L'Etat dans tous ses états, ses impots et Nous

« Aux sources du libéralisme » avec Alain Laurent et Olivier Meuwly (Avec commentaire de Bruno Bertez) (ACTUALISE AU 29/8/2013)

 « Aux sources du libéralisme » avec Alain Laurent et Olivier Meuwly (Avec commentaire de Bruno Bertez) (ACTUALISE AU 29/8/2013)

AVANT PROPOS Par Bruno Bertez

   L’Article que nous reproduisons remet à la fois les choses et les mots à leur place et c’est très bien.

Le libéralisme est surtout attaqué pour ce qu’il n’est pas. C’est un procédé classique qui consiste à prêter aux autres des idées qu’ils n’ont pas afin de les démolir.

Ainsi, par mystification et détournement la pensée dominante réussit à faire passer la crise financière, crise de surendettement donc crise d’excès de dépenses non financées, pour une conséquence du libéralisme. Comme si les idées libérales étaient favorables, pouvaient être favorables à de telles dérives. La vérité oblige à reconnaitre que ces excès de dépenses non financées ont pour origine non pas les idées libérales, mais les idées dirigistes, étatistes et bien sûr sociales-démo. 

C’est pour avoir distribué de l’argent qu’ils n’avaient pas que les Etats se sont surendettés. Pourquoi n’avaient-ils pas cet argent? Parce qu’ils n’ont pas osé le prendre par l’impôt? ¨Pourquoi ne l’ont-ils pas pris par l’impôt? Parce que s’ils l’avaient pris, ils n’auraient pas recueilli les voix suffisantes, les votes, pour faire une majorité, pour être élu. Ainsi en remontant on voit à quel point la crise a pour origine le mensonge faussement démocrate, et l’usage de la réelle violence. Le mensonge politique est violence nous ne cessons de répéter. 

Même chose avec l’usage du crédit pour favoriser une accession à la propriété factice, une fausse accession à la propriété qui, au lieu de libérer, enchaine et asservit. 

Même chose avec l’usage du crédit pour forcer, doper la croissance. Ce crédit trop facile produit une croissance qui correspond de moins en moins aux préférences des agents économiques, il déséquilibre les rapports inter temporels, il empêche le réaménagement des prix relatifs, il oblige à une inflation minimum (sic) d’au moins de 2%, norme des banquiers centraux qui est une spoliation/destruction organisée. La destruction créatrice effectuée par les forces du marché, c’est à dire par le jeu de la confrontation des préférences des agents économiques n’est-elle pas plus efficace car fondée sur l’utilité et non sur la politique? 

Nous pensons qu’il faut distinguer entre les idées et les hommes. Il y a des idées qui sont libérales et qui sont détournées par, soit leurs promoteurs, soit par leurs utilisateurs. Détournées au profit du dirigisme, de l’étatisme et du constructivisme, alors qu’elles avaient  à l’origine vocation à faire éclore la liberté. Les idées d’un Milton Friedman par exemple ont été récupérés par les dirigistes, elle nous mène au socialisme monétaire. Inversement, il y a plus de liberté et moins de dirigisme chez Keynes qu’on veut bien le voir. 

Le libéralisme est une idéologie. Comme tel il doit être critiqué, perpétuellement remis en chantier, approfondi. Confronté au fait social, confronté au fait économique. Une idée de la liberté qui serait statique et dogmatique perdrait toute valeur de guide pour la conduite de la vie et de l’action. La liberté n’est pas une donnée, mais un projet, un combat. Un combat qui se déroule au sein de la société civile, au sein de la sphère des idées, de la sphère académique et encore plus au sein des sphères des différents Pouvoirs.

L’Homme est intersection de l’individu et du social dans lequel il est pris dès, et même avant, sa naissance et le sens de sa vie est de devenir de plus en plus lui-même, de se faire advenir, de se faire émerger. De sortir de l’indistinct pour devenir un individu. Et ceci, n’en déplaise aux socialistes n’est pas contraire aux intérêts de la société ; La société progresse par les individus qui cherchent à se réaliser , elle régresse avec les politiciens et leurs alliés qui veulent les dominer .

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Dans le cadre historique et somptueux de la Société de Lecture de  Genève, l’Institut Libéral   recevait mercredi soir deux historiens des idées libérales: Alain Laurent et Olivier Meuwly.

