Agences de Notation

Fabulous Fab, l’Ange déchu de la finance: On ne contrarie pas l’oeuvre de Dieu et de ses Saints!

Fabulous Fab, l’Ange déchu de la finance: On ne contrarie pas l’oeuvre de Dieu et de ses Saints!


23 janvier 2007 

« Tu devrais jeter un oeil à cet article [du Financial Times, NDLR]… Très perspicace… Effet de levier financier de plus en plus fort, l’édifice entier risque de s’effondrer à tout moment… Seul survivant potentiel, le fabuleux Fab (comme m’appelle gentiment Mitch, bien que je n’aie rien de fabuleux […]) debout au milieu de toutes ces transactions complexes, à fort effet de levier, exotiques, qu’il a créées sans forcément comprendre toutes les implications de ces monstruosités !!! Mais je ne me sens pas trop coupable, le but véritable de mon boulot est de rendre les marchés de capitaux plus efficaces et de fournir en bout de chaîne au consommateur américain des moyens plus efficaces pour emprunter et se financer, donc mon boulot est empreint de modestie, de noblesse et d’éthique 😉 Dingue comme je suis bon pour me convaincre moi même !!! »

 29 janvier 2007 

« Le boulot est toujours aussi pénible, c’est bizarre j’ai l’impression de venir chaque jour au taf et chaque [jour] je vis le même calvaire – un peu comme un mauvais rêve qui se répète… En gros je trade un produit qui valait 100 dollars il y a un mois et qui n’en vaut plus que 93 aujourd’hui et qui perd en moyenne 0,25 dollar par jour… Présenté comme çà çà n’a pas l’air énorme, mais quand tu penses qu’on achète et on vend ce truc sur des montants nominaux de plusieurs milliards, ben ça commence à faire beaucoup de sous. Quand je pense que c’est un peu moi qui ait participé à la création de ce produit (qui soit dit en passant, est un pur produit de masturbation intellectuelle, le genre de truc que tu inventes en te disant: ‘et si on créait un ‘machin’ qui ne sert absolument à rien, qui est complètement conceptuel et hautement théorique et que personne ne sait pricer?'[dont personne n’est capable de déterminer le prix, NDLR]), ça fait mal au coeur de voir que ça implose en vol… C’est un peu comme Frankenstein qui se retourne contre son inventeur » 

31 janvier 2007

« Bon, je ne sais pas ce que tu as fait aux marchés ABX, mais apparemment tu as eu une influence certaine vu que la journée d’aujourd’hui a été plutôt calme… Ca ne m’empêche pas d’être bloqué au boulot à dix heures du soir, mais bon, ça ne fait que six ans que je fonctionne avec ces horaires […] donc qui s’en soucie !!! En plus il faut faire du ‘mentoring’, vu que je suis maintenant un ‘dinosaure’ dans ce business (la durée moyenne d’un employé dans ma boîte, c’est à peu près 2-3 ans !!!) les gens me demandent plein de conseils de carrière et mon avis, et j’ai l’impression de radoter, tout juste après mon vingtième anniv !!! Bon, encore deux ans de boulot et c’est décidé je prends ma retraite« 

1er février 2007

« Toujours au travail, complètement crevé avec encore une journée roller coster, je suis un légume autant physiquement que moralement, et ce n’est que le milieu de la semaine !!! » « Le résumé de la situation n’est pas très folichon pour le marché américain des produits immobiliers à risques… D’après Sparks, ce segment d’affaires est totalement mort, et les pauvres petits emprunteurs peu solvables vont pas faire de vieux os !!! 

7 mars 2007

« Tout ceci me donne des idées sur mon futur à moyen terme, dans la mesure ou je n’ai pas l’intention d’attendre l’explosion totale du secteur et le début des opérations en catastrophe, je pense qu’il pourrait y avoir des choses un peu plus intéressantes à faire en Europe… » ( ; Daniel Sparks était à l’époque le directeur des produits immobiliers de Goldman Sachs.) 

13 juin 2007 

« Tout juste arrivé au pays de tes clients préférés. Je viens d’ailleurs de vendre quelques [titres] Abacus à des veuves et orphelins que j’ai croisés dans l’aéroport, décidément ces Belges adorent les [titres] synthétiques » de ce genre.

