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Didier Sornette précise son analyse de la genèse des bulles de surévaluation des actifs

Didier Sornette précise son analyse de la genèse des bulles de surévaluation des actifs

La réflexion sur le feedback positif

Finance. Directeur de l’Observatoire des crises financières et Professeur des risques entrepreneuriaux à l’EPF de Zurich, Didier Sornette précise son analyse de la genèse des bulles de surévaluation.

La réflexion de Didier Sornette fait notamment appel à la notion de boucle de rétroaction positive (positive feedback). Par opposition à la notion plus répandue de rétroaction négative ou negative feedback qui permet d’illustrer certains phénomènes de croissance exponentionnelle suivis d’une stabilisation. Par exemple une population de lapins qui se multiplient à grande vitesse jusqu’à ce que la nourriture vienne à manquer. Ou le cas célèbre des moutons de Tasmanie qui se sont multipliés à une croissance exponentielle avant de se stabiliser, non pas en raison de prédateurs mais parce que la surface de pâture est devenue insuffisante. Entretien à Zurich à l’issue d’une présentation de Ayaltis sur le thème des «opportunités d’investissements en périodes de crash et de bulles».

Interview: Piotr Kaczor/ Agefi Suisse

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En quoi le concept de positive feedback se définit-il par rapport au negative feedback?

Les boucles de rétroaction négatives ont tendance à mettre un frein aux excès. Ce qui donne lieu à des équilibres plutôt stables. Lorsque l’évolution s’écarte de l’équilibre, des forces oeuvrent au retour à l’équilibre. En finance, la plupart des modèles mathématiques sont basés sur le feedback négatif, en particulier les méthodes de retour à la moyenne (reversion to the mean). Car le fait que les marchés sont autocorrectifs tend à être ancré dans les compréhensions, le consensus de Washington, etc. L’idée d’un minimum d’intervention compte tenu de l’autostabilisation induite par le negative feedback. Alors que j’ai surtout essayé de montrer dans ma présentation, que l’ensemble des mécanismes techniques, rationnels ou sociaux tendent à induire des excès, ce qui est bien illustré par l’hypothèse de l’instabilité des marchés de Minsky, dont les travaux très importants n’ont été reconnus à leur juste valeur qu’après sa mort. L’idée du positive feedback, c’est que le fait de s’écarter d’un point de référence tend à renforcer cet écart et à accentuer les excès, les écarts et à croître. Autrement dit un processus de non-correction vers la moyenne.

Positif en l’occurrence ne veut pas dire favorable?

Cela peut être extrêmement favorable si l’on pense à une vague d’innovations par laquelle une croissance de l’économie fondée sur des innovations va générer des richesses qui pourront être recyclées dans une prochaine vague d’innovations. Cela tendrait à constituer une sorte de cercle vertueux. Nombre de feedback positifs sont très favorables. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que l’imitation n’est pas seulement un comportement irrationnel incongru: nous tendons à imiter depuis notre naissance parce que c’est l’un des moyens d’apprentissage les plus efficaces. Il n’en reste pas moins que cette phase d’exaltation ne peut pas être durable et doit être suivie d’une période de consolidation ou de krach. Et la créativité humaine passe aussi par ce positive feedback et par ces phases de bulles.

Et l’on ne peut pas prévoir si le marché va s’effondrer ou consolider après un point culminant?

On peut rarement le prévoir. Il y a des raisons théoriques. On peut diagnostiquer une bulle mais sur la base des modèles d’anticipation rationnelle de bulle. Si on pouvait prévoir le timing d’éclatement d’une bulle et si cet éclatement était certain, celle-ci ne pourrait pas exister. Si la probabilité d’une absence de crash est non nulle, il est rationnel de rester investi même si on a pleine connaissance de l’existence d’une bulle et même de sa fin, et la croissance du rendement dès lors devient extrêmement attractive mais ne doit être perçue que comme une rémunération du risque possible. Mais comme le krach constitue un risque sans certitude, la bulle continue à se développer.

Vous avez expliqué que la fraction des transactions engogènes sur les marchés financiers est passée de 30% en 2000 à 80% à présent selon les actifs considérés. Par quel effet?

Nous développons des modèles de transactions qui les partitionnent en deux classes: celles de nature exogène, à savoir les transactions induites par des nouvelles qui amènent les investisseurs a réévaluer leur portefeuille; celles de nature endogène, déclenchées par des changements de prix et des transactions antérieures. La calibration de ces modèles permet la quantification de la fraction des transactions de nature endogène, que nous appelons « indicateur de réflexivité «. C’est cet indicateur de réflexivité qui est passé de 30% à 80% en une décennie, reflétant la nature de plus en plus dominante de la finance découplée de l’économie réelle. Je pense que nous sommes les seuls à pouvoir quantifier ce concept d’endogénéité. La Communauté européenne a d’ailleurs sollicité notre témoignage sur la réglementation du secteur des matières premières à cet égard.

