Art de la guerre monétaire et économique

Géopolitique: En Irak, l’EIIL agrège une galaxie sunnite radicale

Géopolitique: En Irak, l’EIIL agrège une galaxie sunnite radicale

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En Irak, des groupes religieux, tribaux et ex-baassistes gravitent autour de l’EIIL Des groupes religieux, tribaux et ex-baassistes gravitent autour des djihadistes, obligés de composer pour tenir le terrain et mener à bien une sorte de reconquête du pays sunnite

Depuis la prise de Mossoul, le 10 juin, et durant la course effrénée qui l’a mené jusqu’aux faubourgs de Bagdad, l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) n’a pas seulement accumulé les victoires, il a aussi grossi ses rangs. Selon l’un de ses porte-parole, «12 000 Irakiens» auraient ainsi été recrutés sous l’étendard noir du djihad. Ses ­troupes pourraient compter 20 000 combattants, selon des estimations hautes.

L’effet de surprise dont l’EIIL a bénéficié au début de son offensive, le 6 juin, et la relative attraction que celui-ci semble exercer sur la population sunnite déforment la perception qu’on peut avoir de la puissance de ce groupe. L’Etat islamique, qu’on a vu se mettre en scène dans des vidéos ultra-violentes et dont les combattants sont invariablement dépeints par le premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, comme «une horde de terroristes», n’est finalement que le visage terrifiant et ultra-médiatique d’une large coalition sunnite mêlant de nombreux groupes aux idéologies diverses.

Cet assemblage hétéroclite peut se diviser en quatre catégories, dont la première rassemble des anciens officiers baassistes de l’armée de Saddam Hussein, constitués en groupes armés dans le sillon de l’invasion américaine de 2003 et qui n’ont, depuis, jamais rendu les armes. Ces nostalgiques du raïs déchu considèrent comme illégitimes les nouvelles autorités de Bagdad et sont restés actifs, même après le rapatriement des derniers soldats américains par Barack Obama, en décembre 2011. Les plus irréductibles d’entre eux ont rejoint l’Armée de la voie de Nakchabandi, dont la figure de proue n’est autre qu’Ezzat Ibrahim al-Douri, le plus haut dignitaire de l’ancien régime toujours en fuite.

Ami intime de Saddam Hussein, qui l’avait nommé vice-président du Conseil de commandement de la révolution, Ezzat al-Douri est par ailleurs membre des Nakchabandi, une confrérie soufie qu’avaient embrassée, selon ses adeptes, les compagnons du Prophète ainsi que le premier calife. L’appellation est trompeuse, car si les soufis sont théoriquement pacifiques, les Nakchabandi d’Irak ont fourni de redoutables officiers de renseignements, civils et militaires, sous le règne de Saddam Hussein. Après la chute de ce dernier, ils ont régulièrement mené des opérations conjointes avec Al-Qaida.

Cette alliance d’opportunité, parfois tissée dans l’obscurité des prisons où leaders baassistes et djihadistes étaient enfermés côte à côte, a perduré jusqu’à l’apparition de l’EIIL. Comme l’Etat islamique, l’Armée de la voie de Nakchabandi est une habituée du territoire syrien, longtemps utilisé comme base arrière. De sources concordantes, ce groupe est le plus puissant et le premier allié de l’EIIL en Irak. Jeich al-Rachidine, l’Armée des guides, active au nord de Bagdad et près de Ramadi, appartient à la même catégorie d’irréductibles baassistes, sans avoir la même influence.

La deuxième catégorie comprend des groupes tels que les Brigades de la révolution 1920 ou le Front islamique pour la résistance irakienne, proches des Frères musulmans, dont le chef de la branche irakienne, Hareth al-Dhari, vit en Jordanie. Longtemps opposés à Al-Qaida, les Frères d’Irak ont participé à la création des milices sunnites Sahwa, financées et armées par les Etats-Unis pour combattre les djihadistes. En retour, Al-Qaida n’a pas hésité à assassiner le neveu d’Hareth al-Dhari, en 2009. Officiellement, toutes formes d’opération suicide sont interdites par la confrérie.

