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Les multiples objectifs militaires de la Chine

Les multiples objectifs militaires de la Chine

 «L’idée d’une Chine puissante se comprend dans la conception de son univers maritime» Pierre Picquart, géopolitologue

Dans La Chine: une menace militaire? (Favre), Pierre Picquart aborde les nouvelles stratégies militaires de Pékin au regard des conflits régionaux en Asie-Pacifique et des tensions planétaires. Il décrypte les rivalités sino-japonaises et sino-américaines, l’APL, la nouvelle armée chinoise, ses applications militaires et spatiales, ses forces opérationnelles. Il analyse les objectifs de sa diplomatie. Il divulgue ses stratégies de cyber-défense et l’extension de ses bases planétaires. Extrait.  La Chine doit faire face à des enjeux stratégiques tant au niveau mondial qu’en Asie-Pacifique. Pour assurer sa sécurité et neutraliser d’éventuels obstacles venant notamment du Japon, des États-Unis et de l’Inde, elle développe un collier de perles et des bases maritimes mondiales. Ses concurrents pourraient être tentés, un jour, de bloquer ses routes d’approvisionnement.

D’autres nombreux litiges territoriaux impliquent en outre la Chine et ses voisins terrestres. Alors que certains accusent Pékin de repousser ses frontières dans l’indifférence générale, les autorités chinoises affirment, de leur côté, qu’il reste certainement des questions à régler dans ce domaine, mais qu’elles peuvent être résolues par la voie de la concertation et du dialogue.

La mer de Chine méridionale fait partie de l’océan Pacifique. Elle s’étend sur plus de 2.000.000 km². En Chine on l’appelle Dong Hai, la mer de l’Est. Elle se situe entre la Chine, la Corée, le Japon et Taïwan. C’est un lieu d’affrontement entre les puissances régionales et les nations possédant l’arme nucléaire depuis la guerre froide. Les intérêts qui poussent de nombreux pays à contrôler cette région maritime sont multiples. On ne recherche pas, en effet, uniquement des homards, des tortues, des abalones et des mollusques rares!

En premier lieu, il faut citer les ressources pétrolières et les hydrocarbures. Les océans ont des réserves incroyables de pétrole et de gaz. La mer de Chine méridionale ne fait pas exception. De grandes ressources en hydrocarbures ont été découvertes près des littoraux et l’on présume que des réserves beaucoup plus vastes existent autour des groupes d’îles contestées, les archipels Spratly et Paracels.

La guerre du pétrole fait rage en mer de Chine, tandis que les enjeux pétroliers régionaux se déplacent au niveau international. Lors d’un sommet de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2010, les États-Unis avaient déclaré qu’ils possédaient un intérêt national à préserver «une liberté de navigation» en mer de Chine du Sud.

Les tensions sont d’ailleurs aussi vives entre la Chine, le Vietnam et les Philippines qui prospectent dans la région. Pékin a déjà mis en garde ces deux pays. Par l’intermédiaire de la compagnie nationale chinoise China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), ses opérateurs ont démarré leurs forages en eaux profondes sur des plates-formes conçues par des ingénieurs chinois pour extraire du pétrole et du gaz.

Quelque 70% de ces réserves se situent dans des eaux profondes. Pékin estime le potentiel de pétrole en mer de Chine aux alentours de 30 milliards de tonnes et pour le gaz, à 16.000 milliards de mètres cubes, dont un tiers pour la partie chinoise. Les réserves pétrolières déjà trouvées dans la région s’élèvent à 7,7 millions de barils, et la production annuelle actuelle se situe aux alentours de 1,8 million de barils. Toutefois, cette estimation concerne les parties côtières, car on ne tient pas compte encore des zones offshore non encore explorées.

Les économies régionales qui bordent la mer de Chine ont la croissance la plus rapide dans le monde. Alors que la Chine s’apprête à devenir en 2014 le premier importateur mondial de pétrole, alors que sa production dans ce secteur ne s’accroît actuellement que très lentement (4,5 millions de barils par jour en 2013), ses réserves en hydrocarbures demeurent un secret. Elles paraissent néanmoins très prometteuses au regard des gisements à exploiter. En deuxième lieu, un autre enjeu relatif à la mer de Chine concerne ses richesses naturelles et halieutiques, notamment pour la pêche des poissons, des crustacés, le guano, des espèces rares… ou l’aquaculture.

Cette mer très poissonneuse recèle une infinie variété d’espèces vivantes, animales ou végétales. De plus, l’Asie est la première zone de pêche mondiale. Cette activité représente ainsi un aspect incontournable de l’économie en Asie du Sud-Est. Elle demeure la base alimentaire de toute la région et représente un important bassin économique, générateur de plus de dix millions d’emplois. De ce fait, Pékin regarde ces réserves avec une plus grande attention pour satisfaire la demande chinoise.