27 Avril 2010

Audition organisée par la commission sénatoriale américaine entendant les responsables de Goldman Sachs, visée par une affaire de fraude

Les sénateurs ont commencé par cuisiner durant plus de cinq heures Daniel Sparks – ancien responsable des activités hypothécaires – et trois de ses subordonnés, parmi lesquels le Français Fabrice Tourre, visé par la plainte de la SEC. «Vous avez conçu un produit de 300 millions de dollars, sur lequel vous représentiez la moitié des «shorts» [paris sur la faillite]… étiez-vous à l’aise de le vendre à vos clients? Pourquoi ne pas les avoir informés de ces paris?», a interpellé le président de la commission, le sénateur démocrate Carl Levin. «Les clients qui n’ont pas voulu participer à ce deal ne l’ont pas fait», s’est contenté de répondre Daniel Sparks. Une bonne partie de l’audition de ces seconds couteaux – celle de Lloyds Blankfein était attendue plus tard dans la soirée – s’est résumée à un discours de sourd. Comme paralysés par les mises en garde des cohortes d’avocats de la banque, ces derniers ont tenté de verrouiller chacun de leurs propos. Ainsi, cet échange entre le sénateur Levin et le banquier Sparks.

– Combien [la banque] a gagné en pariant sur le déclin de ces produits, vendus à vos clients?

– Il semble que ces clients aient pris leur décision librement en [y] investissant.

– Vous rappelez-vous dans quelles proportions vous avez parié contre un [autre] produit appelé Timber­wolf, dont vous avez vendu 600 millions de dollars?

– Nous avons fourni un certain nombre de paris baissiers…

– Savez-vous ce que votre équipe disait à propos de Timberwolf dans un courriel? «Mec, c’était vraiment une affaire merdique»! 

– Il m’est utile de savoir dans quel contexte ces mots ont été prononcés… 

– Combien de ces affaires merdiques avez-vous vendues? 

– Leur prix reflétait le niveau de risque dans lequel les clients voulaient investir… 

– Goldman Sachs devait-elle vendre des affaires merdiques? 

– Je n’ai pas utilisé ces mots. 

– Ne disiez-vous pas alors que vendre ces produits était la «top priorité»?

[Silence] 

La réponse de Fabrice Tourre à une sénatrice républicaine, Susan Collins, lui demandant s’il servait l’intérêt de ses clients, ou celui de sa firme, résume la position des trois hommes. Ceux-ci ont tenté de se présenter comme de simples intermédiaires – des «market makers» – organisant ce marché de produits devenus toxiques.

«Nous avions l’obligation de servir nos clients, mais nous n’étions pas leur conseiller en investissements: nous agissions comme «market makers» en leur dévoilant les prix des transactions qu’ils requerraient.»

Distinguo crucial!

PLUS DE FABULOUS FAB EN SUIVANT:

Nous nous souvenons tous que Fabrise Tourré alias Fabulous Fab (pseudo qu’il a utilisé pour signer ses e-mails et sa correspondance) a envoyé les courriels « l’incriminant » à sa petite amie  de l’époque. Il y avait  déclaré: Très perspicace… Effet de levier financier de plus en plus fort, l’édifice entier risque de s’effondrer à tout moment… Seul survivant potentiel, le fabuleux Fab (comme m’appelle gentiment Mitch, bien que je n’aie rien de fabuleux […]) debout au milieu de toutes ces transactions complexes, à fort effet de levier, exotiques, qu’il a créées sans forcément comprendre toutes les implications de ces monstruosités !!!. Quand je pense que c’est un peu moi qui ait participé à la création de ce produit (qui soit dit en passant, est un pur produit de masturbation intellectuelle, le genre de truc que tu inventes en te disant: ‘et si on créait un ‘machin’ qui ne sert absolument à rien, qui est complètement conceptuel et hautement théorique et que personne ne sait pricer?’), ça fait mal au coeur de voir que ça implose en vol… C’est un peu comme Frankenstein qui se retourne contre son inventeur »

Le «Frankenstein» dont parle Fabrice Tourre est un indice (ABX index, en termes techniques) qui facilitait l’achat et la vente de produits dérivés sur le marché hypothécaire, mais qui s’est mis à perdre de la valeur début 2007

Peut-être Tourre aurait dû lire à la fin du roman de Mary Shelley-. Il aurait compris que Victor Frankenstein (qui était le créateur) du monstre avait tué sa femme et qu’il il a été condamné à souffrir pour le reste de sa vie parce qu’il n’a pas réussi à reconnaître sa propre responsabilité dans la création de la monstruosité.