La troisième catégorie englobe la multitude de groupuscules armés sunnites, de tendance baassiste ou islamiste à l’influence locale, qui avait pris les armes contre les Américains après 2003. La plupart avaient intégré les milices Sahwa ou s’étaient mis en sommeil après le départ des troupes américaines.

Excepté l’Armée de la voie de Nakchabandi, alliée de la première heure, tous ces groupes semblent avoir intégré la coalition menée par l’EIIL après les grandes manifestations de début 2013 qui dénonçaient la marginalisation, l’oppression et les injustices dont la communauté sunnite a été victime sous le gouvernement Maliki.

La quatrième et dernière catégorie est formée par les chefs de tribu, au sein de Conseils militaires révolutionnaires qui ont vu le jour dans presque toutes les villes sunnites d’Irak après la dispersion brutale de ces manifestations. Au final, le spectre de cette coalition est si large qu’il est difficile de trouver des points communs entre ses membres, mis à part le fait qu’ils sont sunnites et très radicalisés.

L’EIIL peut difficilement tenir les territoires remportés récemment sans l’aide de ces groupes et sans l’accord tacite d’une partie de la population. Les djihadistes ont par ailleurs besoin de compétences spécifiques que possèdent les anciens officiers baassistes, s’ils veulent utiliser certaines armes et engins militaires qu’ils ont pris à l’armée. Alors qu’ils approchent de Bagdad, ils ont enfin besoin de la connaissance du terrain que seuls des locaux peuvent leur apporter.

Les sunnites d’Irak, en acceptant la mainmise des djihadistes, ont-ils fait un «Pacte avec le diable», ainsi que le suggère le titre d’un récent rapport de l’International Crisis Group (ICG) sur Falloujah, première ville d’Irak à être tombée, début janvier, sous le contrôle de l’EIIL? « Beaucoup ont peur [de l’EIIL], tout en les laissant faire, car notre situation est devenue inacceptable, explique un habitant de Mossoul. »

Les insurgés irakiens profitent, pour l’instant, de la terrible force de frappe de l’EIIL pour mener à bien ce qui pourrait s’apparenter à une reconquête du pays sunnite. Mais où s’arrêtera cette folle cavalcade? Selon un chef de tribu joint au téléphone, Cheikh Rafaa al-Joumaïli, combattant près de Falloujah, la coalition sunnite alliée à l’EIIL s’inquiète de ce qu’une partie du butin en armement a été transférée en Syrie. Elle aurait aussi présenté à l’EIIL une série de points qu’elle souhaite négocier.

La coalition «veut limiter sa collaboration armée avec l’EIIL à l’intérieur des frontières irakiennes et réduire le nombre de combattants étrangers, afin, assure-t-il, de montrer que cette guerre vise uniquement le gouvernement irakien». «L’EIIL doit comprendre que son idée d’un Etat islamique fait peur et que cela risque de fournir à Maliki le soutien du monde entier. La coalition demande aussi la fin du djihad contre les chiites.» Des responsables de l’EIIL auraient accepté d’étudier ces demandes, «ce qui est déjà très positif», conclut le cheikh.

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PAR CÉCILE HENNION/ Le Temps 19/6/2014

PEN LIENS: Géopolititique: Guerre au Moyen Orient/Abou Bakr al-Baghdadi, le nouveau Ben Laden!

Géopolitique: A l’aube d’une guerre au Moyen-Orient ?