Alain Laurent est philosophe, directeur de la collection Bibliothèque classique de la liberté et de la collection des Penseurs de la liberté aux Belles Lettres et auteur de l’anthologie Les penseurs libéraux.

Olivier Meuwly est historien, auteur de nombreux ouvrages, chargé de cours à l’Université de Genève, chroniqueur au Temps.

Alain Laurent est ému de parler du libéralisme en ce lieu, proche de ces lieux mythiques pour les libéraux que sont le Château de Coppet et le Mont-Pèlerin, qui a donné son nom à la société fondée par Friedrich Hayek.

Alain Laurent remonte aux sources du libéralisme pour démonter les cinq fables que racontent ses détracteurs:

1) Nous assisterions au triomphe du libéralisme, alors qu’il y a toujours plus de réglementations et toujours plus d’Etat (en France les dépenses publiques représentent 57% du PIB).

2) Le libéralisme serait à l’origine de la crise, alors que l’Etat-providence en est le responsable en ayant donné l’accès à la propriété à des personnes insolvables et que la crise se poursuit en raison d’endettements publics faramineux.

3) Il y aurait un néolibéralisme, qui serait en rupture avec le libéralisme des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, celui des Turgot, Tocqueville, Bastiat, Constant. Or, il n’en est rien. Hayek,Mises, Friedman se sont inspirés des libéraux fondateurs qui, comme eux, défendaient la souveraineté individuelle, le caractère intangible de la propriété, la liberté d’échanger etc. Ils n’ont fait que l’adapter au contexte nouveau.

4) Il y aurait même, quelle horreur, un ultra-libéralisme, que dénoncent pêle-mêle les sociologues, les économistes, les socialistes etc. En employant le préfixe ultra, oubliant qu’il signifie au-delà (c’est l’étymologie d’outre-mer), ils entendent dénoncer le caractère excessif du libéralisme contemporain qui prônerait, en opposition aux fondateurs, la liberté de la concurrence et la liberté du travail. Or, leurs textes à l’appui, tous les libéraux fondateurs en sont les défenseurs…

5) Il y aurait un bon libéralisme, le libéralisme politique, et un mauvais, le libéralisme économique. Or, les deux libertés, en économie et en politique, sont indissociables. Elles sont toutes deux issues de la liberté individuelle et présentes dans les écrits des fondateurs. L’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie; c’est indispensable pour que la liberté individuelle et, en conséquence, la liberté politique puissent exister. Dans une démocratie libérale, il s’agit de réduire au maximum les occasions pour la tyrannie de la majorité de s’exercer.

En conclusion, Alain Laurent souligne que les auteurs libéraux du XXe siècle et du début du XXIe sont bien dans la lignée de ceux qui les ont précédés aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et qu’il n’y a pas discontinuité entre eux.

Alain Laurent exclut toutefois de la famille libérale un auteur, considéré à tort comme tel, et qui ne figure d’ailleurs pas dans son anthologie.

Il s’agit de John Rawls, qui a usurpé ce qualificatif pour avoir écrit, dans Théorie de la justice, qu’un individu n’est jamais propriétaire de ses dons et de ses qualités et que la société est en droit de lui demander des comptes et d’en disposer comme elle veut…

Qu’en est-il des penseurs libéraux en Suisse romande?

Olivier Meuwly constate qu’il n’y a pas de théoriciens professionnels libéraux en Suisse romande. Aussi est-il nécessaire de reconstituer le puzzle de leur pensée dans leurs écrits parus dans la presse, ou dans leurs interventions dans les parlements.

Ce sont donc des penseurs marqués par le goût de la pratique et bien souvent des juristes, pragmatiques et confrontés au réel. Antoine-Elisée Cherbuliez, genevois aujourd’hui tombé dans l’oubli, est un représentant typique de ces penseurs, dont les réflexions sont éparses.

Le canton de Neuchâtel ne rompt complètement avec la monarchie prussienne qu’en 1848. Les cantons de Fribourg et du Valais sont longtemps soumis au pouvoir religieux. Restent les cantons de Genève et de Vaud, qui ne s’est libéré de l’assujettissement bernois qu’en 1798.

