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La dérive réglementaire ruine les mérites du frein à l’endettement Par Emmanuel Garessus

La dérive réglementaire ruine les mérites du frein à l’endettement Par Emmanuel Garessus

La dérive réglementaire ruine les mérites du frein à l’endettement Dans son dernier ouvrage sur les dettes privées et publiques, le professeur Silvio Borner ne manque pas d’égratigner des tendances inquiétantes qui apparaissent en Suisse, la multiplication des interdits et des règlements. «C’est parce que le frein à l’endettement fonctionne si bien que les groupes d’intérêt se déplacent sur le terrain réglementaire», regrette-t-il

Le surendettement des Etats est le plus grave problème économique mondial. Il réduit et fragilise autant la croissance que la confiance entre le citoyen et les autorités. Dans un nouveau livre sur la dette et le surendettement*, Silvio Borner met l’accent sur la distinction fondamentale entre les dettes privée et publique et sur la situation dans la zone euro et en Suisse. Pédagogique, il souligne les atouts institutionnels suisses, mais sans omettre d’égratigner sévèrement l’image d’une Suisse bon élève. Car les dernières tendances sont inquiétantes.

Les déficits publics ne datent pas de la crise. Au cours de ces 33 dernières années, les recettes publiques ont dépassé les dépenses à 16 reprises en Suisse, seulement cinq fois en Europe et une fois en Amérique du Nord. Pour une fois, avec Silvio Borner, ce n’est pas le marché qui figure sur le banc des accusés, mais les hommes de l’Etat.

La dette est en soi un instrument utile. Lorsqu’un jeune ménage achète une maison, il prend un risque calculé s’il contracte une hypothèque. En cas de difficultés passagères, il réduit son niveau de vie sous peine de voir sa maison confisquée. La faillite est une menace claire et précise. C’est la première caractéristique de la dette privée: le débiteur est pleinement responsable de son acte et il en subit toutes les conséquences.

Les caractéristiques de la dette publique sont totalement différentes. Si l’Etat ne peut plus payer ses intérêts, il n’a pas à craindre la confiscation de ses actifs. Il a le choix entre une hausse d’impôts ou l’emprunt. C’est pourquoi «un excès de dette publique aujour­d’hui, c’est l’impôt de demain et d’après-demain», selon la formule de Silvio Borner.

La clé du problème réside dans les incitations. Au sein d’une démocratie, contrairement au ménage privé, celui qui décide de nouvelles dépenses n’en assume qu’une partie infime du financement. Chacun, qu’il soit pendulaire, syndicaliste, banquier ou conseiller en énergie, défend égoïstement ses intérêts et évalue les dépenses publiques en conséquence. Ce sont les autres qui paient. La responsabilité est assumée par la collectivité et parfois par les générations futures. C’est le diktat de la majorité. Le sens des responsabilités est dilué. Il disparaît même totalement d’un pays lorsque celui-ci fait appel aux citoyens d’autres pays pour financer ses dettes, à l’image de la zone euro et des achats obligataires de la BCE. Face au défi de la Grèce, la solution correcte aurait été une remise de dette accompagnée de réformes structurelles et de l’arrêt des achats obligataires de la BCE, selon le professeur bâlois. Si l’on poursuit la politique actuelle, il se dit persuadé d’un retour de l’inflation et de la fin de la zone euro.

Les pays de la zone euro souffrent aussi de l’absence d’une politique monétaire indépendante et d’un frein à l’endettement. Les critères de Maastricht se résument à des déclarations d’intention non tenues, y compris de la part de l’Allemagne. D’ail­leurs, la dette publique poursuit son envol (100% du PIB dans la zone euro en 2013).

Le système d’incitations est mieux structuré en Suisse. Notre faible degré d’endettement public (39%) est directement lié au fédéralisme et au frein à l’endettement. Mais notre situation est moins satisfaisante qu’il n’y paraît. Les déficits des assurances sociales ne sont pas compris dans les chiffres, ni les engagements futurs des caisses de pension publiques, critique Silvio Borner.

Les fissures se multiplient dans notre système institutionnel. Premièrement, un frein à l’endettement fait cruellement défaut pour les assurances sociales. Elles sont autonomes et ne figurent donc pas dans le budget de l’Etat, regrette le professeur. Deuxièmement, à travers la péréquation financière, une petite minorité de cantons subventionne leur grande majorité sans que le potentiel économique des cantons subventionnés ne s’en trouve amélioré. Pire, le 1,2 milliard de subventions annuelles obtenues par le canton de Berne freine sa volonté de réformes fiscales. Troisièmement, les vœux de subventionnement de «clusters» suisses, pour la haute technologie ou les technologies propres, sont des gouffres à subventions et créent de fausses incitations.

La recherche de privilèges individuels abonde en Suisse, observe Silvio Borner. Les objectifs sociaux et environnementaux des taxes incitatives sont instrumentalisés afin d’augmenter la quote-part de l’Etat, que l’on passe par des entreprises publiques et parapubliques, les banques cantonales ou de nouveaux fonds d’infrastructures.

Les dernières tendances sont inquiétantes. Les dépenses imposées par l’Etat à l’économie prennent de plus en plus l’aspect réglementaire. A priori, une loi n’a pas d’effet sur le budget. Prenons pourtant l’exemple de la loi sur les 35 heures en France. Ne conduit-elle pas à un renchérissement massif du travail? Ne crée-t-elle pas des pertes économiques énormes? Les exemples sont parfois moins spectaculaires, mais, par leur explosion, ils empoisonnent la vie des ménages et des entreprises. La réduction des places de parking, privées et publiques, est un exemple significatif d’un état d’esprit hostile à l’économie privée.

La multiplication des interdits et règlements souligne le paternalisme en vogue en Suisse. Son impact économique n’est pas différent du surendettement. Car il y a deux façons d’accroître les coûts, d’une part avec des subventions (ex. en faveur des lampes économisant l’énergie), d’autre part avec un interdit (ex. refus des lampes à incandescence).

Pour Silvio Borner, c’est parce que le frein à l’endettement fonctionne si bien que les groupes d’intérêt se déplacent sur le terrain réglementaire. Le professeur propose ainsi de créer un frein à la réglementation. Sa cible première se situe moins au Conseil fédéral que dans l’administration et les autorités «indépendantes» (Finma, Comco, BNS). «L’îlot de prix s’est transformé en îlot de réglementations», regrette Silvio Borner.

Source Le Temps 22/1/2014

* Über Schulden und Über­schul-dung, warum die Politik versagt; Silvio Borner; Verlag NZZ; 2014.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/a6d80b4a-82be-11e3-8ad0-7cbb6d0e585e/La_d�rive_r�glementaire_ruine_les_m�rites_du_frein_�_lendettement

1 réponse »

  1. Article intéressant, toutefois le lien entre démocratie et dette faite par l’auteur est un peu rapide a mon avis. En effet, dans les pays ayant une démocratie représentative, comme la France ou les USA, les politiciens, de quelques bords qu’ils soient, une fois au pouvoir, utilisent la dette pour réaliser leur programmes. Les citoyens ont donc pas vraiment le choix. Si je me réfère aux articles publiés régulièrement sur ce site, la Chine, qui n’est pas considérée comme particulièrement démocratique, est aussi confrontée à de sérieux problèmes de dettes. En contre exemple, en Suisse le principe du frein à endettement a été accepté en votation et à une forte majorité. Enfin si l’on s’intéresse un peu à l’histoire, les monarchies et autres systèmes dictatoriaux n’ont pas été épargnés par les problèmes de dettes.

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