Irak l’embrasement

Foudroyante offensive de l’État islamique en Irak et au Levant

En s’emparant le 10 juin de Mossoul, deuxième ville d’Irak avec quelque deux millions d’habitants, ainsi que de la province de Ninive, avec ses vastes gisements pétrolifères, les djihadistes 1de l’EIIL [État islamique en Irak et au Levant/ Daash] sont désormais en passe de réaliser le vœu le plus cher des néoconservateurs de Washington. Ceux-ci entendaient en effet au début du XXIe siècle redessiner la carte du Proche Orient en scindant l’Irak en trois entités ethnoconfessionnelles : kurde sunnite au Nord, arabe sunnite au centre, arabe chiite au Sud. À présent, les stratèges américains du « chaos constructif » se trouvent à l’arrivée comme tous les apprentis sorciers du monde, dépassés dans leurs espérances de reconfigurations planétariennes et doivent faire face dans l’urgence absolue à une réaction en chaîne devenue immaîtrisable.

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Le nouveau Proche-Orient reconfiguré à Washington dans le cadre du plan “Greater Middle East Initiative”

Après Mossoul, l’offensive fulgurante des radicaux a maintenant dépassé Tikrit 2 , la Ville aux Trois églises (aujourd’hui disparues), chef-lieu du gouvernorat de Salaheddine qui porte le nom du Kurde Saladin, et d’où fut originaire Saddam Hussein, celui-ci aimant à s’identifier à son illustre devancier. Guerre éclair qui s’approche de la ville sainte de Samarra – sanctuaire abritant les tombes du Xe et du XIe Imam, et la châsse de l’Imam caché des Chiites duodécimains, le Madhi 3 censé revenir à la fin des temps – et menace à présent Bagdad où commence à s’étendre l’ombre sinistre des salafo-wahhabites… jusqu’au cœur du bastion ultrasécurisé appelé Zone verte. Les États-Unis et l’Australie rappellent leurs ressortissants. L’affaire est chaude.

Au-delà de Bagdad, c’est tout l’Orient proche qui est menacé d’implosion

Une menace par conséquent prise très au sérieux non seulement par les spécialistes de l’Irak convulsionnaire, en quasi guerre civile depuis 2004 et où, depuis 2013, l’on dénombre une petite moyenne de mille morts par mois dus à de sanglants attentats interconfessionnels… menace qui inquiète aussi et surtout les chefs d’États et de gouvernements occidentaux. Lesquels découvrent tout à trac l’ampleur d’un désastre qu’ils ont plus ou moins sciemment provoqué. Car la source du drame actuel ne se trouve nul part ailleurs que dans la guerre d’agression du printemps 2003. Or qui peut, au sein de nos élites dirigeantes, prétendre avoir ignoré à cette époque la nature des monstrueux mensonges diffusés par la machine de guerre américaine 4 ? À part bien entendu les opinions publiques occidentales désinformées, intoxiquées et gavées de propagande !

C’est dans ce contexte, celle d’une offensive sunnite fondamentaliste lancée sur la capitale – pourtant à dominante chiite, mais cœur symbolique et géopolitique du Pays des deux Fleuves – que le président iranien Rohani a déclaré ce samedi 14 juin – avec une certaine jubilation qu’il avait du mal à dissimuler – être prêt à intervenir militairement en Irak 5… et si nécessaire, aux côtés des forces américaines. Qui ne voit l’ironie de la chose et l’extraordinaire renversement de situation qu’elle implique ? Des pourparlers bilatéraux sont déjà en cours à ce sujet…

Parce que ce serait à tort que l’on irait s’imaginer que les Américains trouveraient à l’occasion de cette offensive, un prétexte pour revenir en Irak alors qu’ils sont déjà bien heureux d’avoir pu s’en extraire sans casse majeure. Parce que grâce au ciel, ils en sont partis, presque à la cloche de bois, au petit matin glauque du 18 décembre 2011… « la queue entre les jambes 6 » comme l’avait prédit Scott Ritter ancien officier du corps des Marine, laissant derrière eux la bagatelle d’un million et demi de cadavres [ORB28janv08] ! Trois ans après le départ des GI’s – « Mission accomplie  » – le chaos règne en maître sur la Mésopotamie. À ce titre, nous pouvons – nous occidentaux qui portons au pouvoir et reconduisons dans leur fonctions les responsables politiques de ce navrant pandémonium – être également, en bout de chaîne, fiers de nous !