Dans le canton de Genève les principes libéraux cohabitent avec les principes conservateurs; c’est le cas d’un Cherbuliez. Dans le canton de Vaud l’obsession est d’être discrèt pour ne pas indisposer la Diète…

Que pense-t-on de Jean-Jacques Rousseau dans le courant libéral? Il est plébiscité comme éducateur… et banni comme auteur du Contrat social.

Quelles sont les figures de ce courant?

Olivier Meuwly cite Frédéric-César de La Harpe qui a été précepteur du futur tsar Alexandre 1er, à qui il a enseigné les principes libéraux, et qui a dénoncé le despotisme bernois.

Après avoir participé au groupe de Coppet, Jean de Sismondi s’est éloigné du libéralisme économique de Ricardo et de Smith, convaincu qu’une redistribution des richesses est nécessaire.

Etienne Dumont, qui a été en relation avec Mirabeau, s’est lié, pendant ses années passées en Angleterre, avec Jeremy Bentham, dont il s’est inspiré pour le code pénal genevois.

Pellegrino Rossi, qui a fréquenté les salons de Madame de Staël à Coppet, est à la fois partisan d’une Suisse plus unie et fédéraliste. Les libéraux sont en effet, au début, plutôt centralisateurs…

Certains libéraux romands ont fréquenté les salons de Coppet. D’autres, sans les avoir fréquentés, ont été influencés par leurs membres. Ainsi La Harpe, qui adhérait aux principes de Jean-Baptiste Say, a-t-il annoté des livres de Benjamin Constant, dont il s’est inspiré pour ses interventions publiques.

Le libéralisme vaudois (dans le canton de Vaud tout le monde, ou presque, est protestant) s’inscrit dans la liberté de culte avec Charles Monnard, disciple de La Harpe, et avec son ami Alexandre Vinet, ce qui leur vaut à tous deux bien des avanies.

Quand le mouvement radical émerge, il est le réceptacle de plusieurs courants, dont le courant libéral, et de multiples traditions.

C’est ainsi que Louis-Henri Delarageaz, ami de Joseph Proudhon, entretiendra avec lui une correspondance et que Charles Secrétanse fera le défenseur de la conservation du paysage et du patrimoine.

Les radicaux se rejoignent sur la nécessité d’un Etat fédéral, sur la souveraineté populaire et sur le rôle de l’Etat, qui, comme le dit Numa Droz (qui sera Conseiller fédéral pendant des années), doit être « un veilleur de nuit ». Ce sont des pragmatiques, favorables à un libéralisme étatique, mais leur pragmatisme va malheureusement devenir de plus en plus une fin en soi et tarir leurs réflexions.

A l’issue de ces deux conférences, après avoir remercié les deux orateurs de la soirée, Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral, rappelle que le rôle de l’institut n’est pas de jouer un rôle politique, mais d’insuffler les idées libérales dans ce qui existe.

Francis Richard/ Les Observateurs.ch  Article publié le 27.09.2013

http://www.lesobservateurs.ch/2013/09/27/aux-sources-du-liberalisme-avec-alain-laurent-et-olivier-meuwly/

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Le modèle suisse presque parfait : Alain Laurent. Le philosophe et historien des idées partage son analyse sur le libéralisme en Suisse et dans le monde

L’écrivain et philosophe français Alain Laurent était mercredi soir de passage à Genève pour donner une conférence à l’Institut Libéral. Auteur de nombreux ouvrages, il a co-écrit avec Vincent Valentin une anthologie sur le libéralisme nommé Les penseurs libéraux. Il évoque pour L’Agefi le modèle suisse et revient également sur différents aspects du libéralisme sur le plan international.

Interview AGEFI SUISSE: Grégoire Barbey

La Suisse est très souvent décrite comme étant un Etat très libéral. Vous faites dans votre ouvrage une distinction très nette entre plusieurs courants de libéralisme. Est-ce que la Suisse s’inscrit véritablement dans une définition propre à un libéralisme excessif?

Certainement pas. Ce qui est certain, c’est un pays plus libéral que la plupart des Etats qui l’entourent et même d’une manière générale des Etats membres de l’Union européenne. Comme il y a toujours de l’Etat en Suisse, et un Etat qui est tout de même suffisamment présent, je ne vois pas pourquoi on pourrait soutenir que c’est un libéralisme excessif. Je suis un petit peu mal placé pour évaluer chaque aspect du libéralisme suisse mais certains d’entre eux sont connus de tout le monde. Sur le plan du droit fiscal, de la liberté d’entreprendre et du droit du travail, c’est un pays nettement plus libéral que son grand voisin français, et sans doute davantage que l’Italie et l’Allemagne.