La pêche est un enjeu économique non négligeable, et de nombreux opérateurs internationaux se multiplient dans la région. Ils n’ont pour la plupart pas de pouvoir légal, d’autorisations ni de mandats. De ce fait, la pêche devient un argument de souveraineté, et les agences gouvernementales diverses se voient ainsi confier des missions de surveillance. Des grandes opérations de pêche sont organisées par les associations de pêcheurs, regroupant parfois des centaines de bateaux pour chaluter en mer de Chine.  

Considérant qu’une grande partie de la mer de Chine lui revient, la Chine a mis en place un moratoire annuel sur la pêche, tout autant valable pour les pêcheurs chinois qu’étrangers. Celui-ci s’applique ainsi à des eaux qu’elle considère comme souveraines.

Les autorités chinoises lancent donc des patrouilles de surveillance ayant le pouvoir de mettre des amendes aux contrevenants. Toutefois, la Chine déploie des arguments pacifiques en s’engageant à secourir tous les pêcheurs en perdition, quelle que soit leur nationalité, selon l’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Ces opérations de secours lui permettent de revendiquer son autorité sur la mer de Chine.

Un troisième enjeu en mer de Chine, et non des moindres, concerne le leadership géopolitique régional et le contrôle stratégique de la région maritime. En vertu de la Convention des Nations Unies sur la loi de la mer (1982), la Chine revendique sa souveraineté sur 3,2 millions de kilomètres carrés dans l’océan Pacifique. Selon cette convention, le pays qui contrôle les îles acquiert les droits de souveraineté sur 8 millions de kilomètres carrés.

La Chine est tributaire de ces voies maritimes pour le commerce: elle est dépendante notamment du pétrole et d’autres ressources énergétiques importées du Moyen-Orient ou d’Afrique, et la question du transport maritime concerne tout autant ses exportations manufacturières que les produits envoyés en direction de l’Occident.

La mer de Chine est un carrefour de plusieurs routes commerciales internationales et régionales, d’où des enjeux majeurs. Plus important encore, elle est aussi la voie la plus courte entre le Pacifique nord et l’océan Indien. À titre d’exemple, 70% du trafic de conteneurs concernant la France passe par la mer de Chine. En encourageant une politique industrielle pour son industrie navale, en multipliant les alliances au sein d’organisations internationales, en investissant dans les zones portuaires de la région et en affichant sa puissance maritime, la Chine souhaite s’affirmer en tant que leader régional. Conjointement au développement de son commerce extérieur, sa flotte marchande s’est considérablement accrue.

Cet espace maritime est aussi un outil de pouvoir (soft power) pour accroître son influence sur la scène internationale. C’est, entre autres, un enjeu militaire hautement stratégique, notamment pour le passage de ses bateaux de guerre, de ses destroyers, de ses frégates, de son porte-avions ou de ses sous-marins (le plus souvent armés de têtes nucléaires).

Les sous-marins constituent l’arme absolue de la défense de notre siècle, aussi est-ce pourquoi la mer de Chine devient une «garnison flottante». Pékin dispose ainsi de soixante-trois sous-marins prêts à intervenir, mais ils ne sont néanmoins pas les seuls: les navires submersibles américains, russes, japonais ou vietnamiens sillonnent également les mers.

Participant à l’aide humanitaire et à la lutte contre la piraterie qui sévit dans la région, Pékin s’affiche comme le gendarme de la mer de Chine. Si les autorités chinoises contrôlent cette zone, cela leur permettra à l’avenir de tenir en respect les voisins. Malgré des efforts pour la paix et des réunions diplomatiques entre Pékin et les autres nations régionales visant à trouver des solutions communes dans la région, les esprits nationalistes des peuples concernés s’échauffent de jour en jour. Les belligérants s’affrontent, parfois malgré eux, sur fond de rivalités économiques et de rancunes historiques. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à une course aux armements dans la région.

Un autre enjeu concerne les principes qui s’appliquent à la juridiction internationale et à la zone d’expansion économique de la région (ZEE). À titre d’exemple, le Japon considère qu’il peut exercer ses droits jusqu’à 370 kilomètres de ses bases ou côtes. De son côté, Pékin s’appuie sur les principes relatifs à la délimitation du plateau continental et revendique une distance de 648 kilomètres. Cette extension de la ZEE sert de justification aux prérogatives des divers États au regard de leurs eaux territoriales. Au-delà des frontières terrestres naturelles, les nations qui possèdent des îles en mer de Chine voient en effet leur zone s’élargir considérablement et leur pouvoir économique se renforcer.

