner le pays jusqu’en 2021». C’est raté. Soixante ans jour pour jour après un autre dictateur célèbre, Joseph Staline, celui qui s’était imposé comme le visage du Venezuela au fil de ses quatorze années de pouvoir (voir la chronologie sur le site de Ouest-France), a finalement été vaincu par un cancer à l’âge de 58 ans, après près de deux ans de secret autour de sa santé.

Alors, les Ultimas Noticias vénézuéliennes, le plus gros tirage du pays (170 000 exemplaires), de sensibilité plutôt proche du gouvernement, sortent un immense dossier dont on voit bien qu’il a été préparé à l’avance, pour «marquer la fin d’une ère». Celle d’un homme ivre de pouvoir, mais d’un homme qui était aussi un père très affectionné, selon le site ABC, comme le montrent les nombreux minimessages retweetés par sa fille, M. Gabriela Chávez C., diffusés la nuit sur son compte Twitter (@Maby80).

PLUS DE CHAVEZ EN SUIVANT:

«Adieu mon petit papa!»

Auparavant, elle avait simplement écrit, elle: «No tengo palabras. Eternamente, GRACIAS! Fuerza! Debemos seguir su ejemplo. Debemos seguir construyendo PATRIA! Hasta siempre papito mío!» Soit: «Je n’ai pas de mots. Eternellement, MERCI! De la force! Nous devons suivre son exemple. Nous devons continuer à construire notre PATRIE! Adieu mon petit papa!»

Sur place, un reportage du Nouvel Observateur raconte que «vers 16h30, mardi 5 mars, des femmes en pleurs sortent subitement de l’hôpital militaire de Caracas, où était interné le président […] depuis deux semaines. «Mon Comandante est mort!», disent-elles. «La nouvelle se propage à la vitesse de l’éclair, mais les badauds qui traînent devant le centre hospitalier ne veulent pas y croire. Les yeux dans le vide, une jeune femme» laisse éclater son désespoir.

«N’importe quoi»

Une autre femme, «Maria, qui gère un kiosque dans un des quartiers riches de la capitale», semble plus lucide, plus rationnelle. Elle se moque «encore de l’intervention une heure auparavant du vice-président vénézuélien, qui attribuait le cancer de Chavez à une «attaque scientifique»: «Ils lui ont mis une petite pilule dans une empanada – plat local – bien sûr! Comme ça, Chavez va mourir comme son mentor historique, le libérateur Simon Bolivar, empoisonné! C’est trop facile. Maduro [le successeur désigné] dit n’importe quoi, de toute façon je suis sûre que Chavez est déjà mort.»

Sur le site de 20 Minutes.fr, on dispose de toutes les informations tombées depuis mardi soir, des réactions et de quelques twittos éplorés, comme celui de la garde des Sceaux en France, Christiane Taubira: «Amitié et respect au peuple du #Venezuela qui dit son cœur brisé et ses craintes du retour hardi des injustices et exclusions.» Ou celui de l’incorrigible trublion du Front de gauche Jean-Luc Mélenchon, qui clame solennellement: «Ce qu’il est ne meurt jamais.»

Oliver Stone pleure

Dans USA Today, le cinéaste Oliver Stone, qui avait interviewé Hugo Chavez en 2009 pour un film documentaire, rend hommage à celui qu’il considère comme «un grand héros», un homme «détesté des classes bien établies» qui «restera à jamais dans l’histoire». «Je pleure», dit-il, «pour tous ceux qui luttent à travers le monde pour avoir une place. Mon ami, repose en paix, une paix méritée depuis longtemps.»

Autre son de cloche, celui de Renée Fregosi, maître de conférence à l’Université Paris-III et membre de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, à propos du maître de Caracas: selon elle, qui témoigne pour RMC, «les changements apportés par Hugo Chavez sont des changements éphémères. Ce sera une autre époque dans la vie du Venezuela après une longue période d’un Etat démocratique et redistributeur. Il y a eu une grave crise qu’a amenée Chavez. Il a mis le pays en effervescence, il a mis en œuvre des changements, mais qui ne sont enracinés ni dans un consensus ni dans des institutions solides.»

