Art de la guerre monétaire et économique

La France s’en prend aux bloggeurs qui doutent des bilans de ses banques Par Wolf Richter

La France s’en prend aux bloggeurs qui doutent des bilans de ses banques Par Wolf Richter

Plutôt que de s’en prendre aux mégabanques qui ont tant dévasté l’économie, les régulateurs Français s’en prennent aux bloggeurs qui tentent de les dénoncer. C’est bien plus pratique.

L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a annoncé le 14 novembre que sa Commission des Sanctions a décidé d’émettre des sanctions contre deux bloggeurs, le Français Jean-Pierre Chevallier et l’Américain Mike ‘Mish’ Shedlock ‘pour avoir diffusé des informations erronées sur le niveau d’endettement’ de la mégabanque Société Générale.

La même banque est entrée dans les annales de la bêtise après avoir blâmé et poursuivi un petit trader du nom de Jérôme Keviel pour sa perte de 5 milliards d’euros lors de la crise financière, dans le même temps que les autres banques blâmaient leurs actifs toxiques.

Le communiqué de presse stipule qu’une enquête a été ouverte en août 2011 concernant des ‘rumeurs quant à l’endettement’ de SocGen. Le 14 août 2011, Chevallier a publié une analyse (en anglais) des bilans financiers de SocGen et est parvenu à la conclusion que le ratio de levier financier de la banque était bien supérieur à ce qu’elle déclarait – soit 50 :1 – et que son ratio de capital Tier 1 n’était pas de 9,3% mais de 2%, et qu’il lui restait donc très peu de capital.

L’AMF l’a accusé, en tant qu’ancien professeur de finances qui a enseigné l’analyse financière, d’avoir diffusé des informations qu’il savait inexactes au vu des règles comptables en vigueur et des principes du Traité de Bâle 2 qui gouverne la gestion de capital des banques. Il a été puni d’une amende de 10.000 euros pour avoir douté de la véracité sacrosainte des bilans financiers de SocGen.

Comme nous avons pu le voir d’innombrables fois, la vérité quant à la condition financière d’une banque fait toujours surface après qu’une banque se soit effondrée et que quelqu’un se penche sur les débris pour en récupérer ce qui reste. L’AMF ne le sait que trop bien. L’instabilité des banques Françaises n’est pas un secret : la mégabanque Franco-Belge Dexia s’est effondrée en octobre 2011 après avoir été l’objet d’un plan de sauvetage en 2008, et après avoir passé les tests de stress de l’Autorité Bancaire Européenne quelque mois plus tôt, qui l’avaient placée au rang de 12e banque la plus sûre sur 91 banques examinées ! Et les contribuables Français continuent d’en payer les frais.

Ironiquement, à la même période, le rapport de l’AMF pour 2010, qui présentait les résultats de l’enquête sur Dexia, était publié. Le rapport concluait que la banque était en si mauvais état qu’elle devrait être placée sous supervision spéciale par l’AMF. Et ensuite ? Rien. Le rapport a été enterré. Jusqu’à ce que Libération en obtienne une copie après l’effondrement de la banque. Il se trouve que les bilans de Dexia ne valaient même pas le papier sur lesquels ils étaient imprimés.

Douter de bilans financiers n’est donc pas un acte irraisonnable.

Fouiller dans des bilans financiers et en tirer des conclusions qui diffèrent de celles que publient les banques toutes puissantes est juste un signe de ne pas avoir encore absorbé assez de ce poison qu’elles nous servent.

La liberté de parole, bien sûr… Mais pas pour ce qui est des mégabanques ? Non. Personne n’a le droit de douter de quoi que ce soit. Sont-elles en mauvaise position au point de ne pas pouvoir supporter les doutes d’un bloggeur ?

Le 15 août 2011, Shedlock a contacté Chevallier par le biais de son article. Lui aussi a fait l’objet d’une enquête et puni d’une amende. Son crime ? Avoir cité un bloggeur qui a osé douter du caractère sacré des bilans d’une mégabanque Française. 8.000 euros. Parce qu’en tant que professionnel du milieu, il aurait dû noter les ‘incohérences des informations’.

Une première en France, selon l’AMF :

« Par sa décision, la Commission des Sanctions a mis en avant son droit de juger la dissémination d’informations erronées concernant un instrument financier négocié sur les marchés Français, que ces informations soient disséminées en France ou non, et qu’elles aient été publiées par un Français ou un étranger. Pour la première fois, la Commission a appliqué l’article 632-1 des Régulations Générales de l’AMF sur les informations publiées sur internet par des bloggeurs financiers, et qui stipule qu’il est ‘interdit pour quiconque de publier ou de diffuer une information, peu importe le média utilisé, susceptible de fournir des indications inexactes au sujet d’instruments financiers, à l’inclusion de la diffusion de rumeurs ou d’informations trompeuses, si tant est que la personne sache ou soit en position de savoir que cette information est erronée ou trompeuse’.

