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Savoir s’adapter pour survivre Par Bill Gross (PIMCO)

Savoir s’adapter pour survivre  Par Bill Gross (PIMCO) 

Les corbeaux mangent les insectes qui, eux, mangent d’autres insectes. C’est cette observation scientifique qui servira de cadre analytique.  

Dire que nous haïssons les insectes et les corbeaux est peut-être un peu fort. Disons que nous ne les adorons pas, que nous ne sommes pas bons amis, voilà tout. Mère Nature, elle, se montre relativement neutre à l’égard des êtres vivants, humains y compris. Nous devrions peut-être en prendre de la graine. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, c’est peut-être la Nature et son incompréhensible neutralité qui me démangent le plus, et pas les corbeaux. Pourquoi la nature est-elle à ce point indifférente à la vie qu’elle soutient – quand elle ne l’encourage pas. Pourquoi crée-t-elle des multitudes d’espèces pour ensuite les laisser s’entre- dévorer? Darwin et sa théorie de la survie du plus apte seraient-ils tout compte fait les maîtres à penser du Très-Haut? Pourquoi un Créateur aimant et théoriquement omniscient ne pourrait-il pas faire simple, au lieu de faire infiniment compliqué? Pourquoi la lionne, par exemple, ne pourrait-elle pas mettre au monde un ou deux merveilleux petits lionceaux en pleine santé, plutôt que trois ou quatre bébés mal finis, dont deux finiront avalés par les hyènes parce qu’ils ne courent pas assez vite? Pardon? Pour que les hyènes survivent, dites-vous? Mais pourquoi avoir créé des hyènes, dans ce cas? Autant les exclure dès le début du projet et éviter les souffrances inutiles. Bien sûr, à ce train-là, nous serions tous de braves ruminants dans un décor plus bucolique et moins chaotique. Pourquoi pas. Après tout, mieux vaut selon moi une vache que des millions de corbeaux dévorant des milliards d’insectes. Ce ne sont pas les hindous qui me contrediront. 

Si j’étais le Créateur, je ferais mieux. Mais je ne le suis pas. Pour l’heure, je suis là, par la force des choses. Je joue le jeu, ai-je seulement d’autres choix? La rage et l’incompréhension que suscitent chez moi la douleur et la mort des êtres vivants – particulièrement des bipèdes – sont profondément enracinées. Ils n’en sont pas moins insolubles. 

En parlant de questions insolubles, les investisseurs s’interrogent: 1) qu’est-il advenu de la réduction du programme d’achat, 2) pourquoi la Fed semble-t-elle avoir changé d’avis et 3) que va-t-il donc advenir de nous? Quelques jours avant sa réunion de septembre, j’avais annoncé sur Twitter que la Fed allait «bricoler plutôt que réduire» son programme d’achat. Sans être tout à fait exact, je n’étais pas très loin de la vérité. Elle a refusé d’agir, arguant des incertitudes entourant l’économie. Ben Bernanke s’est en quelque sorte retiré du jeu et il laisse faire – un peu comme Mère Nature avec ses corbeaux et ses insectes. Mais débattre n’est finalement qu’accessoire dans ce contexte. La Fed devra tôt ou tard réduire son assouplissement quantitatif, y mettre fin et passer à autre chose. Elle ne peut continuer à faire gonfler son bilan de mille milliards de dollars chaque année sans devoir un jour en «payer le prix», que ce soit une envolée de l’inflation, un repli du dollar ou le refus persistant des entreprises d’investir en raison de trop faibles rendements. L’assouplissement quantitatif devra mourir un jour. 

Comme dans la Nature, la mort et la destruction créatrice font partie du Grand Cycle de l’Economie. 

Ce qui compte pour les investisseurs obligataires et les autres, ce n’est ni le calendrier de réduction du programme d’achat, ni la date de la fin de l’assouplissement quantitatif, mais le taux directeur. 1) combien de temps restera-t-il à son niveau actuel, 2) quel est le taux à long terme qui aura un impact neutre sur une économie fortement endettée et 3) une banque centrale penaude peut-elle convaincre les investisseurs qu’elle connaît la réponse et qu’elle ne changera pas d’avis? 

C’est le taux directeur, au comptant et à terme, qui donne le ton aux marchés et influence les économies et les décisions d’investissement. L’assouplissement quantitatif n’était qu’un traitement nécessaire lors d’une période d’incertitude et d’illiquidité. Les choses étant désormais plus claires et la liquidité de retour, il est temps que le taux directeur et les indications prospectives prennent les commandes. Janet Yellen, future présidente de la Fed, et Michael Woordford, professeur à l’Université de Columbia, intervenant du symposium de Jackson Hole en 2012 et nouveau gourou du secteur privé en matière d’indications prospectives et d’indices de référence, seraient d’accord avec moi. Il va désormais falloir convaincre les investisseurs que ce qu’on leur dit va se produire. 

Si le robinet de l’assouplissement doit être bientôt coupé et qu’il ne reste plus que les indications prospectives, je pense que les investisseurs devraient ouvrir grand leurs oreilles et agir en conséquence. Sans candeur, mais plutôt à la manière d’un lionceau qui connaît l’existence des hyènes, qui sait que la nature est dangereuse mais qui profite d’un instant de quiétude dans la savane. Traduit dans le monde des obligations, cela signifie qu’il faudrait que la Fed ait foi en ce qu’elle dit et que, si ses indications prospectives sont crédibles, qu’elle ne relève pas ses taux directeurs avant 2016 au plus tôt. La question déterminante en matière de niveau du taux directeur et d’indications prospectives haussières est de savoir quel relèvement une économie endettée peut encaisser. Quelle est la limite à ne pas dépasser? Quelle hausse des taux hypothécaires un acheteur peut-il supporter? Personne n’a la réponse absolue, mais nous commençons à l’entrevoir. La hausse de plus de 125 points de base des prêts hypothécaires à 30 ans enregistrée ces 6 à 12 derniers mois semble avoir porté un coup d’arrêt aux mises en chantier de logements et, dans son sillage, aux refinancements hypothécaires. Il s’agit de la première «condition financière» que Ben Bernanke a citée lors de sa conférence de septembre, celle qui a vu la réduction du programme d’achat se transformer en bricolage puis en possibilité que la prochaine fois peut-être, la Fed puisse agir. 