Que pensez-vous des libertés en Suisse?

Il y a en Suisse une liberté économique presque totale. Mais comme le libéralisme ne s’attache pas uniquement à l’économie, il est intéressant d’en concevoir les autres aspects. Sur le plan politique, avec la démocratie directe, les citoyens ne sont pas contraints par un diktat et peuvent s’exprimer librement. Pour un certains nombres de libéraux classiques actuels, dont moi-même, tout ça n’est évidemment pas parfait. Les libéraux ont toujours été critiques vis-à-vis de la tyrannie de la majorité. En démocratie directe, c’est toujours la majorité qui l’emporte. Mais au détriment complet de l’autre option. Or ce n’est pas entièrement satisfaisant pour un libéral. Il est attaché à la souveraineté de l’individu. Les autres n’ont pas à décider à sa place.

La tendance en Suisse est d’instaurer des contraintes législatives. Le peuple va voter en novembre une initiative des Jeunes socialistes appelant à limiter les hauts salaires à 12 fois les plus bas revenus d’une entreprise, et l’année prochaine sur l’instauration d’un salaire minimal. Est-ce que cela vous paraît être de bonnes solutions?

Cela dépend des sujets. Fixer une limite aux hauts salaires, ça me paraît être une absurdité totale. Il faut toujours faire attention quand on veut instaurer une réglementation quelconque. On peut toujours contrevenir aux règles. Je suis pour ma part un libéral plutôt hétérodoxe, parfois un peu de gauche. Ce qui est scandaleux, ce n’est pas la proportion des salaires mais la concentration des richesses. Ce qu’il ne faut pas, c’est une concentration durable des richesses, sous forme de caste. Pour Warren Buffet, que tout le monde connait, son idée est de ne pas faire transférer toute sa réussite économique à ses héritiers. Il dépense ses fonds sous forme de dons philanthropiques, si chers aux Américains. En ce qui concerne le salaire minimum, j’y suis beaucoup plus favorable. Même si de nombreux libéraux sont contres. Quand des gens ne gagnent pas un salaire suffisant, ils sont aidés par l’Etat. Et ces fonds sont arrachés aux revenus moyens. La redistribution repose selon moi sur un vol. La redistribution n’est pas possible à mettre en œuvre seulement en taxant les riches, il n’y en a pas assez. Il faut donc taxer les classes moyennes pour y parvenir, voire des strates de la société à faibles revenus. L’idée de redistribution n’est pas saine parce qu’elle fonctionne sur l’extorsion des individus.

Comment combattre la pauvreté?

Les travailleurs pauvres en France reçoivent beaucoup d’argent de l’Etat. Et on rend certaines choses gratuites pour eux. Or jamais rien n’est gratuit. D’autres doivent bien payer pour qu’une prestation existe. Je suis donc favorable à un salaire minimum pour qu’ils puissent vivre honorablement. Mais à condition que l’Etat ne les aide plus du tout. Impliquant évidemment une baisse générale des impôts et un arrêt de la redistribution. Pour moi l’existence de l’impôt est plus grave que le salaire minimum.

En Suisse, nous avons déjà la possibilité d’instaurer  des salaires minimaux à travers des conventions collectives de travail (CCT), négociées par les associations patronales et les syndicats…Alors le système ne doit pas changer. Et le modèle suisse est donc presque parfait.

Il est de bon ton aujourd’hui de parler de politiques néo-libérales. Comment percevez-vous cette appellation? Est-elle justifiée?