Frankenstein était le Prométhée moderne, le Titan qui a voulu faire des êtres à l’image des dieux et insuffler de la vie dans leur corps morts. Prométhée a été puni pour avoir pris le feu de Zeus et voulu le donner à l’homme. Il a été éternellement puni en étant fixé sur un rocher avec un aigle qui picoraient son foie. Le foie se reconstituait  tous les soirs et l’oiseau revenenait le picorer à nouveau le lendemain. Sa punition consistait à souffrir seul, éternellement. On peut se demander si oui ou non ce sera la peine qui sera prodiguées à Fabulous Fab!!!!

Fabrice Tourre a tout  aussi d’un Icare, recruté très jeune par Goldman Sachs, la banque des « meilleurs », à la sortie de Stanford, où il peaufinait son CV de vainqueur après l’Ecole centrale de Paris. Vice-directeur, à 28 ans, d’un département de produits structurés, il est le seul employé de la banque nommément accusé de fraude par la SEC. En amont de son audience au Sénat, Goldman Sachs a publié de plus larges extraits de la correspondance ( les fameux courriels!) de Fabrice Tourre, avec pour double effet de révéler un personnage plus ambivalent et désabusé que proprement malveillant, tout en contribuant à le dénuder encore. Pour mieux le brûler peut-être….

Rappel des faits 

L’affaire «SEC contre Tourre», qui commencera d’être jugée, lundi 15 juillet, au tribunal fédéral de Manhattan, à New York, pourrait devenir la plus symptomatique de la crise financière qui a submergé les Etats-Unis à l’automne 2008, après l’explosion de la bulle subprime. Le contrôleur des marchés – la Securities & Exchange Commission (SEC) – y poursuit en effet Fabrice Tourre, ex-opérateur des marchés de la banque d’affaires Goldman Sachs, pour avoir délibérément «trompé» ses clients en leur vendant un produit financier, en l’occurrence un dérivé de dette (CDO) dit «synthétique» nommé Abacus, que son promoteur initial, le gérant de hedge fund John Paulson, pariait à la baisse – tout comme Goldman Sachs, son propre employeur. M. Tourre a placé pour 11 milliards de dollars (8,4 milliards d’euros) des diverses versions de ce titre.

Pour aller en justice, la SEC a choisi un titre qui incarne les dérives de la «folie subprime» : l’Abacus 2007-AC1, dont Le Monde avait, en mai 2010, publié une analyse détaillée. Emis en août 2006, il était adossé pour 1,8 milliard de dollars à des emprunts immobiliers de mauvaise à très mauvaise qualité. Lorsque Goldman Sachs le propose à ses clients, en février 2007, le taux de défaut de remboursement sur ces prêts atteint 7,05 %, un niveau colossal. Qu’importe ! M. Tourre le placera jusqu’à l’été 2007, alors que sa banque vend, de son côté, les Abacus qu’elle détient en propre. La crise venue, les acquéreurs de ce titre «pourri» – pour l’essentiel des investisseurs institutionnels – perdront 99 % de leur mise.

Parmi ces acheteurs figuraient notamment la banque IKB, première victime en Allemagne de la crise des subprimes, et sa consoeur néerlandaise ABN Amro. Au moment de la révélation de l’affaire en avril 2010, la presse américaine avait fustigé l’attitude arrogante et suffisante du Français, qui avait refusé de s’excuser lors d’une audition au Congrès. Les journaux avaient fait leurs choux gras des fêtes dans son appartement new-yorkais à 4 000 dollars par mois, des 2 millions de dollars qu’il avait gagnés en 2007, et des courriels privés que leur avait transmis Goldman Sachs, où il comparait les produits qu’il concevait à des « monstruosités » ou de petits « Frankenstein », et ironisait sur « les pauvres petits emprunteurs peu solvables » qui « ne vont pas faire de vieux os ».

