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L’incestueuse relation entre l’Etat et la banque Par Simone Wapler

L’incestueuse relation entre l’Etat et la banque Par Simone Wapler

Dans «Comment l’Etat va faire main basse sur votre argent» (Ixelles), la journaliste Simone Wapler explique comment l’État français, confronté à de graves problèmes financiers, pourrait révéler une nature particulièrement féroce. Selon elle, les dépenses gouvernementales sont hors de contrôle, le déficit budgétaire a atteint des sommets astronomiques et le gouvernement doit trouver le moyen de payer ses factures tout en épongeant ses dettes continuellement croissantes. Simone Wapler envisage donc la possibilité d’un détournement de l’épargne des citoyens afin de rembourser en priorité les débiteurs étrangers.

L’ère est à la répression financière Les temps ont changé, l’évolution de la détention de la dette souveraine par les banques nationales l’atteste. Le rôle de l’Etat a changé de providence à parasite, celui des banques aussi. Dans un scénario à 5 niveaux de liberté, Simone Wapler nous situe au niveau 2 de la répression financière. Pour l’instant elle ne concerne que les gros actionnaires, mais la voie est ouverte à des niveaux de répression plus élevés : contrôle des changes, limitation de la convertibilité de la monnaie, puis convertibilité de la monnaie impossible et enfin, impossibilité de sortir du territoire. Parmi les autres mesures de répression financière tout à fait plausibles et envisageables, Simone Wapler cite le gel des contrats d’assurance-vie, l’interdiction de la vente d’or, voire sa confiscation, les emprunts forcés…

Votre argent est vulnérable si vous le laissez dans une banque. Non pas tant parce que votre banque pourrait faire faillite, mais parce que votre argent pourra être pris en otage par l’État.

En effet, les grosses banques ne font pas faillite, elles sont renflouées par vous, contribuable, pour le compte de l’État. Les déposants du Crédit lyonnais ou de Dexia ont toujours leur argent, les pertes sont endossées par les contribuables qui «recapitalisent», c’est-à-dire qu’ils remettent de l’argent au pot pour permettre aux banques de poursuivre leur activité. Voici un extrait de la convocation à l’assemblée générale extraordinaire de Dexia envoyée le 21 novembre 2012 sur les conséquences de la mort de cette banque. C’est un peu long et jargonneux, mais c’est important:

«Un défaut du groupe Dexia rendrait exigible, par l’effet de clauses de défaut croisé et d’accélération figurant dans les conditions des emprunts conclus par certaines entités du groupe, principalement par DCL, la totalité de sa dette, soit environ 386,5 milliards d’euros au 30 septembre 2012, et les montants dus au titre de contrats de dérivés, soit un montant notionnel d’environ 605 milliards d’euros au 30 septembre 2012. […] Un tel défaut menacerait la stabilité de l’ensemble du système financier européen. En effet, un défaut du groupe Dexia entraînerait un gel des actifs sur le court terme et affecterait la liquidité des marchés, avec un risque important de contagion de la zone euro, compte tenu de la taille de bilan du groupe, du montant particulièrement important de ses encours non sécurisés, du volume de contrats de dérivés conclus par certaines entités du groupe et des contreparties bancaires et de l’impact majeur de la vente par les entités du groupe de leur portefeuille obligataire sur l’évolution des marchés financiers à la suite de la dépréciation de la valeur des actifs obligataires en mark-to-market. Un défaut du groupe Dexia déstabiliserait également les marchés de la dette souveraine, en ce compris ceux de la zone euro. En effet, les entités du groupe Dexia détenaient un portefeuille d’obligations souveraines de 20,049 milliards d’euros au 30 septembre 2012. La liquidation de ce portefeuille déstabiliserait les marchés secondaires, notamment de ceux de plusieurs États de la zone euro (plus de 70% de ce portefeuille d’obligations souveraines étant liés à des États de la zone euro). Cela aurait des conséquences en chaîne considérables sur les marchés financiers.» Voilà ce que recouvre l’expression «trop gros pour faire faillite» et voilà pourquoi il vous faudra remettre inlassablement au pot. Car dans ces 1000 milliards d’euros (ne chipotons pas) mentionnés au début, la Belgique, la France et le Luxembourg sont garants pour 70 milliards d’euros. Le 21 décembre 2012, la France et la Belgique – c’est-à-dire l’internationale des contribuables – ont mis au pot 5,5 milliards d’euros pour éviter la catastrophe. Notez bien, cher lecteur, les 20 milliards d’euros de dettes souveraines en portefeuille de Dexia.