Je la perçois d’une façon très négative. C’est pour moi une imposture. Les problèmes de sémantique sont persistants. Le terme de néo-libéralisme a été forgé par des anti-libéraux, il y a tout juste une trentaine d’années. En 1930, avant la Seconde guerre mondiale, des colloques d’intellectuels ont créé ce mot puis il a été oublié. Il n’a ressurgi qu’au cours des années 1980. Le libéralisme est revenu d’actualité à ce moment-là en France et en Italie, qui jusqu’ici avaient des partis communistes et une pensée marxiste très présents dans les mœurs. Dans tous les pays où il y avait de forts partis communistes, des idées libérales ont de nouveau suscité l’intérêt. En Angleterre et aux Etats-Unis, il y a eu Reagan et Thatcher qui ont mené des politiques plutôt libérales. Jusqu’aux années 1980, les politiques étaient particulièrement étatistes. Ce n’est qu’après cette période qu’on a commencé à parler de privatisation, de dérégulation et de mondialisation, qui se sont imposés dans les faits. C’est à partir de là qu’est revenu le terme de néo-libéralisme. J’y suis tout à fait hostile. Les adversaires intellectuels et politiques de toutes ces mesures n’avaient jamais vu ça auparavant. Pour eux, c’était inédit. Or c’est faux. L’hostilité à l’emprise de l’Etat sur l’économie et la société existait déjà depuis longtemps. Adam Smith, Frédéric Bastiat, ou encore Benjamin Constant luttaient contre cette forme d’étatisme. Tous ceux qui ont voulu réinscrire des idées libérales dans la société ne pouvaient pas conserver les mêmes mesures et les mêmes applications qu’un siècle auparavant, c’est évident.

Qu’est-ce qui a changé dans le libéralisme?

Pas les principes, ils sont restés les mêmes. Ce sont juste les «mises à jour», pour parler en termes informatiques, qui ont évoluées. Pour la liberté du travail, les possibilités de licenciement ou le fait que les salariés et leurs employeurs puissent librement contracter, ce sont des idées vieilles comme le monde. On en parlait déjà en 1700. Au final le libéralisme est resté sur le même socle, simplement avec des applications différentes. De ce point de vue-là, le néo-libéralisme devrait signifier le retour du libéralisme. Il faut bien comprendre que les idées libérales ont commencé à s’effacer dans toute l’Europe peu de temps avant la Première guerre mondiale. C’est aussi le fait de l’émergence des revendications ouvrières, et des partis socialistes. Au début du XXe siècle, il n’y a plus de gouvernements libéraux en Europe. Subsistent uniquement des mesures étatiques et interventionnistes. C’est pourquoi dans les années 1980, on peut dire que le libéralisme est de retour, mais sans se départir de ses principes de base. (GB)

Est-ce que les partis se réclamant du libéralisme adoptent-ils véritablement une position politique en adéquation avec cette philosophie?

Il y a un premier problème sur cette thématique. Le mot libéralisme a eu une signification qui s’est diversifiée au fil des siècles et des lieux. Aux Etats-Unis, le libéralisme renvoie à une idée de gauche, plutôt social-démocrate. C’est assez surprenant car le libéralisme en Europe est diamétralement opposé à la version américaine. Mais cette dernière signification du libéralisme s’est diffusée en Europe également. Au Parlement européen, j’aurais tendance à dire que le groupe Libéral défend plutôt une position proche de l’idéologie américaine. En Autriche, c’est un parti d’extrême-droite qui utilise l’appellation libérale. Il faut donc faire attention avec les étiquettes. D’ailleurs des partis libéraux, il n’y en a pas partout. La France par exemple est à l’extrême opposée de la pensée libérale. Au Royaume-Uni, les libéraux sont plutôt de centre-gauche. Ce sont les Tories qui mènent une politique beaucoup plus libérale et conservatrice. Il n’y a d’ailleurs pas un seul parti libéral qui soit seul au pouvoir en Europe. En Australie pourtant ce sont les libéraux qui ont remporté totalement les élections. Au Canada, il y a également une formation libérale, mais elle est très à gauche. Cette extrême diversité provient de l’éclatement de la pensée libérale, à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis, l’écho s’est aussi fait ressentir mais aucun parti de ce type n’a pour autant émergé. S’il devait y avoir une internationale libérale comme il y a une internationale socialiste, cela serait très animé tant les pensées sont au final très différentes.