Si Fabrice Tourre, qui plaide non coupable, se retrouve au tribunal, c’est d’abord parce que Goldman l’a abandonné. Pour éviter un procès, les dirigeants de la banque d’affaires ont accepté de payer une amende et d’exclure le cas Tourre de la transaction avec la justice. Goldman Sachs a déjà dû ainsi verser une somme de 300 millions de dollars au gouvernement américain et 250 millions de dollars aux investisseurs.

Mais le trader aurait ensuite refusé de transiger. Voilà pourquoi il sera jugé quand ses employeurs, accusés par la SEC de «conflit d’intérêts» avant la transaction, ne sont pas inquiétés. Pas plus que le patron du fond, John Paulson, qui a poussé à adosser Abacus à des titres hypothécaires les plus susceptibles de se dégrader. Quant aux agences de notation, qui ont longtemps accordé à Abacus la note maximale AAA, celle qui «donne confiance» aux investisseurs, la plainte de la SEC les ignore.

Dès lors, de nombreux observateurs estiment que la cause de M. Tourre n’est pas perdue d’avance. Car le dossier de la SEC présente des faiblesses. Elle estime ainsi qu’ACA, le cabinet spécialisé qui a «structuré» Abacus (à la demande de Goldman et sous la férule de M. Paulson), est une «victime» de M. Tourre – une assertion outrageante pour beaucoup d’analystes.

En Effet dans les courriels diffusés par le sénateur  Carl Levin lors de l’audition devant le sénat US des protagonistes de chez  Goldman Sachs en 2010, on peut lire que Lloyd Blankfein son PDG, le 18 novembre 2007, reconnaît: «Nous avons perdu de l’argent, mais nous avons alors gagné davantage que ce nous avons perdu grâce aux ventes à découvert.» Dans un autre e-mail, du 11 octobre, un cadre se réjouit: «On dirait que l’on va faire un paquet d’argent.»

Pour Carl Levin lui mème, cela démontre que les banques d’affaires ont non seulement construit des produits financiers «exotiques» avec la complicité des agences de notation. Mais, en outre, qu’elles ont «trop souvent parié contre les instruments qu’elles vendaient et qu’elles en ont tiré profit au détriment de leurs clients».

Autre pièce manquante au puzzle:  John Alfred Paulson Il n’est pas accusé, il ne sera pas entendu. Et pourtant, John Paulson, toujours bien classé au classement Forbes des plus riches(45 ème en 2010), est un pivot dans la création – frauduleuse selon la SEC – des produits financiers élaborés par Fabrice Tourre. Le patron du fonds spéculatif Paulson & Co, dont la fortune personnelle est  estimée à 12 milliards de dollars en 2010 , est l’un des rares investisseurs à être sorti gagnant de l’écroulement du marché immobilier «subprime», qu’il a tôt subodoré. Comment? A en croire Gregory Zuckerman dans son livre The Greatest Trade Ever, Paulson aurait suggéré à plusieurs banques, dont Goldman Sachs, de créer des produits agglomérant des hypothèques pourries, dans le seul but de pouvoir parier sur leur effondrement. La banque, elle, trouvait parmi ses clients des acheteurs pour ces produits voués à l’échec. C’est ainsi, entre autres, que dès 2007, John Paulson s’enrichissait de 10 millions de dollars par jour, soit, selon la formule de Zuckerman, «plus que J.K. Rowling, Oprah Winfrey et Tiger Woods réunis».

Crédibilité menacée

La SEC exige aussi d’exclure des débats comme «non pertinentes sur le fond» les déclarations des plus hautes autorités monétaires et financières américaines qui ont évoqué la toxicité des produits «pourris» avant leur effondrement, déclarations dont la défense entend faire son miel. Et qui croira que la nature réelle de ces CDO était à ce point inconnue des investisseurs qui misaient sur leur hausse – dès lors que leur «structure» consistait à avoir obligatoirement une contrepartie qui parie l’inverse ?