La manne du pétrole

Au final, le voilà donc bien, le résultat de quatorze ans de chavisme! Alors qu’arrivé au pouvoir, rappelle une excellente analyse de La Croix, il avait promis rien de moins que la «guerre pacifique pour la résurrection» du Venezuela, prenant à rebours «les politiques de privatisation mises en œuvre dans la région dans les années 1990» et procédant «à de nombreuses nationalisations, en particulier dans les secteurs amont de l’industrie». Il s’était aussi engagé «à s’attaquer à la corruption alimentée par l’argent du pétrole […] et à mettre à profit cette manne pour changer le pays».

Du coup, «les investisseurs craignent la période d’incertitude qui s’ouvre fatalement aujourd’hui dans le pays» et le pétrole tangue un peu. Et pour cause: le Venezuela est le principal producteur de brut en Amérique du Sud», explique La Tribune.fr, et «il dispose de réserves parmi les plus importantes au monde». Avec cette manne, poursuit le quotidien 2conomique français, il lance ainsi plusieurs «missions» d’aide «aux plus démunis – alimentation, santé, éducation… – qui change le quotidien de millions de Vénézuéliens». Mais c’est sans compter que le Venezuela est aussi devenu le deuxième pays le plus meurtrier au monde, après le Honduras.

Dérive autoritaire

«Pour ses adversaires», il ne s’agit donc logiquement «que d’un clientélisme à grande échelle, déguisant la soif de pouvoir du chef de l’Etat. Certains le soupçonnent même de vouloir mettre en place dans le pays un régime à la cubaine, avec contrôle de la population et dérive autoritaire. Ils attaquent également ses interventions hebdomadaires à la télévision, dans l’émission Alo Presidente , décriées comme relevant du culte de la personnalité.»

Cela n’empêche pas que ce soit une «perte irréparable» pour les alliés du Venezuela, qu’énumère Le Parisien dans un article très didactique, résumant les réactions au cœur des pouvoirs d’Amérique latine, Cuba, Equateur, Bolivie, Nicaragua, Colombie, Pérou et Brésil. Un festival de cris de douleur qui dit bien l’influence prise par le leader vénézuélien dans l’inspiration bolivariste qui caractérise un peu tous les pays latinos.

Sans contrepoids

Mais tout cela est «disproportionné», selon l’éditorial d’El País, pour cet homme qui «détenait pratiquement tous les leviers du pouvoir», qui était devenu «propriétaire de son régime socialiste» et évoluait dans le vide sidéral «de tout contrepoids démocratique». Il était le représentant d’une forme de «caudillisme» qui «illuminait» le regard de ses admirateurs. Sa mort laisse aussi orphelin le régime cubain, «bénéficiaire privilégié du pétrole vénézuélien».

Et maintenant, alors? «Les pouvoirs despotiques survivent rarement à leurs icônes dans l’immédiat», prédit le quotidien madrilène. «La personnalité surdimensionnée de Hugo Chavez et sa capacité unique de se connecter avec de nombreux Vénézuéliens» laisse penser que «son successeur, quel qu’il soit, n’aura pas suffisamment de soutiens pour que les citoyens continuent à tolérer «les énormes déséquilibres économiques, les pénuries quotidiennes, la corruption généralisée et la violence urbaine endémique dont souffre le Venezuela».

La même conclusion se retrouve partout: la disparition du Comandante sonne le glas d’une politique intenable sur le long terme.

 Par Olivier Perrin/Le Temps  6/3/13

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/87af9af6-863b-11e2-adef-72f83ef789dc/Hugo_Chavez_la_fin_dune_ère_didolâtrie_décriée

EN COMPLEMENT:  Bilan Chavez. L’économie est dévastée.Grave délabrement de l’industrie. Le Venezuela compte deux fois moins d’entreprises qu’en 1998 et les investisseurs fuient le pays. par Thierry Jacolet/Agefi Suisse mars2013

We start out with the real GDP level (Index 1999 = 100)

LATAM RGDP

And next the price level (GDP deflator, Index 1999 = 100)

LATAM inflation

Quatorze ans de pouvoir sans partage n’ont pas suffi: la révolution bolivarienne fait du surplace au Venezuela. Emporté mardi par un cancer à l’âge de 58 ans, le leader charismatique Hugo Chavez laisse un pays dans la même situation qu’il l’a trouvé en 1999 quand il a accédé au pouvoir.

«La situation économique et politique est catastrophique», assène Renée Fregosi, directrice de recherche à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, (IHEAL), à l’Université Sorbonne (Paris). Seule avancée notable, la politique sociale qui a permis de sortir de la pauvreté de larges couches de la population.