Volens nolens, l’Amérique devra assumer le prix de ses fautes et de ses crimes

C’est donc finalement contraint et forcé que le Pentagone vient de dépêcher dans les eaux du Golfe le porte-avions USS George HW Bush, ceci afin « de permettre au commandement en chef de disposer de plus de souplesse d’action si une opération militaire américaine devait être déclenchée pour protéger des vies américaines, des citoyens ou nos intérêts en Irak ». Des mobiles sans équivoques où il n’est plus pour une fois question de démocratie et de droits de l’homme… une rhétorique désormais aussi inutile que largement dépassée !

Bref le djihadistes ont chassé à peu de frais du nord de l’Irak, une armée gouvernementale bien équipée mais particulièrement démotivée. Une victoire spectaculaire qui ouvre, aux djihadistes des perspectives aussi inédites qu’inattendues puisque les fondamentalistes contrôlent désormais, en continuité spatiale, quasiment une bonne moitié du territoire irakien et presque autant en Syrie 7… récoltant ainsi les fruits d’une politique irréfléchie, imprudente, inconstante voire insensée de l’Occident ! Une situation que l’on était pourtant en mesure d’anticiper si les dirigeants occidentaux avaient bien voulu, entre autres, prendre la mesure de l’incohérence et de l’inconséquence de leur politique syrienne tout autant que de l’impuissance et de la corruption du pouvoir chiite de Bagdad.

Car, répétons-le, ce sont les mêmes forces islamistes sunnites radicales que les occidentalistes soutiennent en Syrie contre le régime baasiste de Damas, qu’ils s’apprêtent à contrer en Irak. Nous ne sommes plus là dans le paradoxe et la complexité mais dans un cas de figure de mortelle contradiction. Inutile de chercher ici un super machiavélisme ou de tortueux calculs chez les dirigeants des grandes démocraties… qui se sont pris les pieds dans le tapis, coincés qu’ils sont eux-mêmes au cœur de forcenées luttes de pouvoir internes, soumis en permanence aux pressions contradictoires de dogmatismes idéologiques, de communautarismes sectaires, d’intérêts financiers et géopolitiques dissonants, le tout dans une infernale cacophonie, mais toujours sous couvert des faux et pernicieux principes directeurs de la Démocratie ultralibérale.

À Mossoul la pitoyable débandade des forces gouvernementales

Comment expliquer la débandade de Mossoul ? L’armée gouvernementale pourtant en majorité chiite, a fui à tire d’ailes abandonnant sur place armes, matériels et munitions, notamment des chars et deux hélicoptères d’attaque. Des milliers de prisonniers politiques ont été libérés et les arsenaux pillés… D’abord par l’état de décomposition avancée qui caractérise le gouvernement de Nouri al-Maliki. Un gouvernement vomi autant par les chiites eux-mêmes, et particulièrement par leur influent clergé, cela pour son incurie, trop occupé qu’il était à s’enrichir plutôt qu’à engager le pays sur la voie du dialogue et de la réconciliation nationale.

Notons ici, parmi les signes avant-coureurs de l’actuelle débâcle, la prise et l’occupation en janvier dernier de Falloujah à 70 Km de la capitale, ville martyre de 326 000 habitants [recensement de 2010] dans la province d’Al-Anbar. La Cité des mosquées – quelque deux cents – a été en effet détruite en grande partie par les Américains en avril 2004 8. Depuis dix ans la population sunnite vit ainsi au milieu des décombres sans que le gouvernement chiite soit intervenu en quoi que ce soit pour réhabiliter cet habitat dévasté à la suite des représailles américaines.