«Tenter de faire porter la faute au seul Tourre est risqué» pour le gendarme de Wall Street, estime Reynolds Holdings, l’analyste de l’agence financière Thomson Reuters. La SEC, qui vient de perdre en justice sur plusieurs plaintes, verrait sûrement sa crédibilité proclamée à mieux contrôler les marchés pâtir d’un nouvel échec judiciaire à l’issue d’une affaire immensément plus médiatisée.

Mais le système de défense de l’accusé risque de s’avérer tout aussi périlleux. Il consiste, en substance, à plaider soit que M. Tourre n’est pas coupable des faits incriminés, ce qui sera difficile à démontrer, soit qu’il le serait immensément moins que bien d’autres beaucoup plus haut placés que lui et qui ont encouragé ou couvert ses pratiques. C’est oublier que lors d’un procès, on ne juge pas un système, mais un individu pour ses actes spécifiques. Et qu’en droit cette défense équivaut de facto à un aveu.

Source Le Temps+ Le Monde du 16/7/2013+ Divers

http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/07/15/le-proces-de-fabrice-tourre-est-aussi-celui-des-derives-de-la-finance_3447619_3234.html

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Fabrice Tourre, le Dr Frankenstein de Goldman Sachs Par Marc Roche, Le Monde

Le procès de l’ancien courtier de Goldman Sachs commence ce lundi à New York. Le Français est seul à comparaître, jugé pour fraude dans une affaire qui a ouvert la crise des subprimes

La voix est dénuée de la moindre trace d’inquiétude. Le ton est poli et enjoué. Lors d’une conversation téléphonique en septembre 2011, Fabrice Tourre est d’une entière courtoisie. «Un entretien ? Impossible. Mes avocats m’interdisent de parler.»

L’ex-trader de Goldman Sachs, poursuivi par la Securities and Exchange Commission (SEC), la tutelle de Wall Street, pour fraude et dont le procès s’ouvre lundi 15 juillet à New York, aime pourtant vanter ses exploits, réels ou imaginaires. Le Français ne signait-il pas ses courriels «Fabulous Fab» ? Dans un mail désormais célèbre, l’intéressé racontait à sa petite amie, en janvier 2007, «avoir créé des monstruosités» qu’il ne maîtrisait plus. Tel le Dr Frankenstein du roman de Mary Shelley, la créature lui avait échappé. «L’édifice entier risque de s’effondrer à tout moment…», écrivait-il dans ce courriel. En septembre 2008, Lehman Brothers faisait faillite…

Agé de 34 ans, cet homme de petite taille au visage avenant est le seul à être poursuivi par la justice américaine pour son rôle dans le scandale de la vente de ces produits toxiques assis sur des dérivés de crédits hypothécaires (les subprimes), baptisés Abacus. En juillet 2010, contre l’abandon de toutes charges, Goldman Sachs a, en effet, payé une amende équivalante à 400 millions d’euros à la SEC, sans reconnaître la moindre faute. Selon l’accusation, l’opérateur est l’architecte d’une vaste tromperie, consistant à vendre à des clients des crédits en tranches dont Goldman se débarrassait en douce. Il plaide non coupable.

Le 27 avril 2010, Fabrice Tourre avait témoigné devant la sous-commission d’enquête du Sénat des Etats-Unis sur la responsabilité des banques dans la crise financière de 2008, née de l’explosion de la bulle des subprimes. Usant et abusant de jargon technique, le beau parleur avait refusé de s’excuser et nié les faits qui lui étaient reprochés avec aplomb. «Il était arrogant et même super arrogant, nous déclarera par la suite le sénateur Ted Kaufman. Il était du genre : vous n’avez pas le droit de me poser ces questions et j’en sais plus que vous sur ce dossier.»

