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Comment Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du Cygne noir, voit l’Europe,le role de l’Etat,l’innovation, les banques et la France

Comment Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du Cygne noir, voit l’Europe,le role de l’Etat,l’innovation, les banques et la France

VIDEO Dans un entretien exclusif, l’économiste Nassim Taleb explique pourquoi il faut limiter le rôle de l’Etat et en quoi il faut se défier des élites.

En 2007, bien avant la faillite de Lehman Brothers, il avait dénoncé la fragilité du système financier et de ses modèles de prévision. En vain. Six ans plus tard, Nassim Nicholas Taleb est devenu l’un des économistes et philosophes les plus écoutés de la planète. L’auteur des deux best-sellers « Le Cygne Noir » (2007) et « Antifragile, les bienfaits du désordre » (éditions Les Belles Lettres également, 2013), était de passage à Paris la semaine dernière. Entre deux interviews et une conférence à la Sorbonne organisée par l’université Paris Dauphine, Challenges.fr a pu rencontrer ce grand théoricien des risques.

De la France à la monnaie unique, en passant par le renflouement des banques et les mécanismes de l’innovation, l’ancien trader s’est exprimé sur un large spectre de sujets. Avec toujours la même conviction : le hasard fait (souvent) bien les choses. Tour d’horizon. 

Le concept de ce qui est « antifragile » 

Dans son dernier livre, cet érudit libano-américain développe le concept de ce qui est antifragile, un élément essentiel pour comprendre ses analyses. Késako ? Dans la vie, il y a ce qui est fragile, ce qui est robuste, et ce qui est antifragile. Une tasse de café est fragile car le moindre choc avec le sol va la briser en mille morceaux. D’autres objets sont robustes. Ils peuvent encaisser sans broncher un certain nombre de pressions extérieures. 

Mais il n’existait pas d’adjectif exprimant ce qui profite de la volatilité, des pressions, des chocs pour se renforcer et se développer. A l’instar du corps humain qui s’immunise contre des microbes par exemple. C’est ce que Nassim Nicholas Taleb désigne par antifragile. Un concept que l’on peut aussi bien appliquer au monde du travail, qu’à la médecine ou encore aux organisations politiques :

Il faut limiter le rôle de l’Etat 

Même s’il ne se range pas dans la catégorie « libéral à tous crins » (il était favorable à la nationalisation des banques pendant la crise), Nassim Nicholas Taleb estime cependant que l’Etat a pris une importance disproportionnée dans nos sociétés développées. 

Si son rôle est important, notamment en matière de pouvoirs régaliens (comme la sécurité), son but ne doit pas être « d’éliminer toute variation dans l’économie ». Car si cela procure un faux sentiment de sécurité aux citoyens, cet interventionnisme à outrance fragilise l’ensemble et aggrave sur le long terme les crises.

Comment réformer les banques « too big to fail » 

Nassim Nicholas Taleb a la dent particulièrement dure avec les établissements bancaires. D’ailleurs, pour lui, les Etats ont sauvé les banquiers qui avaient pris des risques énormes sans aucune contrepartie ou presque. « Tous les bonus payés aux banques ont été payés rétroactivement par le contribuable », s’indigne-t-il. 

Le meilleur système selon lui serait d’imposer une limite salariale aux employés des banques « too big too fail », ces organismes qui, s’ils font faillite, entraînent le reste de l’économie avec eux de par leur taille gigantesque, et qui sont donc systématiquement sauvés par les Etats. Cela obligerait ainsi ceux qui veulent de fortes rémunérations à ne former que de petits établissements.

L’euro? Un « faux problème » 

L’euro est, selon l’ancien trader, un « faux problème ». Bien avant l’apparition de la monnaie unique, les investisseurs parlaient déjà en Deutsche Mark pour les transactions internationales concernant la France ou la Grèce. Il y a donc toujours eu une monnaie de référence sur le Vieux Continent. Nassim Nicholas Taleb n’évoque en revanche pas les problèmes que peut poser la monnaie unique en termes de coordination des politiques monétaires et budgétaires entres pays de la zone. 

Par ailleurs, l’auteur se veut plutôt optimiste et positif sur l’Union européenne. A ses yeux, le principal avantage de cette structure est d’affaiblir les Etats-nations au profit des régions. Or, à l’exemple de pays comme l’Allemagne ou la Suisse, une gestion décentralisée est plus « antifragile » à ses yeux et donc susceptible d’entraîner un développement efficace du pays.