Vous avez un parfait exemple de la relation incestueuse banque-État: «Je te prends tes obligations souveraines, donc tu me sauves», côté banque. «Je t’ai sauvée donc tu vas me reprendre de mes belles obligations souveraines toutes fraîches», côté État. Certes, vous ne risquez pas grand-chose en tant que client d’une grande banque, mais, lorsque la situation va se détériorer, l’État pourra limiter les retraits des banques et interdire à l’argent de sortir du territoire, voire même prélever un impôt exceptionnel sur vos dépôts.

Pour comprendre le rôle très important que jouent les banques dans cette crise du crédit et de la dette et pourquoi l’État pourrait en arriver à ces extrémités, il faut nous pencher sur les relations incestueuses entre États, banques centrales et banques commerciales.

Autrefois, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la banque était un service réservé aux riches. Les gens modestes étaient en général libres de dettes, cette triste condition d’endettés étant plutôt l’apanage des nantis et des puissants.

La plupart des gens étaient payés en espèces, et même en espèces sonnantes et trébuchantes puisque la monnaie était de métal. Les travailleurs peu qualifiés étaient payés à la journée, les autres à la semaine. L’épargne était conservée chez soi, dans le mythique bas de laine ou dans une cachette quelconque. Les phénomènes d’inflation étaient assez rares, sauf dans les périodes de guerre, périodes durant lesquelles les gouvernements se livraient aux habituelles manipulations monétaires pour financer leurs velléités conquérantes.

La banque était donc un service réservé aux riches marchands, aux notables et aux puissants. Il s’agissait d’un service payant: le banquier conservait en sécurité l’argent de son client, assurait la tenue des comptes – entrées et sorties d’argent -, établissait les lettres de change et billets à ordres nécessaires aux déplacements ou affaires de son client. Les pauvres s’endettaient peu, les riches souvent plus, les empereurs, les rois et les princes énormément. La banque d’investissement était cependant embryonnaire et le monde tournait ainsi.

Les Peruzzi, les Médicis, les Fugger, qui finançaient les guerres et les folies impériales, royales ou princières, spéculaient avec leurs fonds propres sur les élections; d’autres banquiers plus modestes finançaient les armateurs et grands marchands. Le Marchand de Venise de Shakespeare donne une assez bonne idée de cette finance d’autrefois. Permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire.

Antonio est un riche marchand armateur dont tous les navires sont en mer. Son meilleur ami et protégé, Bassiano, a besoin d’argent. Mais Antonio n’a pas de liquidités car il a payé pour ses cargaisons qu’il attend. Ne voulant pas décevoir son ami, Antonio emprunte à l’usurier Shylock et accepte imprudemment de donner en caution une livre de sa propre chair. Les navires tardent… Vents contraires ou peut-être une rencontre avec des pirates. Une rumeur arrive: les navires sont perdus, ont été coulés. Shylock va pouvoir faire jouer sa garantie et affûte son couteau…

Ne nous égarons pas, je vous laisse retrouver Shakespeare pour lever ce suspense. Cette histoire nous rappelle simplement qu’on ne trouvait pas une banque à chaque coin de rue, que la spéculation intéressait très peu de monde et qu’elle s’effectuait sur fonds propres et pas avec l’argent des déposants.

Tout a changé avec l’apparition de la monnaie-papier et surtout du système de réserves fractionnaires qui permet de faire circuler plus de papier que ce que la banque a en réserve. Tout d’abord le billet de banque à banque – qui évitait de déplacer de grosses sommes d’argent sous forme d’or – a fini par s’imposer en tant que monnaie. Il était bien plus efficace de mettre en circulation des morceaux de papier émis à partir d’une réserve de métal précieux, plutôt que le métal précieux lui-même. Puis les banquiers se sont aperçus que leurs clients ne venaient pas tous en même temps réclamer leur monnaie métallique. D’où l’idée des réserves fractionnaires: une banque pouvait émettre beaucoup plus de papier qu’elle n’avait de monnaie métallique en réserve.

Actuellement, dans la zone euro, la demande de monnaie – c’est-à-dire ce que les gens tirent réellement de leurs comptes bancaires sous forme de billets et pièces – se monte à 15% des dépôts. Il ne vous a certainement pas échappé que votre banque n’appréciait pas que vous lui demandiez votre argent. Souvent, pour des sommes supérieures à 1000€, les grandes banques de réseau vous demandent de commander à l’avance votre argent. Le motif le plus souvent invoqué est que les agences n’ont pas d’espèces pour éviter les braquages et n’ont que le souci de votre sécurité, bien entendu. Mais elles ont en réalité une motivation bien plus importante: tout ce que vous leur retirez en espèces, c’est autant de moins qu’elles peuvent faire travailler à leur profit.