Le Rastignac de Goldman Sachs sort tout droit de l’Ecole centrale, l’une des plus prestigieuses de France, dont raffolent les salles de marchés. Après une jeunesse passée dans la banlieue ouest de Paris, du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) à Sceaux, dans des quartiers résidentiels un brin aisés, entre un père cadre et une mère podologue, Fabrice Tourre enchaîne les célèbres lycées Henri-IV et Louis-le-Grand, avant d’intégrer Centrale à 19 ans. Le jeune homme a tout du premier de la classe, sage comme une image, visiblement bien élevé…

Après une année à la Stanford Business School en Californie, l’une des meilleures écoles de commerce des Etats-Unis, l’aspirant banquier au cursus exemplaire décroche un entretien d’embauche chez Goldman Sachs. Le candidat doit se plier au petit jeu d’une vingtaine d’interviews rondement menées par des associés et des directeurs. On l’interroge sans relâche. Au bout du processus, les hiérarques de l’établissement n’ont vraiment rien trouvé qui leur déplaise chez le Français.

A leurs yeux, le jeune loup a tout pour lui : intelligence, autorité naturelle, soif de réussite professionnelle, bosse des mathématiques, maîtrise de la novlangue financière. Fabrice n’a pas besoin de beaucoup de sommeil. Disert et charmant, un peu nerveux (mais qui ne le serait pas ?), il cache mal un fort sentiment de supériorité intellectuelle, ce qui est un bon point pour son futur employeur. C’est un tennisman chevronné, hyper concentré, qui s’adonne avec bonheur au jogging, donc prêt aux longs efforts. Fabrice Tourre est leur homme, cela ne fait aucun doute.

Naissance d’Abacus

Au siège de New York, le nouveau venu est affecté à la division des crédits hypothécaires, le «mortgage desk», au sein d’une section composée de six opérateurs et dirigée par Jonathan Egol. Des grosses têtes qui ont en commun la passion de l’analyse financière, des algorithmes et des équations. Le Français y trouve immédiatement sa place. Egol et Tourre forment l’un de ces binômes typiques de Goldman Sachs. Les deux personnalités se complètent. Le premier, introverti, est l’homme des concepts ; le second, extraverti, est un vendeur né. En 2005, les deux compères mettent au point un produit financier assis sur un portefeuille de créances comprenant essentiellement des subprimes, affublé du nom de code latin : Abacus.

Le travail qui consiste à vendre pour le compte de son employeur des produits dérivés complexes aux acronymes barbares est certes fastidieux. Le salaire de base n’est pas terrible, mais la rémunération au chiffre par la prime de fin d’année, le fameux bonus, est rondelette. Fabrice Tourre se sent bien à New York, ombilic de la planète financière. Centrale et l’université de Stanford sont à des années-lumière. Le groupe Bouygues, où il a effectué un stage de deux mois avant de partir étudier aux Etats-Unis, aussi. Le passé est loin derrière lui. Le Frenchie est arrivé. Il a 22 ans.

Grâce à la croissance économique, à la course au gigantisme, mais surtout à la politique exubérante d’argent bon marché instituée par la banque centrale américaine entre 1987 et 2006, le secteur financier américain est devenu une extraordinaire machine à fabriquer des profits. Et au coeur de cet essor sans précédent se trouve l’explosion des produits dérivés de crédit, en particulier ceux reposant sur un marché immobilier qui croît jusqu’à la folie.

Epuisante responsabilité, jalonnée de nuits écourtées, de week-ends sacrifiés, de trop rares distractions. Promu au rang de directeur exécutif, Fabrice Tourre est transféré en novembre 2008 à la City. Sa mission, à l’ombre de la cathédrale Saint-Paul : adapter Abacus au marché européen. Malgré la charge de travail écrasante, le goldmanien est aux anges, aux côtés de sa petite amie, une Française rencontrée au siège new-yorkais du groupe. Mais le bonheur sera de courte durée. Après les révélations du New York Times en décembre 2009 sur le subterfuge Abacus, il se voit retirer sa licence de trader dans la City.

Placé en congé sans solde, l’ex-golden boy débute un doctorat d’économie à l’université de Chicago. Le fort en thème fait également de l’humanitaire au Rwanda. Après avoir quitté la banque au début 2013, «Fab» rêve de nouveaux combats, de nouvelles revanches. Avec ce sourire, angélique ou carnassier, selon la proie.

http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/07/15/fabrice-tourre-le-dr-frankenstein-de-goldman-sachs_3447598_3234.html

http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/les-mails-etonnants-de-fabrice-tourre_230994.html#lA123HMlGqPKWvfA.99

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