Au reste, cinq cent mille personnes ont fui Mossoul où des corps jonchent les rue de la ville, pour se réfugier dans les « villages » alentours, tel celui de Karakosh peuplé ordinairement de 50 000 syriaques catholiques. Les Chrétiens assyro-chaldéens fidèles à Rome, Nestoriens monophysites, Arméniens catholiques et orthodoxes, Syriaques orthodoxes – pour ces derniers, autrement appelés Jacobites, le siège du maphrianat fut d’abord Tikrit puis Mossoul – subissent de cette manière et de plein fouet, la déconfiture de l’État fantoche de Maliki. Ainsi le monastère de Mar Behnam 9, bellement restauré par les fonds et la volonté – comme toutes les églises d’Irak – de l’effroyable dictateur Saddam Hussein. Lieu saint pour les Chrétiens et les musulmans où tous, indistinctement, venaient jusqu’à ces derniers jours prier… tout comme au monastère syriaque orthodoxe de Mar Matti sur les contreforts du Kurdistan où Saddam Hussein s’était fait installer son propre héliport et où il disposait d’appartements, certes situés à l’extérieur parce que les musulmans n’étaient pas autorisés à passer la nuit dans l’enceinte sacrée10 – 10.

Que laisseront de ce vénérable sanctuaire, joyau mémoriel de l’un des berceaux de la civilisation helléno-chrétienne, les néo-iconoclastes qui déboulent actuellement sur les villages chrétiens du nord de l’Irak ? Animés qu’ils sont par le sombre désir et la rage de semer la mort parmi les apostats – entendez les chiites et pas seulement les simplesmécréants que seraient les Chrétiens « Gens du Livre » pour les musulmans – l’apostasie étant le crime le plus inexpiable et le plus abjecte aux yeux de ces fondamentalistes fanatiques. On sait que l’émir de l’EIIL, Abou Baker al Bagdadi, a repris l’efficace méthode, celle de la terreur, que sut si bien employer contre l’occupant américain son prédécesseur al-qaïdiste Abou Moussab al-Zarkaoui, décédé de mort violente en juin 2006. Voie et moyen utilisé depuis la nuit des temps, à différents degrés par de nombreux conquérants… de toutes obédiences tels les Croisés qui surent aussi la manier… mais eux sous forme d’arme psychologique en répandant la rumeur terrorisante de pratiques cannibales ! De nos jours les djihadistes se font précéder par l’onde de choc d’une implacable cruauté, mauvaise réputation hélas apparemment pleinement justifiée et que décuple l’extraordinaire caisse de résonance que constitue aujourd’hui la Toile et leurs atroces vidéos [cf. note 2] !

Le fossé confessionnel

À la lecture de ce qui précède, l’on comprendra que le fossé interreligieux ne cesse de se creuser en Irak. Que les divisions confessionnelles y sont aujourd’hui très profondes alors qu’elles s’étaient estompées avant le printemps 1991, la première Guerre du Golfe et l’Opération Tempête du désert. Dans la foulée de la victoire de la coalition – à laquelle la France comme la Syrie d’Hafez el Assad participaient – Chiites et Kurdes encouragés par Washington crurent leur heure arrivée. Hélas, comme dans l’affaire de la Baie des Cochons 11, l’Amérique laissa froidement écraser ceux qu’elle avait incité à défier le pouvoir central. Depuis la révolte manquée des Chiites, écrasée à Kerbela par la Garde républicaine du raïs Saddam Hussein, la plaie ne s’est jamais refermée jusqu’à devenir un insondable abîme de défiance intercommunautaire.