Comme nous le verrons plus tard, votre banque n’a sous la main, instantanément disponible, que 1% de vos dépôts. Ce montant est en principe déposé à la Banque centrale européenne. Des retraits simultanés d’une intensité inhabituelle (le bank run ou panique bancaire) la mettent donc immédiatement en faillite. Une banque est un marchand de crédits et de dettes Une banque est un commerçant. Comme votre boulanger ou votre boucher, elle achète et vend une marchandise. Cette marchandise, ce sont les prêts. D’un côté, une banque a des engagements, les prêts qu’elle accorde, qu’elle vend. C’est ce que l’on appelle des actifs. De l’autre, elle a des fonds propres. C’est l’argent qui lui appartient en propre, qui est là pour payer les pots cassés si un prêt devient irrécouvrable parce que l’emprunteur est dans la panade. Combien une banque peut-elle prêter? C’est là que vos dépôts interviennent.

La somme des engagements d’une banque ne doit pas dépasser un certain montant, qui dépend de deux choses: des dépôts que la banque a reçus et de ses fonds propres. Si une banque a 100€ de dépôts (votre argent), elle en dépose 1€ à la Banque centrale et elle peut prêter 99€. En fonction du risque de ses prêts, elle doit avoir des fonds propres pour couvrir la casse. La banque achète donc vos dépôts (car vos dépôts sont en réalité un prêt que vous lui faites) et vend des prêts. Comme votre boucher ou votre boulanger, elle a une marge de transformation: cette marge est la différence entre les dépôts qu’elle rémunère (ou pas) et le taux qu’elle demande pour le prêt qu’elle accorde. Plus le prêt est risqué, plus elle va demander un taux élevé et inversement, plus le prêt est sûr et l’emprunteur fiable, moins le taux demandé est élevé. Plus votre banque accorde de prêts risqués plus sa marge grossit. En contrepartie, plus elle accorde de prêts et plus ils sont risqués, plus elle est obligée d’avoir de fonds propres.

Vous avez déjà compris, cher lecteur perspicace, que votre argent intéressait votre banque, puisque plus vous en déposez plus elle peut prêter. D’où l’intérêt de la «bancarisation», horrible néologisme qui mesure le nombre de gens ayant accès aux services bancaires. Pour les banques, si tout le monde a un compte en banque et pas seulement les riches, cela fait plus de clients potentiels et plus de matière à prêter. Car, quoi qu’on veuille bien en dire, l’argent de quelques riches fait beaucoup moins de capitaux que l’argent du plus grand monde. Le taux de bancarisation atteint aujourd’hui 99% en France. Le montant des dépôts bancaires dépasse 1850 milliards d’euros, dont 1130 milliards d’euros pour les ménages. Les riches – les 1% qui ont le plus gros patrimoine – ne représentent que 18% de la part de ce gâteau, si l’on en croit l’Insee. Démocratiser la banque a donc fait affluer l’argent et les débiteurs potentiels dans le système financier. L’économie du crédit a ainsi pu se développer dans les années 1980, crédit immobilier et crédit à la consommation se sont généralisés, mais aussi – et c’est très important – le crédit à l’État.

Ce système d’économie du crédit est favorisé par l’État, lui-même gros consommateur de dette. En général, vous et moi calculons notre endettement en fonction de nos revenus, de nos ambitions, des risques que nous sommes prêts à assumer et de notre espérance de vie. Mais l’État est différent. Ses revenus, ce sont vos impôts, il a de grandes ambitions et il est immortel. Il lui faut donc des banques capables de lui prêter beaucoup d’argent pour assouvir ses grandes ambitions. Plus les banques ont de déposants, plus elles pourront prêter, et notamment à leur État de tutelle qui leur a donné l’immense privilège de la création monétaire. En affaires, il faut savoir renvoyer l’ascenseur.n

Source Agefi Suisse Mardi, 17.09.2013

http://agefi.com/marches-produits/detail/artikel/dans-%3C%3Ccomment-letat-va-faire-main-basse-sur-votre-argent%3E%3E-ixelles-la-journaliste-simone-wapler-explique-comment-letat-francais-confronte-a-de-graves-problemes-financiers-pourrait.html?catUID=19&issueUID=415&pageUID=12409&cHash=bbd11a32bb026b6f96f7320ebd794227

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