Art de la guerre monétaire et économique

Philippe Béchade/BFM : Hausse des taux émergents: que peut-on en attendre? – 29/01/2014

Philippe Béchade/BFM : Hausse des taux émergents: que peut-on en attendre?29/01 /2014

Les pays émergents ripostent à la chute de leur monnaie

A New Delhi, Pretoria ou Istanbul, les hausses de taux se succèdent. Sans amélioration conjoncturelle, l’effet de ces mesures ne devrait pas durer

L’énergie du désespoir. C’est ce à quoi ressemble, selon certains analystes, la folle succession de décisions des banques centrales des pays émergents. Après la dévaluation passive décidée par l’Argentine depuis la mi-janvier, les ripostes monétaires à la chute de leur devise respective se multiplient à un rythme effréné depuis lundi. La Russie, l’Inde, puis la Turquie, dans la nuit de mardi, et enfin l’Afrique du Sud, mercredi, sont toutes passées à l’action.

A Istanbul, à moins de vingt-quatre heures de la première ­communication de l’année de la Réserve fédérale, il a été décidé, contre l’avis du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, de presque doubler les taux d’intérêt. Ceux au jour le jour sont passés de 7,75 à 12%. Le taux repo hebdomadaire – les prêts aux banques – a lui été remonté de 4,4 à 10%.

A Pretoria, là aussi pour soutenir la monnaie nationale mais surtout pour enrayer l’inflation, la banque centrale a décidé de relever ses taux de 50 points de base, à 5,5%. Et son gouverneur n’a pas exclu que ce soit la première étape d’une série de hausses.

Pour l’économiste de Pictet&Cie Chloé Koos, ces réactions, car «les taux d’intérêt, ou éventuellement les interventions sur les marchés des changes, sont les outils les plus directs dont disposent les banques centrales». L’enchaînement de ces annonces ne la surprend pas non plus. «Depuis des années, plusieurs de ces économies ont partagé le même destin.» Pour le meilleur d’abord, en servant de ­relais lorsque les pays développés s’enfonçaient dans la crise. Mais aussi pour le pire, depuis le début de 2013, lorsque leurs déficits courants et l’instabilité politique de certains d’entre eux sont revenus sur le devant de la scène.

L’été dernier, la défiance s’est encore accentuée, dès lors que la Réserve fédérale américaine a explicitement évoqué un début de retour vers la normalité monétaire. Les ­investisseurs ont alors commencé à se désengager massivement des monnaies émergentes vers lesquelles ils s’étaient tournés pour absorber une partie des excès de liquidités injectées par la Fed.

Hier, dans l’après-midi, la livre turque avait déjà effacé tous ses gains de la matinée. Le rouble, lui, plongeait à nouveau, après quelques jours de répit, alors que les marchés s’attendent à ce que la Fed continue de réduire l’ampleur de son programme de soutien. «C’est la preuve que ces pays sont soumis à d’importants flux spéculatifs. S’ils veulent que ces mesures fonctionnent, il faut que la conjoncture s’améliore rapidement. C’est d’ailleurs ce que nous percevons, indique Chloé Koos. Une hausse de taux permet certes de retenir les investisseurs en quête d’un rendement intéressant. Mais si la reprise ne se confirme pas, ils finiront par s’en aller.»

C’est là que la riposte indienne, sud-africaine ou turque pourrait devenir contre-productive. «S’ils se sont trompés, leurs hausses de taux vont peser sur la relance. Cela va être difficile à corriger», prévient encore l’économiste de Pictet&Cie.

Par Servan Peca/ Le temps 30/1/2014

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