En 2006 la guerre civile, réputée de basse intensité, atteint un paroxysme et ne s’est depuis jamais apaisée, Nouri al-Maliki n’ayant rien fait, au contraire, pour apaiser les passions. Mais le plus grave est qu’à présent cet antagonisme virulent entre Chiites et Sunnites prend une autre tournure. Celle d’une guerre confessionnelle ouverte susceptible de se développer dans toutes la Péninsule arabique, du Yémen au Kurdistan. Et qui ne devrait, dans l’hypothèse du pire, n’épargner ni les pétromonarchies du Golfe, au premier rang desquelles le Bahreïn, ni l’Arabie en proie à des soulèvements chiites endémiques. Au-delà cette guerre pourrait toucher le Pakistan où les affrontements intercommunautaires se multiplient dangereusement… ces deux dernières années près d’un millier de chiites ont été tués alors que cette minorité ne représente que 20% de la population pakistanaise [AFP6juin14]. Cela parce qu’ils sont accusés de « vouloir pervertir l’islam » !

Verrons-nous bientôt les salafo-wahhabites défiler dans Bagdad comme ils viennent de le faire à Mossoul, au volant leurs Humvee gracieusement offerts par l’armée américaine ? Tout comme il y a quarante ans, le 17 avril 1975, les Khmers rouges triomphaient dans les rues de Phnom Penh ? En Europe, l’Espagne annonce le démantèlement d’un réseau de recrutement de djihadistes à destination du front syrien tenu par l’État islamique en Irak et au Levant. Attendons-nous donc au choc en retour…

Léon Camus 16 juin 2014/Geopolintel

http://www.geopolintel.fr/article847.html

Notes

(1) Djihadistes qui comptent dans leur rang nombre de cadres de l’ancien régime passé dans la résistance islamo-nationaliste. Composante à laquelle viennent s’ajouter les tribus ulcérées par les persécutions anti-sunnites du gouvernement Maliki. Le fondamentalisme islamique peut de sorte adresser un grand merci à Paul Bremer, proconsul américain qui, en mai 2003, a entrepris d’en finir avec les forces armées de Saddam Hussein et le Parti Baas. Le démantèlement de l’armée a ainsi jeté sur le pavé 500 000 militaires et leur famille, dont beaucoup ont rejoint la rébellion et aujourd’hui l’EIIL. Quant à la débaassification, elle a eu pour résultat de désarticuler complètement une société auparavant structurée par son élite politique. Notons qu’à examiner l’écheveau particulièrement complexe des forces salafiste en action celles-ci sont putativement soutenues par l’Arabie séoudite outre l’aide indirecte fournie par les services spéciaux français, anglais, turc et jordaniens. Or l’Arabie est toujours en principe le meilleur allié de Washington dans la région… À l’exception d’Israël qui de son côté entretient actuellement des relations suivies avec le royaume wahhabite. Le serpent se mord la queue. Sans commentaire ! Lire à ce propos « Les Égarés » Éditions Sigest 2013.

(2) Les djihadistes de l’EIIL revendiquent le massacre de 1700 chiites, membres des forces de l’Armée de l’air irakienne, à Tikrit dans la province de Salaheddine dont une partie est d’ores et déjà tombée à l’instar de certains secteurs des provinces de Diyala et de Kirkouk. Leur progression en direction de Bagdad s’est toutefois a ralentie ces deux derniers jours alors que le gouvernement annonçait une contre-offensive pour défendre la capitale et que les volontaires chiites affluent de toutes parts pour prendre les armes pour la défense des villes saintes de Kerbela et de Najaf [euronew16juin14].

(3) La Mosqué d’Or de Samarra a été édifiée en 944. Elle abrite les mausolées d’Ali al-Hadi et d’Hassan al-Askari, les dixième et le onzième Imams chiites, ainsi que la châsse de Muhammad al-Madhi, l’« Imam caché », douzième et dernier Imam du chiisme duodécimain. Le dévoilement du Madhi, l’Envoyé, est nommément assimilé par certains chiites fondamentalistes, à celui du Christ… le Madhi étant pour ceux-là le Christ lui-même ! Après la chute du régime bassiste en 2003 et l’amorce d’une guerre interconfessionnelle en 2004, alors même qu’à Washington l’on songe précisément à redessiner la carte de l’Orient proche, la Mosquée d’Or va faire l’objet de plusieurs attaques d’envergure. Le 22 février 2006 un attentat détruit le dôme cryséen, un second détruit ses deux minarets le 13 juin 2007. Voir Le Courrier de Genève, 27 février 2006 « Autopsie d’un crime contre la paix ».

