Commentaire de Marché

Chômage en Suisse: sans les saisons, svp… Par Jean-Pierre Béguelin

Chômage en Suisse: sans les saisons, svp… Par Jean-Pierre Béguelin

En Suisse, les chiffres bruts du chômage, commentés si religieusement chaque mois, sont sans intérêt car, dans ce domaine, seules les données corrigées des variations saisonnières sont susceptibles de renseigner sur l’évolution conjoncturelle effective du marché du travail

En Suisse, les médias parlent chaque mois du chômage dans le pays. Résumant, avec tout le sérieux que ce sujet requiert, le communiqué officiel du Secrétariat d’État à l’économie – le SECO – l’ATS et d’autres articles indépendants décrivent avec force détails l’évolution du nombre de chômeurs inscrits: pour l’économie toute entière, par canton, par sexe, par branche ou par profession. On répète ainsi quasi tous les mois qu’Appenzell Rhodes-Intérieures ne connaît pas le chômage – 5 paresseux y étaient inscrits en septembre 2013 – alors que le canton de Genève compte toujours proportionnellement le plus grand nombre de demandeurs d’emploi. Pour suivre la mode, le SECO vient même d’ajouter des chiffres sur le chômage des jeunes alors que ce phénomène n’a aucune ampleur et aucune signification macroéconomique dans notre pays. 

Or, tous ces articles font plutôt sourire les spécialistes un peu éclairés. C’est qu’au niveau d’une économie les chiffres du sous-emploi varient à très court terme presque toujours uniquement pour des motifs purement saisonniers. Bien que cela soit moins connu, ils se comportent comme la plupart des autres statistiques économiques publiées mensuellement ou trimestriellement. Le commerce de détail, par exemple, vend quelque 20% de plus en décembre que durant le restant de l’année, une proportion qui doit frôler les 70% pour les fabricants de jouets. Et l’on peut évidemment multiplier les exemples: la production industrielle européenne recule nettement en été en raison des vacances payées ou l’économie chinoise s’arrête au tournant de février durant la semaine du Nouvel an asiatique. 

En Suisse, le mouvement du chômage est très régulier; ce dernier, au plus haut en janvier, diminue régulièrement durant l’hiver et le printemps pour atteindre son nadir en juin avant de remonter régulièrement au second semestre, surtout à partir du mois d’octobre. Et ces variations ne sont pas négligeables: au début de l’hiver, le nombre de chômeurs inscrits dépasse de 10% la moyenne annuelle de ceux-ci alors qu’il est de 10% inférieur à celle-ci au début de l’été. Ainsi, en 2012, le taux de chômage brut à passer de 3.1% en janvier à 2.6% en juin avant de remonter à 3.2% en décembre alors que la moyenne de l’année s’élevait à 2.8%. Semblables variations se rencontrent dans presque toutes les branches de l’économie, sans doute parce que la planification annuelle des activités et des productions n’incite pas les firmes à embaucher au dernier trimestre. À cela s’ajoute évidemment l’arrêt ou le fort ralentissement hivernal observé dans la construction et l’agriculture. Chose un peu plus étonnante, le nombre de chômeurs dans le secteur Hôtellerie/Restauration montre la même évolution que les autres branches de l’économie alors qu’on aurait pu s’attendre à voir un mouvement inverse vu l’importance du tourisme d’hiver pour nos cantons alpins. Vraisemblablement – mais ceci demanderait une confirmation plus détaillée – parce que la part de la main-d’œuvre étrangère purement saisonnière est très forte dans ce secteur. 

Globalement, ces fluctuations n’ont aucune signification conjoncturelle. Pire, les chiffres bruts du chômage sont souvent trompeurs. Ils donnent en tout cas et très souvent lieu à des commentaires erronés, les communiqués et articles relatifs étant chaque année teintés de plus en plus en rose au cours de premier semestre et de plus en plus en gris durant le second. C’est pourquoi, dans quasiment tous les pays, on ne commente publiquement que les chiffres du chômage corrigés de ces variations saisonnières qui, seuls, sont intéressants. Bien que depuis plusieurs années le SECO calcule lui aussi – et les publie si on les cherche bien – de tels résultats, il ne les commente pas. Pourquoi? Personne ne le sait très bien sans doute, mais je soupçonne que les rédacteurs de ces communiqués officiels n’auraient plus grand-chose à dire s’ils ne commentaient que les données corrigées car, hors de ses variations saisonnières habituelles, le chômage ne change quasiment pas d’un mois à l’autre, sauf mouvement violent la conjoncture comme ce fût le cas en 2009. 