Ce qu’il pense de la France 

Nassim Nicholas Taleb estime qu’il faut réviser l’image (souvent caricaturale à l’étranger) de la France à l’aune de son histoire. L’Etat centralisateur jacobin a mis des siècles à se mettre en place face à la puissance des régions et à l’esprit de rébellion du peuple. Les rois de France avaient par exemple dû élire domicile à Versailles par peur des foules parisiennes. 

L’auteur du « Cygne noir » estime qu’on se trompe sur ce qui a fait la force de la France. Ce n’est pas son Etat centralisé mais au contraire sa diversité culturelle et linguistique. Et pour lui, la France a tout à gagner avec l’Europe car elle impose au gouvernement une décentralisation des décisions.

L’innovation ne vient pas de Harvard 

Toujours prompt à vilipender les élites politiques et universitaires, l’économiste insiste sur l’importance du hasard et des bricolages accidentels dans la plupart des inventions. C’est le cas de l’écrasante majorité des traitements médicaux. Peu de personnes savent par exemple que ce sont les réactions inattendues de certaines personnes au gaz moutarde qui ont été à l’origine de la chimiothérapie.   

Avoir une recherche centralisée et dominée par quelques scientifiques ou l’Etat est ainsi « une absurdité ».

Comment gérer son argent face aux risques 

Challenges.fr a profité de cet entretien pour demander aussi quelques conseils de gestion à l’économiste. Nassim Nicholas Taleb insiste sur l’importance de la diversification des investissements. Il estime par ailleurs qu’il est plus utile de scinder ses choix entre des produits très solides et peu rémunérateurs d’une part, et des produits très risqués aux taux de rendement pouvant exploser d’autre part, plutôt que d’avoir une gamme de produits moyennement risqués.

Publié le 25-12-2013 Par Jean-Louis Dell’Oro/ Challenges

http://www.challenges.fr/economie/20131223.CHA8726/comment-nassim-nicholas-taleb-l-auteur-du-cygne-noir-voit-l-europe-les-banques-et-la-france.html

3 réponses »

  1. Taïeb ne connait pas l’ histoire de France. Le Roi s’est installé à Versailles non par peur du peuple mais pour affaiblir la noblesse. Louis XIV avait été traumatisé par la Fronde qui n’a pas été une révolte populaire mais une révolte des grands féodaux. Le Roi de France a perdu le pouvoir quand il a cessé de faire alliance avec le peuple contre les nobles. Aujourd’hui c’est une nouvelle aristocratie, ou plutôt oligarchie qui tient le pouvoir en France (hauts fonctionnaires, banquiers), mais le peuple n’a plus de souverain pour le protéger des abus de cette oligarchie. Le dernier souverain a été de Gaulle. Ses successeurs se sont alliés à l’oligarchie contre le peuple.

    • Depuis que le monde des humains existe, il se divise en dirigés et dirigeants.
      Et rien ni personne n’y peut rien changer.
      Et comme les majorités ne peuvent, arithmétiquement, gouverner, question place, ce sont les chefs, les dirigeants, les oligarques qui tiennent le manche.
      Autant en France que partout ailleurs dans le monde et plus particulièrement au sein des gouvernements de type présidentiel, voire, dictatorial pour faire simple…mais pas simpliste.
      Le principe  »démocratique »selon lequel, la majorité a raison parce qu’elle est la majorité, vient donc d’atteindre le comble de l’horreur, en même temps que du ridicule et de l’anti-démocratisme, en élisant un prince avec une majorité de…25% ! !
      En clair, sur cent électeurs, 75 n’en veulent pas mais, comme 25 en veulent, leur champion est élu ! ! !
      Mais, soyons honnêtes: sous la I°, la II°, la II° et la IV° république, les oligarques étaient là, commandaient la France, mais les banques étaient seulement moins puissantes qu’aujourd’hui.
      De nos jours, elles ne se contentent plus d’exiger, désormais, elles dirigent.
      Comme disait les autres économistes, pourtant pas révolutionnaires ni gauchistes, Stiglitz et Krugmann, les responsables de la marche en avant…vers l’abîme, ne sont pas les banquiers, mais les politiques.
      En effet, ce sont eux qui font les lois et ont le pouvoir, armée, police justice, pour les faire appliquer.
      Ils ne le font pas?
      A qui ce crime profite-t-il?.
      M.Caron

  2. Intéressant si on analyse l’ensemble de son discours sous l’angle de la moyenne à l’inverse de la concentration. Un système moyen étant plus efficace qu’un système pléthorique et concentré. Par contre ce qui me surprend c’est qu’en conclusion pour lui la moyenne est la somme des extrêmes. Ce qui me semble incohérent avec le reste du discours, moyenne entreprise, banque moyenne, intervention de l’état moyen, moyenne régionale contre élargissement national pour conclure avec une position sur les risques max, associée au risque minime.

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