Une tentative évidente d’étouffer les bloggeurs dans le doute. Cette débâcle a été portée à mon attention par un email d’Hilary Barnes accompagné d’un lien vers cet article dans lequel il discute la situation de Chevallier.

Chevallier a répondu sur son propre blog, en français : ‘Les dirigeants de nos banques n’aiment pas les gens qui les dérangent dans leurs magouilles. Ils préfèrent les veaux’. Il poursuit :

L’AMF en est venue à me sanctionner pour avoir publié des analyses qui dénoncent les manipulations des règles prudentielles auxquelles ces banksters se livrent, en se basant sur des éléments qui ne correspondent pas à la réalité et sur des raisonnements qu’eux seuls peuvent oser soutenir.

Les gens de l’AMF ont manifestement outrepassé leurs prérogatives en vue d’intimider toute personne, en France et ailleurs dans le monde (!) qui ose contester les déclarations et publications frauduleuses des banksters’.

Il prévoit de faire appel de cette décision. Et il a expliqué qu’il a publié cet article sur son blog hébergé en Suisse (www.Chevallier.biz) plutôt que son blog français (www.jpchevallier.com) parce qu’il n’a ‘aucune confiance’ en les institutions françaises.

Douter les finances des mégabanques françaises ne relève pas que des bloggeurs. Le Wall Street Journal a par exemple reporté le 23 septembre 2011 que le ratio de levier financier du Crédit Agricole était de 33, et que ceux de BNP Paribas et SocGen étaient quelque peu moins élevés avec 24 et 23 fois leurs actifs tangibles. Peut-être le WSJ recevra-t-il bientôt une amende…

Les absurdités derrière l’attaque de Mike ‘Mish’ Shedlock

L’aspect le plus bête et le plus outrageux de la tentative de la France de faire taire les doutes quant aux bilans des mégabanques est l’attaque directe de Mike ‘Mish’ Shedlock qui a osé citer Chevallier dans son article « BNP Paribas Leveraged 27:1; Société Générale Leveraged 50:1; Sorry State of Affairs of U.S. Banks; Global Financial System is Bankrupt ».

SocGen s’est plainte à la SEC. La SEC a contacté Shedlock. Dans son article d’aujourd’hui au sujet de cette affaire sordide, « Mish Fined 8,000 Euros for Quoting French Blog », il écrit ceci : ‘Mon contact de la SEC m’a expliqué être forcé par accord de me transmettre la plainte, et a ajouté que ‘les banques françaises sont connues pour lancer des poursuites frivoles’’.

‘L’idée que je ne puisse pas citer quelqu’un est incroyable’, a écrit Shedlock.

Comme Chevallier le souligne sur son blog, et comme Shedlock l’a lui-même soulevé, et comme quiconque qui dispose de sens commun s’en rend probablement compte, plutôt que de s’en prendre aux mégabanques qui ont causé tant de troubles, les régulateurs s’en prennent aux bloggeurs qui tentent de lever le voile sur ces affaires.

Comment Shedlock fait face à ce problème ? Avec sa bonne vieille ingénuité Américaine : ‘Je ne fais pas partie de la juridiction de l’AMF, et elle ne pourra rien venir me prendre. En tant que citoyen Américain établi aux Etats-Unis, je ne suis pas sujet aux absurdités des lois françaises ou des chasseurs de sorcières français. Tout ce qu’ils obtiendront de moi est une promesse de ne jamais aller en France’.

La France a déjà suffisamment de problèmes. L’euro, sa gestion catastrophique, les promesses de la BCE de faire tout son possible, les trillions d’euros utilisés pour soutenir banques et gouvernements – tous ces efforts qui visent à empêcher la zone Euro de voler en mille morceaux – ont affecté les pays de différentes manières. France et Allemagne incluses. Elles s’en prennent l’une à l’autre mais frappent la BCE. Voir cet article : France Clamors for Currency War, Bundesbank Warns Of Housing Bubble

Par Wolf RichterTestosterone Pit/24thgold 21/11/2013

http://www.testosteronepit.com/home/2013/11/21/gagging-doubt-french-crackdown-on-french-and-american-blogge.html

http://www.24hgold.com/francais/actualite-or-argent-la-france-s-en-prend-aux-bloggeurs-qui-doutent-des-bilans-de-ses-banques.aspx?contributor=Wolf+Richter.&article=4741184850G10020&redirect=False

3 réponses »

  1. L’AMF, vous parlez de cette autorité composée d’énarques et consanguine et qui n’a pas trouvé de preuve de délit d’initiés dans l’affaire EADS ? 2 Poids, 2 mesures pourrait devenir la devise de la France.

  2. Et pourquoi la Socgen n’a pas devant l’AMF pointé du doigt l’Autorité Bancaire Européenne (EBA) dont Chevallier dit qu’elle « confirme une fois de plus la justesse de mes analyses antérieures  » ?

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