Quelles sont les causes de cette montée en puissance de l’endogénité?

La financiarisation peut-être, le high-frequency trading. On peut montrer par des modèles d’agent (agent based model) que l’effet endogène est énorme en présence de négoce algorithmique. Et la raison est assez compréhensible. C’est que ces algorithmes intelligents (machine learning, computational intelligence) essaient constamment de trouver des opportunités en développant des stratégies. Mais comme il n’y a pas 36 de ces stratégies gagnantes, tous les algorithmes tendent à converger vers les quelques stratégies gagnantes, créant ainsi une autre forme d’imitation. Dans ce contexte, le high frequency trading ou le négoce algorithmique ont plutôt tendance non pas à diversifier mais à faire converger tout le monde vers la même opinion. La croissance du secteur financier et la titrisation ont également contribué à cette endogénéisation. Il devient dès lors beaucoup plus difficile de diversifier un portefeuille: tout est corrélé. Et quand les méthodes traditionnelles d’investissement ne fonctionnent pas, les investisseurs essaient de trouver des niches de rendement (smart money). Dans ce contexte, les fonds de pension qui doivent couvrir leurs engagements prennent des risques et se muent en hedge funds. L’effet d’imitation et les effets d’opportunités jouent à plein.

D’où un risque de krach accru?

Oui bien sûr. On le montre par de nombreux modèles. Non seulement le risque de crash s’en trouve augmenté, mais il y a aussi moins de défenses en termes de risques. On ne peut pratiquement plus trouver de bêta négatif: un actif qui monte quand le reste s’effondre. Un effet déjà bien illustré par la chute du fonds LTCM en 1998, dont deux des partenaires principaux (Merton et Scholes) ont recu le prix Nobel d’économie en 1997, juste l’année précédante. Ils supposaient alors une corrélation de 60% entre actifs dans leur portefeuille. A posteriori, ils ont conclu que pour prendre en compte les scénarios du pire auquel ils ont été confrontés, il est plus correct de prendre une corrélation de 100% au moment ou tout s’effondre en même temps. En conséquence, lorsque j’enseigne la théorie du portefeuille de Markowitz, les corrélations, la maximisation du rendement en minimisant les risques, il en ressort que cela marche lorsque l’on en a pas besoin et que cela ne marche pas lorsqu’on en en a besoin. Lors des grandes turbulences, les corrélations qui étaient historiquement à 50% montent à 100%. Auquel cas vous n’êtes plus diversifié.

Où voyez-vous les principaux risques de bulles sur les marchés?

Mis à part les marchés de la dette publique et des obligations et l’immobilier en Chine, il n’y a pas d’énormes bulles sur les marchés occidentaux actuellement.

Au niveau des dettes publiques, nous ne sommes pas loin d’un point de renversement: même en augmentant la dette, on ne gagne pas de croissance du PIB.

Par un mécanisme de correction?

Mais un mécanisme de correction non désirable, plutôt brusque. Les lois naturelles reprennent le dessus mais on a tendance à l’oublier car nous avons vécu ces trente dernières années au-dessus de nos moyens globalement. Ce qui donne lieu maintenant à l’établissement du régime que nous vivons actuellement qui est caractérisé par un appauvrissement général déguisé.  Mais pour répondre à votre question, il y a de nombreuses petites bulles: le Japon vient d’en traverser une et se trouve en phase de consolidation. Il est possible que cela reparte. Sur les marchés européens nous sommes aussi près d’un point de retournement. Reste que la courbe des dettes financières et non financières des Etats-Unis, en regard du PIB, montre que ces niveaux ne sont pas durables sur le long terme et que, selon notre modèle de bulle, elles devaient atteindre un seuil critique avant la fin de la décennie actuelle.

Mercredi, 13.11.2013

http://agefi.com/une/detail/artikel/finance-directeur-de-lobservatoire-des-crises-financieres-et-professeur-des-risques-entrepreneuriaux-a-lepf-de-zurich-didier-sornette-precise-son-analyse-de-la-genese-des-bulles-de.html

3 réponses »

  1. La boucle de rétroaction positive hein ?

    La genèse des bulles de surévaluation des actifs et la réflexion sur le feedback positif.

    L’auteur nous décrit tout ça en son nom propre.

    Scusez, j’ai pas pu résister !

    50 coups de fouet qu’en dites vous ?

    ARGHHHHHHHHHHHHHH !!!

    • Pourtant Sornette ne c’est pas trompé pour 2008, si vous aviez lu ses rapports en 2007 vous auriez su que la rentrée 2008 serait trés chaude. Par contre cel ne veux pas dire qu’il aura toujours raison ..

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