Le Parti libéral allemand (FDP) a été éjecté du Parlement dimanche. L’annonce d’un déclin du libéralisme européen? Des politiciens suisses s’en sont inquiétés dans la presse alémanique…

Je ne crois pas du tout au déclin du libéralisme, bien qu’en France il ne pourrait pas décliner plus bas. Je vais prendre cet exemple parce que François Hollande et les siens vont faire beaucoup de bien au libéralisme. Depuis quelques mois en France, il y a un thème de contestation qui monte: c’est le ras-le-bol fiscal. Ça n’a pas été lancé par des politiciens, ce sont les gens qui ont démontré leur ras-le-bol face à une imposition jugée trop lourde. C’est la prise de conscience que l’Etat ne peut pas faire n’importe quoi. Surtout en matière fiscale. L’impôt devrait servir à payer les frais de l’Etat lui-même, et à rien d’autre. Il y a une sorte de redécouverte de ce que les libéraux ont toujours défendu, le moins d’impôt possible. Il y a un autre ras-le-bol qui surgit du peuple français, c’est l’excès de réglementations bureaucratiques, qui tue la liberté d’entreprendre. Pour créer une entreprise, c’est incroyablement difficile. Les jeunes entrepreneurs veulent aujourd’hui moins d’intervention de l’Etat.

Vous croyez donc en un possible retour en force du libéralisme?

Cela dépend des contextes. Jusqu’alors j’étais pessimiste en France, mais aujourd’hui avec ces revendications spontanées, j’ai repris confiance. En Allemagne néanmoins, les revendications libérales de base ont été en partie satisfaites par les réformes Schröder, l’ancien Chancelier socialiste. Angela Merkel de la CDU a également procédé à des changements qui vont dans ce sens. Donc c’est plus difficile pour un parti libéral d’avoir une certaine originalité par rapport à des partis qui intègrent déjà une forme de libéralisme dans leur idéologie et leurs actes.

Source AGEFI SUISSE Vendredi, 27.09.2013

http://agefi.com/une/essentiels/artikel/alain-laurent-le-philosophe-et-historien-des-idees-partage-son-analyse-sur-le-liberalisme-en-suisse-et-dans-le-monde.html

4 réponses »

  1. L’Article que nous reproduisons remet à la fois les choses et les mots à leur place et c’est très bien.

    Le libéralisme est surtout attaqué pour ce qu’il n’est pas. C’est un procédé classique qui consiste à prêter aux autres des idées qu’ils n’ont pas afin de les démolir.

    Ainsi, par mystification et détournement la pensée dominante réussit à faire passer la crise financière, crise de surendettement donc crise d’excès de dépenses non financées, pour une conséquence du libéralisme. Comme si les idées libérales étaient favorables, pouvaient être favorables à de telles dérives. La vérité oblige à reconnaitre que ces excès de dépenses non financées ont pour origine non pas les idées libérales, mais les idées dirigistes, étatistes et bien sûr sociales-démo.

    C’est pour avoir distribué de l’argent qu’ils n’avaient pas que les Etats se sont surendettés. Pourquoi n’avaient-ils pas cet argent? Parce qu’ils n’ont pas osé le prendre par l’impôt? ¨Pourquoi ne l’ont-ils pas pris par l’impôt? Parce que s’ils l’avaient pris, ils n’auraient pas recueilli les voix suffisantes, les votes, pour faire une majorité, pour être élu. Ainsi en remontant on voit à quel point la crise a pour origine le mensonge faussement démocrate, et l’usage de la réelle violence. Le mensonge politique est violence nous ne cessons de répéter.

    Même chose avec l’usage du crédit pour favoriser une accession à la propriété factice, une fausse accession à la propriété qui, au lieu de libérer, enchaine et asservit.

    Même chose avec l’usage du crédit pour forcer, doper la croissance. Ce crédit trop facile produit une croissance qui correspond de moins en moins aux préférences des agents économiques, il déséquilibre les rapports inter temporels, il empêche le réaménagement des prix relatifs, il oblige à une inflation minimum (sic) d’au moins de 2%, norme des banquiers centraux qui est une spoliation/destruction organisée. La destruction créatrice effectuée par les forces du marché, c’est à dire par le jeu de la confrontation des préférences des agents économiques n’est-elle pas plus efficace car fondée sur l’utilité et non sur la politique?