(4) Dès 1998, tout était dit. La baudruche des accusations de détention par l’Irak de gaz innervant VX était dégonflée. En ce qui concerne le nucléaire, le régime était également blanchi, les autorités internationales de surveillance ayant fait passer le pays en « contrôle continu ». Aucune chancellerie ou service de renseignement n’ignorait ces données élémentaires

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(5) « Les États-Unis sont profondément préoccupés par les événements qui se sont produits au cours des dernières 48 heures à Mossoul, où des éléments de l’État islamique en Irak et au Levant se sont emparés d’une partie importante de la ville. La situation reste extrêmement grave. Les États-Unis vont fournir toute l’aide nécessaire au gouvernement irakien dans le cadre de l’Accord-cadre stratégique pour contribuer au succès de ces efforts » [Reuter10juin14]. Jen Psaki, porte-parole du département d’État, s’exprimait ainsi il y a six jours déjà. Aujourd’hui 16 juin, s’ouvre à Vienne une nouvelle session de la Conférence dite 5+1 relative au contrôle du programme nucléaire iranien. En marge des discussions, et ce n’est un mystère pour personne, États-Unis et Iran vont coordonner leurs moyens et leurs actions pour réduire la pression islamiste sur Bagdad : nécessité faisant loi, frappes aériennes pour Washington, opérations au sol pour les unité d’élites des Pasdaran, les Gardiens de la Révolution. Une situation sidérante au regard de ce qu’étaient encore les relations irano-américaines il y a seulement un an.

(6) Scott Ritter, ancien officier des renseignements du corps des Marines, ex inspecteur des Nations Unies en désarmement [UNSCOM], poste dont il a démissionné en août 1998 rendant alors public qu’il y œuvrait en réalité pour le compte de la CIA et du Mossad. Celui-ci avait prédit le 25 mars 2003 en des termes assez crus, un départ américain d’Irak dans la honte et le déshonneur. Certes Ritter prévoyait un échec de l’offensive à court terme, mais en gros son diagnostic s’est révélé exact : « Les États-Unis vont quitter l’Irak la queue entre les jambes, sur une défaite. C’est une guerre que nous ne pouvons pas gagner » [AFP26mars03].

(7) Le 9 avril 2013, Abou Baker al-Bagdadi al-Husseini al-Koraïchi [ce dernier nom étant celui de la tribu du Prophète] déclare que le Front al-Nosra une branche de l’État islamique d’Irak en Syrie, il annonce la fusion de EII et du Front al-Nosra pour former l’État islamique en Irak et au Levant. Mais le chef d’al-Nosra, Abu Muhamad al-Julani, bien qu’il reconnaisse avoir combattu en Irak sous ses ordres puis d’avoir bénéficié de son aide en Syrie, ne répond pas favorablement à l’appel d’al-Baghdadi et renouvelle son allégeance à l’égyptien Ayman al-Zaouahiri, émir d’al-Qaïda.

(8) Le 31 mars 2004, quatre mercenaires de la multinationale Blackwater (honni pour ses exactions) sont tués. Deux des cadavres carbonisés sont pendus par les pieds aux poutrelles d’un pont aux cris de « Falloujah sera le cimetière des forces de la coalition ». Début avril, l’armée américaine met le siège devant la ville, 70 000 femmes, enfants et vieillards sont autorisés à quitter la ville, mais non les hommes valides. L’Opération « Vigilant Resolve » [le siège] coûtera la vie à une quarantaine de Marines et à environ 800 Irakiens de l’armée gouvernementale. La prise de la ville, Opération « Phantom Fury », n’intervient pas avant novembre à grand renfort de bombardements aériens et de recours à l’artillerie lourde. Les bombes au phosphore blanc furent aussi largement utilisées et les libérateurs Américains s’illustrèrent particulièrement en abattant des blessés survivants. Le nombre des morts civils se situerait entre 4 et 6 mille, quant aux combattants éliminés, mystère et boule de gomme.

