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L’Europe serait-elle en voie de japonisation unilatérale? Par Andreas Hofert

L’Europe serait-elle en voie de japonisation unilatérale? Par Andreas Hofert

Les signes affluent d’une importante déflation en zone euro. Les conséquences pourraient s’étendre sur la durée

De plus en plus de signes suggèrent que la zone euro pourrait emboîter le pas au Japon. Souvenez-vous: après l’éclatement coup sur coup de ses bulles immobilière et boursière à la fin des années 1980 et au début des années 1990, l’économie japonaise a calé pour les vingt années suivantes, marquées par une stagnation/baisse des prix.

Les causes de cette déflation sont nombreuses et pas encore tout à fait comprises par les économistes. La première d’entre elles fut une série de maladresses de la part de la Banque du Japon qui, au début des années 1990, cherchait encore à tout prix à maîtriser l’inflation, sans se rendre vraiment compte du lent, mais régulier glissement vers la déflation.

Seconde cause, les institutions financières japonaises ont été confrontées à d’énormes problèmes de bilan suite aux crashs boursier et immobilier. Ce qui a conduit à une décennie sans crédit et des «banques zombies». Il faudra près de dix ans au Gouvernement japonais pour seulement reconnaître ce problème avant de s’atteler à le résoudre.

Troisième cause, une politique budgétaire tantôt restrictive, tantôt expansionniste qui, additionnée aux vagabondages de la politique monétaire, ont créé un climat incertain pour l’investissement au Japon. Enfin, tous ces événements se sont produits alors que la démographie japonaise connaissait un point d’inflexion: le vieillissement de sa population devenait de plus en plus manifeste.

Lorsque l’on analyse la zone euro actuellement, on constate qu’elle connaît chacun des problèmes dont souffrait le Japon des années 1990. Durant les quatre derniers mois, le taux d’inflation sur un an a fondu de 1,6 à 0,7%, un chiffre nettement inférieur à l’objectif de 2% fixé par la Banque centrale européenne (BCE). Jusqu’ici, la BCE ne s’est pas alarmée de cette érosion de l’inflation. Interrogé sur le sujet lors de la conférence de presse de la BCE du 2 octobre, son président Mario Draghi a répondu: «(…) la trajectoire de l’inflation est conforme à ce qui était prévu. Notre scénario de référence est confirmé. Nous pensons que l’inflation restera faible, nettement en deçà de 2%, et que cette situation perdurera à moyen terme.» Manifestement, ces propos ne sont pas empreints d’inquiétude. Cinq ans après la crise financière, le crédit bancaire en Europe semble toujours aussi moribond. En septembre, le crédit au secteur privé affichait un recul de 1,1% sur un an. Petite consolation: cette contraction du crédit s’atténue. Toutefois, en l’absence d’une Union bancaire européenne, désormais prévue pour la fin 2014, la probabilité qu’au moins certains intermédiaires financiers de la zone euro se retrouvent à l’état de «zombie» a augmenté, ce qui risque de se traduire par une croissance molle et sans crédit.

Depuis quelques années, la politique budgétaire en Europe est caractérisée par des mesures d’austérité si draconiennes, notamment dans les pays de la périphérie, qu’elles se sont avérées contre-productives pour réduire la dette. Les déficits ont certes baissé, mais moins vite que le PIB nominal. Le ratio dette/PIB a de facto augmenté, aggravant ainsi les problèmes de dette des pays périphériques. Enfin, de nombreux pays européens, à l’instar du Japon, commencent à sentir le poids du vieillissement, voire du déclin démographique pour certains.

La zone euro serait-elle donc condamnée à une déflation à la japonaise? Pas nécessairement. La BCE a encore le temps de changer de braquet si le taux d’inflation poursuit à la baisse. En outre, l’Union bancaire qui devrait aboutir l’an prochain lèvera sans doute bien des incertitudes concernant les intermédiaires financiers européens.

La «japonisation» du Japon fut le fruit d’erreurs politiques qui auraient pu être évitées. C’est pour cela que le Japon des années 1990 peut servir d’exemple de ce qu’il ne faut pas faire et il reste à espérer que l’Europe des années 2010 ne commettra pas les mêmes erreurs.

ANDREAS HÖFERT Chef économiste, UBS Wealth Management Agefi Suisse mardi, 05.11.2013

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