    Nous pensons qu’il faut distinguer entre les idées et les hommes. Il y a des idées qui sont libérales et qui sont détournées par, soit leurs promoteurs, soit par leurs utilisateurs. Détournées au profit du dirigisme, de l’étatisme et du constructivisme, alors qu’elles avaient à l’origine vocation à faire éclore la liberté. Les idées d’un Milton Friedman par exemple ont été récupérés par les dirigistes, elle nous mène au socialisme monétaire. Inversement, il y a plus de liberté et moins de dirigisme chez Keynes qu’on veut bien le voir.

    Le libéralisme est une idéologie. Comme tel il doit être critiqué, perpétuellement remis en chantier, approfondi. Confronté au fait social, confronté au fait économique. Une idée de la liberté qui serait statique et dogmatique perdrait toute valeur de guide pour la conduite de la vie et de l’action. La liberté n’est pas une donnée, mais un projet, un combat. Un combat qui se déroule au sein de la société civile, au sein de la sphère des idées, de la sphère académique et encore plus au sein des sphères des différents Pouvoirs.
    L’Homme est intersection de l’individu et du social dans lequel il est pris dès, et même avant, sa naissance et le sens de sa vie est de devenir de plus en plus lui-même, de se faire advenir, de se faire émerger. De sortir de l’indistinct pour devenir un individu. Et ceci, n’en déplaise aux socialistes n’est pas contraire aux intérêts de la société ; La société progresse par les individus qui cherchent à se réaliser , elle régresse avec les politiciens et leurs alliés qui veulent les dominer .

  2. Je ne suis pas sûr, loin de là, que l’ultralibéralisme dans l’imaginaire d’un certain nombre renvoie à ce que vous évoquez…

    Il me semble que ce vocable valise sanctionne souvent les dérives kleptocratiques telles que vous les évoquez, avec captation de tutelle et de richesse pour un nombre restreint de personnes… sauf qu’incompétence économique aidant et vague théorie de l’homo economicus mal popularisée, le mot libéralisme est parallèlement dévoyé.
    Parce qu’il y a malgré tout un fond de compréhension populaire (bon sens ?) de ce que la richesse ne peut venir que de la liberté d’entreprendre, et pour faire passer l’idée de cette distinction, d’aucuns utilisent la notion d’ultralibéralisme vs libéralisme, mais je conviens avec vous qu’on nage certes en pleine confusion explicite.

    Il me semble pourtant que c’est sur cette base de « compréhension de ce que comprend au fond leur terrain, sans réussir à le verbaliser adéquatement pour cause d’inculture économique et de décennies d’intox » que réagissent certains responsables politiques, notamment Marine Le Pen. Pas éducateurs ou pédagogues en reprenant tout à la base, mais surfant sur un mot qui a fini par rassurer(ultralibéralisme) car passé dans le paysage des discours politiques, tout en tordant les choses (= le mot) pour les faire revenir finalement à une vision avec en ligne de mire une compréhension plus ou moins smithienne de l’économie, en tout cas davantage que beaucoup d’autres sur l’échiquier politique.

    Enfin, ce n’est qu’une vision, parce que cette dissonance me paraît de plus en plus flagrante, mais peut-être est-ce ce qui expliquerait que les discours semblent à géométrie variable et finalement relativement cohérents quand on les « scanne ».

  3. Néo-libéralisme? Ou ultra-libéralisme?
    Derrière ce vocable se cache, pour moi, le FMI et autres organismes mondiaux type OMC, des monnaies fiat pour tous, un système de monnaies flottante et un libre-échangisme (homme-fric-machine) à tous les niveaux avec faibles droits de douanes et puis c’est tout.
    Si c’est cela, alors il y a bien ultra-liberalisme…
    Il est « externe » à tous les pays.
    En interne, c’est plutôt socialisation de l’économie.
    J’ai bon?

  4. Bof !!!
    En bref : le néolibéralisme : ultralibéralisme (Hayek), monétarisme (Friedman) et ordolibéralisme (ou néolibéralisme allemand). On peut rapidement remonter aux sources : Colloque Walter Lippmann (1938) à Paris, Société du Mont Pélerin (1947). Question : qui a financé tous ces « théoriciens »??? Suivez l’argent ! Les néo-conservateurs Etats-uniens par exemple !!! Qui a donné accès aux medias à Friedman, par exemple? Il existe un excellent bouquin là-dessus rédigé par deux chercheurs du CNRS : « La mondialisation des guerres de palais »,… à l’occasion, lisez aussi le mien… (2ème édition en 2013).

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