(9) Saint Behnan [Mar Behnan], sa sœur Sara et leurs quarante Compagnons ont été martyrisés au IVe siècle. Ils sont particulièrement vénérés par les Églises Syriaque tant orthodoxe que catholiques.
St Behnam est vénéré près du lieu du martyr, non loin du « village » de Karakosh. Le Monastère qui existe depuis le IVe siècle, abrite le sépulcre du saint, et il est tout à fait remarquable par ses bas reliefs. La légende du Saint vaut d’être contée… Alors que Behnam, fils de Sennachérib, roi de Ninive, chassait la gazelle avec ses compagnons, il est conduit par l’une d’entre elles à la montagne de saint Matthieu. La troupe y rencontre l’ermite qui leur annonce l’Évangile. Il promet aussi de guérir Sara atteinte de la lèpre si elle se fait baptiser. Or nous sommes dans une steppe aride sans eau lustrale. Qu’importe ! Matthieu frappe la terre et fait jaillir une source. Sara purifiée, elle et son frère reçoivent le baptême. À Ninive, tous se réjouissent de cette guérison, mais le roi en conçoit du dépit en raison des conversions !
Sennachérib ivre d’ire lance ses sbires à leur poursuite et les fait égorger. Ayant donné l’ordre de brûler les dépouilles, le sol les lui dérobe en les engloutissant. Le roi en perd la raison. Mais le fantôme de Behnam lui apparaît et convertit son père. En France, dans l’Orne, existe un monastère syriaque, Notre Dame de Miséricorde, où nombreux sont ceux qui viennent prier et demander guérison et fertilité par l’intercession de St Behnan et de Ste Sara.


(10) Au centre de Mossoul se trouve depuis 1750 un couvent dominicain. La maigre mais vivace communauté est dédiée à Notre-Dame-de-l’Heure, cela à cause de l’imposante horloge qui domine le clocher de l’église. Un don de l’impératrice Eugénie en remerciement de l’horloge, une clepsydre sans doute, envoyée à l’occasion d’une ambassade, à l’aube du IXe siècle, par le calife Haroun al-Rachid à Charlemagne, empereur d’Occident. C’est en tout cas ce que rapportent les chroniqueurs. Cf. « Mésopotamie paradis des jours anciens » d’Ephrem-Isa Yousif. Paris 1996.

(11) Le 17 avril 1961 la CIA et le Pentagone planifièrent le débarquement d’opposants au régime castriste dans la baie des Cochons à proximité de la Havane. Les États-Unis ayant en cours de route changé leur fusil d’épaule, sans état d’âme les opposants cubains furent alors abandonnés à leur triste sort.

4 réponses »

  1. Satan est bien le maître de cette « vallée des larmes » qu’est devenu notre triste monde! De grâce arrêtons au moins de faire de la future chaire à canon, et rappelons nous de ce que disait le Christ sur son chemin de croix, 30 ans avant la destruction de Jérusalem: « Femmes de Jérusalem, ne pleurez pas sur Moi mais pleurez sur vos enfants, car le jour viendra …. etc…. »

  2. Et dire que l’occident veut la peau de Putin, et aucun e ces mêmes pays occidentaux n’ose même faire une remontrance aux américains au désastre qu’il ont causé dans toute cette région. on pouurait bien sûr parler de ce qu’ils ont fait autrefois aussi, en Amérique Centrale ou ailleurs, mais chut!, il ne faut pas froisser nos « amis ».

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