Remarquez qu’un examen plus attentif du chômage sans effet saisonnier aurait permis de détecter plus précocement la montée de sous-emploi que l’on observe dans notre pays depuis la mi-2011. Or, cette remontée étonne vu l’apparente bonne santé dont l’économie suisse a bénéficié depuis lors. Durant cette période, en effet, le PIB réel helvétique a crû de 2.6% et l’emploi encore plus rapidement puisqu’en équivalents plein-temps – une méthode d’agrégation dans laquelle une personne occupée à 50% n’est pas comptée pour 1 mais pour ½ seulement – le nombre de travailleurs occupés a augmenté de quelque 3% dans notre pays. Une telle évolution aurait dû amener un recul du sous-emploi sauf si l’offre de travail avait augmenté simultanément, probablement ce qui s’est passé en Suisse depuis deux ans. Comme le taux d’activité des résidents n’a pas changé en 24 mois, c’est forcément la population active qui s’est accrue. Mais, contrairement à ce que l’on pense souvent, cet accroissement n’est pas uniquement le fait d’une forte immigration puisque 60% des quelque 130 000 nouvelles places de travail créées ont été occupées par des Suisses. 

Face à une telle évolution, les 6000 chômeurs supplémentaires que l’on recense depuis deux ans maintenant ne paraissent pas assez nombreux pour qu’on en tire déjà des conclusions valables pour l’économie suisse toute entière; ils représentent sans doute en grande partie ce que l’on appelle en jargon des chômeurs frictionnels. Il est évidemment impossible de savoir si nombre de ces derniers auraient trouvé du travail en l’absence de la libre-circulation européenne. Mais il ne faut sans doute pas se cacher que la concurrence de la main-d’œuvre européenne est assez vive dans certaines professions et qu’elle permet, en particulier, à un employeur suisse de trouver chaussure à son pied sans devoir attendre ou payer une formation supplémentaire. Pour l’instant, le phénomène semble assez limité, mais s’il devait se généraliser et gonfler de plus en plus le chômage indigène, la situation pourrait se tendre socialement et politiquement dans notre pays. Pour voir venir un tel dérapage, il faudra avant tout observer attentivement l’évolution du chômage corrigé de ses variations saisonnières. 

C’est certes un chiffre que l’on a arrangé, mais il est plus vrai que les données brutes. Sur ce plan, statistique et vérité vont de pair… pour une fois.

Source Le Temps 19/10/2013

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7fcccd44-37ee-11e3-9b9f-fd431094fc11%7C2

1 réponse »

  1. La Suisse ne veut pas rentrer dans l’Union Européenne.

    Pourquoi ?

    On se le demande.

    Dimanche 20 octobre 2013 :

    Et Bruxelles envisagea un nouvel élargissement… l’Europe a-t-elle perdu tout sens commun ?

    A sept mois des élections européennes, la Commission européenne recommande d’octroyer le statut de pays candidat à l’Albanie et d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Macédoine.

    Gérard Bossuat : Les Balkans sont une région correspondant à l’Europe du Sud-Est (Albanie, Bulgarie, l’ex-Yougoslavie, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la Turquie européenne). On isole souvent une région dite des Balkans occidentaux comprenant l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, la Serbie, le Monténégro. Est-il souhaitable qu’ils entrent dans l’Union Européenne ? D’abord, c’est un fait, certains de ces pays y sont entrés, dont le dernier, le numéro 28, la Croatie, le 1er juillet 2013. Ensuite pourquoi interdire à l’Albanie et à la Macédoine d’y entrer ?

    http://www.atlantico.fr/decryptage/et-bruxelles-envisagea-nouvel-elargissement-europe-t-elle-perdu-tout-sens-commun-gerard-bossuat-et-christophe-bouillaud-873645.html

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