Quatorze ans de chavisme ont dévasté l’économie. «Il y a eu une amélioration jusqu’en 2003, mais depuis c’est la dégringolade», poursuit Renée Fregosi. Le Venezuela compte deux fois moins d’entreprises qu’en 1998 et les investisseurs fuient le pays. Chavez n’a pas pu faire reculer l’inflation, qui atteint des sommets, ni la dette publique (33% du PIB). Le chômage flirte avec les 8%.

Si cette économie peut tenir debout, c’est parce qu’elle est «droguée» au pétrole. Hugo Chavez a eu la chance d’être assis sur une mine d’or noire, la tirelire de l’Etat. La moitié de ses revenus provient des réserves gigantesques, parmi les plus grandes au monde. Le président a fait de la manne pétrolière sa principale arme, nationalisant à tour de bras les sociétés étrangères.

«Sans cette rente, il y aurait une catastrophe humanitaire là-bas», décoche Renée Fregosi. «Le pays fonctionne uniquement grâce à la vente des barils. Il n’y a eu aucun investissement productif ni réindustrialisation.» Pas étonnant que la souveraineté alimentaire reste un concept abstrait: le pays importe près de 70% de ses biens de consommation. Le successeur devra diversifier l’économie. Et ne plus gaspiller le pétrole sans s’assurer les conditions d’un développement du pays.

Si le modèle vénézuélien est monodépendant de son brut, ce sont les pétrodollars – versés par son client américain, pourtant ennemi juré – qui sauvent le bilan d’Hugo Chavez. Le «commandant» a réorienté les retombées pétrolifères vers des politiques de redistributions qui ont profité aux plus pauvres, d’où sa popularité auprès d’eux.

Le président a ainsi mis en place des «missions sociales» après le coup d’Etat raté de 2002 contre lui afin de lutter contre la pauvreté: contruction de logements, création d’un système de protection sociale, renforcement de l’éducation et de la santé. Un système de redistribution des produits agricoles (Mercal) subventionnés a aussi profité à des millions de Vénézuéliens.

Le taux de pauvreté a été presque divisé par deux», rappelle Franck Gaudichaud, maître de conférence en civilisation hispano-américaine à l’Université de Grenoble. Entre 1998 et 2010, plus de 30% de la population aurait changé de classe socio-économique. Hugo Chavez a en revanche été impuissant face à la corruption et à la violence (taux d’homicide parmi les plus élevés au monde).

Bien qu’il soit plus égalitaire, plus social que celui de ses prédécesseurs, ce socialisme interventionniste n’a rien à voir avec l’Etat-providence de l’ancien président Romulo Betancourt, assure Renée Fregosi: «Chavez n’a pas lancé de réformes de l’Etat ou du service de santé national. Il a laissé l’Etat se dégrader au lieu de le rénover.?Il a systématiquement créé des structures parallèles, complètement soumises à son autoritarisme et à son arbitraire. Vous pouvez bénéficier d’une bourse et six mois après, on vous la supprime. Vous profitez d’un centre de santé et six mois, après il est fermé. Rien n’est pérenne.» Et les dérives sont fréquentes. Samuel Guerrero en sait quelque chose. «Ma mère ne soutenait plus le parti politique de Chavez devant ses collègues. Ca a été une raison suffisante pour la licencier», explique ce Vénézuélien de 33 ans, qui a vécu quatre ans sous Chavez avant de venir en Suisse, à Fribourg, en 2003. «En 1998, j’avais voté pour lui car je croyais qu’il allait améliorer la situation du pays. Mais elle n’a pas vraiment évolué. Cela allait bien les premières années, puis il est passé en mode dictatorial. Ce n’était pas ce qu’on attendait de lui.» – (La Liberté)

http://www.agefi.com/une/detail/archive/2013/march/artikel/bilan-chavez-leconomie-est-devastee-le-venezuela-compte-deux-fois-moins-dentreprises-quen-1998-et-les-investisseurs-fuient-le-pays.html

2 réponses »

  1. Cet article est d’une mauvaise foi incroyable. Faire de Chavez une sorte de despote, un « caudillo » soi-disant « propriétaire de son régime socialiste »… C’est chaque fois pareil, la presse occidentale aux ordres de l’oligarchie détruit systématiquement les chefs d’Etat élus et réélus démocratiquement parce qu’ils aiment leur peuple et le servent… Et leur peuple le leur rend bien !

Laisser un commentaire