Le taux des prêts hypothécaires à 30 ans est bien évidemment lié au taux directeur et à la manière dont son évolution est intégrée par le marché. Pour atteindre les objectifs historiques de croissance (2% à 3% en réel et 4% à 5% en nominal), l’économie doit surmonter l’ensemble des rendements composites. Rendements sur les bons du Trésor, les prêts hypothécaires, les émissions privées et les cartes de crédit, tous en composite. Ray Dalio et ses collègues de Bridgewater ont leur propre idée sur la question. L’objectif, selon lui, est d’atteindre un «beau désendettement», qui implique un nombre limité de défauts et, in fine, un regain d’appétit pour le risque des investisseurs. Ce beau désendettement se réalisera bien sûr au détriment des épargnants privés (les taux d’intérêt étant victimes de la répression financière), mais qui s’en soucie? La beauté est relative. Si l’objectif de la Fed (et de Ray Dalio) est de renouer avec une croissance normale, il n’existe probablement aucune méthode aussi belle pour se désendetter que des taux d’intérêt anormalement bas sur une très, très longue période. PIMCO se rallie aux opinions de Janet Yellen, Michael Woordford et Ray Dalio. 

Si vous ne devez croire qu’en une seule et unique chose, ce doit être celle-ci: une fois l’assouplissement quantitatif disparu, le taux directeur sera votre phare et les fonds fédéraux resteront plus bas que prévu pendant très longtemps. Aujourd’hui, le marché (et les prévisions de la Fed) table sur une hausse de 1% des fonds fédéraux d’ici fin 2015 et de 1% encore d’ici décembre 2016. Pariez contre cette prévision. 

La raison de ce pari à contre-courant réside dans la situation que nous avons connue ces trois derniers mois. Le rendement des bons du Trésor américain s’est établi à 3% et le taux des prêts hypothécaires à 30 ans, à 4,5%. L’économie, elle, a sorti la tête de sa tanière comme une marmotte après l’hiver, puis décidé de retourner métaphoriquement hiberner pendant encore six semaines. A ces niveaux-là, de toute façon, ni le printemps ni l’été ne sont près d’arriver. Les Etats-Unis (et l’économie mondiale) vont peut-être devoir s’accommoder de la répression financière – et donc de taux directeurs bas – au cours des prochaines décennies. La dernière fois que l’économie américaine a été aussi endettée (au début des années 1940), il a fallu que les rendements des bons du Trésor à 10 ans soient inférieurs de 3% en moyenne au PIB nominal pendant plus de 25 ans pour réussir son «beau désendettement». Cela signifierait aujourd’hui placer la barre du rendement des bons à 10 ans aux alentours de 1% et les taux directeurs, à 25 points de base jusqu’en 2035 environ! Je ne vais pas parier ma chemise là-dessus – les mois d’avril, mai et juin 2013 m’ont montré que des rendements bas peuvent flamber en un rien de temps. Il n’empêche qu’ils devraient rester anormalement bas. Des économies mondiale et américaine lourdement endettées ne peuvent pas mener de beaux désendettements sans taux directeurs répressifs à l’avenir, ce qui devrait comprimer les bons à 5 et 10 ans, mais avec une confiance moins importante et une volatilité plus forte que les investisseurs n’ont connues récemment. 

Recommandations d’investissement 

En pariant sur un taux directeur plus faible que les marchés ne l’anticipent, un investisseur obligataire peut s’attendre à profiter d’une quiétude bucolique dans les années à venir, un peu comme la vache dans son pré. Ce n’est pas renversant, je suis d’accord, mais c’est une façon de vivre! Les portefeuilles doivent mettre l’accent sur les positions dans le segment court des maturités, qui ont été stabilisées par les indications prospectives de la Fed, ainsi que sur les ventes de volatilité, qui sont clairement intégrées dans les prêts hypothécaires d’agences à 30 ans. Du fait des tensions inflationnistes liées à des taux directeurs bas, les investisseurs doivent privilégier les obligations américaines indexées sur l’inflation (Treasury Inflation-Protected Securities) et éviter les maturités composites dépassant 7 à 10 ans (à l’exception des structures de passif à long terme, notamment les fonds de pension). PIMCO estime que les portefeuilles qui suivront ces conseils devraient afficher un rendement de 4% dans les prochaines années. 

Un investisseur obligataire doit, dans les grandes lignes, se concentrer sur les éléments suivants: Les rendements à court terme ne pouvant plus baisser, la courbe des rendements, la volatilité et des spreads de crédit correctement valorisés doivent vous guider. La sensibilité et son puissant portage perdent de leur superbe, tout particulièrement sur les maturités à 10 et 30 ans. Mère Nature et Mère Marché n’ont que faire de vos pertes ou de vos espoirs d’un rendement à deux chiffres généré par un portefeuille actions ou obligations dont la valorisation est nettement inférieure. Adoptez l’attitude de la vache, sans voracité, et paissez tranquillement, avec la conviction croissante que la Fed et ses indications prospectives sont votre meilleure stratégie de survie. 

William h. gross Managing Director Pimco/Agefi Suisse 28/10/2013

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