De nouveaux enjeux font référence à la politique des dirigeants, à la politique interne, à la stabilisation sociale et à la fierté nationale retrouvée. L’idée d’une Chine forte et indépendante, mise en avant pour le peuple chinois, se retrouve aussi bien dans les avancées technologiques (essais nucléaires, conquête spatiale) qu’au regard de l’univers maritime de la Chine. 

Au-delà des revendications et des enjeux précités, Pékin a une priorité que l’on peut décliner en quatre axes: promouvoir la sécurité dans la région, protéger des intérêts économiques, pérenniser son transport maritime et contrôler les passages et les détroits maritimes. Pour résoudre efficacement cette problématique en mer de Chine, Pékin a inventé (sous couvert d’une expression poétique) la stratégie du «collier de perles».

Le développement du contrôle de Pékin sur cette région est indissociable du concept du collier de perles que les pays voisins et d’autres (notamment les États-Unis et l’Inde) essaient de briser.

De quoi s’agit-il? Comme dans le jeu de go, né en Chine il y a des milliers d’années, il s’agit de neutraliser ses adversaires en contrôlant des territoires avec des moyens simples. Dans le jeu de go, les pierres se déplacent sur des points stratégiques. Elles encerclent des zones revendiquées par l’adversaire. Le but est de former des espaces qui seront ensuite contrôlés.

À la fin du jeu, le gagnant devient le maître de ces nouveaux territoires et de ses frontières… ce qui nous fait aisément penser à une des stratégies que l’on trouve dans L’art de la guerre de Sun Tzu, et que les élites chinoises connaissent bien. Le jeu de go (basé sur encerclement) s’oppose au jeu des échecs en Occident (confrontation et élimination de l’adversaire).

Le jeu de go n’est pas qu’un passe-temps! Il s’intègre dans la culture chinoise. Ainsi, par exemple, à l’école on apprend à choisir le bon cheval, c’est-à-dire à essayer de deviner quelles seront les opportunités favorables.

Dans le cadre d’une géostratégie globale, la plupart des perles ou des positions stratégiques (économiques ou militaires) chinoises de la région sont d’ores et déjà bien implantées et concernent principalement:

l l’île chinoise de Hainan en mer de Chine méridionale;

l le port de Hambantota sur l’île de Sri Lanka;

l le port de Chittagong au Bangladesh;

l l’île de Woody proche de l’archipel contesté des Paracels;

l les ports de Sittwe et Thilawa en Birmanie;

l Marao dans les Maldives;

l le port de Gwadar au Pakistan.

Pour développer son collier de perles et ses ports, la Chine a loué, acheté ou construit des emplacements stratégiques dans la région en créant ou en développant une impressionnante série de bases économiques, maritimes ou militaires autour de la mer de Chine, puis jusqu’au Moyen-Orient.

Source Agefi Suisse Mercredi, 30.10.2013

http://agefi.com/marches-produits/detail/artikel/%3C%3Clidee-dune-chine-puissante-se-comprend-dans-la-conception-de-son-univers-maritime%3E%3E.html?catUID=19&issueUID=446&pageUID=13336&cHash=6f3e98a9aa14d1f2fc3e4c51cd067778

 

1 réponse »

  1. Ouais, c’est vai ! Mais il y encore du temps avant que LA CHINE ait des portes-avions ,et qui marchent, hein ! demandez aux Russes, cela fait 50 ans qu’ils essayent, sans y réussir,,,le Chinois vont faire mieux ? Miaouw, on peut encore bailler, quant aux sous-marins chinois, ce sont des cibles faciles trackés par les satellites américains, ça ne fait peur qu’aux chinois, eux-mêmes, qui n’ont surtout pas envie de se frotter aux Américains, même Japonais,,,
    Maintenant, il place ses pions, l’empire du milieu, mais cela n’a jamais été une réelle puissance navale, sauf au temps des grands vaisseaux vers l’Afrique, mais il va falloir 50 ans de pratique pour que la navy chinoise soit dominante, si le pays ne s’écroule pas avant sous les pressions économiques internes.
    Mais c’est sûr, les USA considèrent à juste titre que l’Asie sera à nouveau LA PRIORITÉ, le Moyen Orient est en voie de se déconstruire, avec pour scénario, la Chine qui devra s’impliquer si elle veut encore acheter son pétrole.
    La Chine n’a de salut qu’en manœuvrant intelligemment, ils sont détenteurs d’une majeure partie de la dette US, ils ne vont pas se tirer une balle dans le pied,,,mais les plus petits pays de la région devront s’unir encore un peu plus économiquement, avec le soutien d’american big brother !!

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