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Ukraine : La compromission des Européens

Ukraine : La compromission des Européens

Crise ukrainienne. Objectif prioritaire: la conquête de nouveaux débouchés européens pour l’industrie pétrolière et gazière américaine.

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Mercredi, les Etats-Unis et l’Union européenne ont donc rajouté une nouvelle couche de sanctions contre la Russie. Les Américains, comme par hasard, ont visé les deux grands géants de l’énergie russe, le pétrolier Rosneft et la Gazprombank tandis que les Européens, jouant sur un mode plus mineur suivant leur habitude, gelaient les programmes de la Banque européenne d’investissement et de la BERD en Russie. Mais les deux partenaires ont joué leur partition à l’unisson et de façon parfaitement complémentaire, selon un scénario bien rodé depuis février dernier.

On comprend bien l’intérêt du régime de Kiev et des Polonais d’agiter sans cesse et de grossir la «menace» russe (qui ne s’est jamais matérialisée malgré tout ce qu’on a pu entendre), on perçoit en filigrane le grand intérêt économique et géopolitique des Etats-Unis de faire main basse sur l’Ukraine, mais on comprend moins pourquoi les Européens jouent un jeu qui ne pourra, au final, que les affaiblir davantage en accroissant leur dépendance énergétique et politique.

Car il s’agit de bien percevoir les enjeux de ce qui se déroule aujourd’hui dans l’est européen. De fait, les Etats-Unis sont en train de réaliser ce qu’avait très exposé l’ancien conseiller polonais de Jimmy Carter Zbignew Brzezinski dans son livre Le grand échiquier, à savoir s’emparer de l’Ukraine pour déplacer le centre de gravité du continent européen vers l’est, refouler la Russie dans les glaces sibériennes et faire passer l’ensemble de l’Europe élargie sous la tutelle politique des Etats-Unis par le biais du contrôle de son approvisionnement énergétique.

Ce qui est en jeu, ce n’est évidemment pas la démocratisation de l’Ukraine ni la défense des droits de l’Homme, qui ne sont que des leurres donnés aux journalistes et aux braves gens pour faire passer la pilule (sinon pourquoi collaborer avec le régime saoudien alors qu’il est cent fois moins démocratique que la Russie?) mais bien la conquête de nouveaux débouchés européens pour l’industrie pétrolière et gazière américaine et la définitive intégration (mot gracieux pour désigner la subordination) militaire et politique du continent à l’OTAN.

Voyons donc les faits. Jusqu’ici l’Europe, qui soit dit en passant n’a jamais été indépendante en matière d’énergie, s’approvisionnait en pétrole et en gaz russes. Ce qui la rapprochait naturellement de la Russie, avec qui elle a d’ailleurs signé un partenariat de coopération économique stratégique en 2003. On voit tout de suite le risque de marginalisation que l’approfondissement de ce partenariat aurait entrainé pour les Etats-Unis: le savoir-faire technologique et le grand marché de consommateurs européens qui s’allient aux matières premières et à l’espace russe jusqu’à Vladivostok auraient renvoyé les Etats-Unis au Moyen-Age! Dès ce moment-là, soit dès 2004, on a donc vu fleurir dans la périphérie russe, en Ukraine et en Géorgie, des révolutions dites oranges qui ont aussitôt demandé leur adhésion à l’UE et à l’OTAN. Le fruit du hasard? La main merveilleuse du marché? Le doute est permis et les coïncidences sont frappantes. Est-ce un hasard si le vice-président américain Joe Biden, qui s’est rendu plusieurs fois à Kiev et a activement soutenu les manifestants de Maidan, a eu la joie de voir son fils Hunter devenir administrateur de Burisma Holdings qui gère la principale entreprise ukrainienne de gaz naturel?

Quoi qu’il en soit, depuis dix ans, la bataille géo-politico-énergétique fait rage sur le continent européen. Il est ainsi symptomatique de constater que la médiation européenne dans les récentes négociations sur les prix du gaz entre la Russie et l’Ukraine n’ont rien donné. Et pourtant les Européens ont fait une offre raisonnable à Kiev et ont insisté pour qu’elle l’accepte. Laquelle a pu s’offrir le luxe de la refuser grâce au soutien actif de ses nouveaux partenaires américains, qui sont en train de prendre le contrôle de l’ensemble des sociétés ukrainiennes de transport de d’énergie.

Et il est aussi étrange de constater que personne ne s’offusque quand l’Ukraine ne paie pas ses factures de gaz à la Russie alors que les tribunaux américains n’hésitent pas à condamner l’Argentine à rembourser jusqu’au dernier centime les fonds américains qui spéculent sur sa dette…

Le but de toutes ces manœuvres? Faire d’une pierre cinq ou six coups. L’OPA sur l’infrastructure énergétique ukrainienne permet de couper l’approvisionnement et les liens économiques et commerciaux de l’Europe avec la Russie tout en amenant l’Europe à se tourner vers les compagnies américaines soucieuses d’écouler leur gaz et leur pétrole de schiste. Coup double. Elle permet également de contrôler les prix du gaz, qui doivent absolument demeurer élevés pour que l’exploitation du gaz de schiste soit rentable. Or si l’Ukraine est sous contrôle, la concurrence russe est éliminée (surtout si entretemps on a pu convaincre la Bulgarie de s’opposer à la construction du gazoduc Southstream). Le gaz russe est en effet moins cher à exploiter et à transporter. Coup triple: le prix du gaz est sous contrôle, la concurrence économique de la Russie est éliminée et l’Europe se voit contrainte de s’approvisionner aux Etats-Unis. Cerises sur la gâteau: la Russie et l’Europe sont toutes deux affaiblies sur le plan économique et politique et leur coopération est gravement compromise pour longtemps surtout si, grâce aux ressources innombrables du soft power, on aura pu convaincre les opinions chauffées à blanc qu’une nouvelle guerre froide était en route à cause du méchant Poutine.

En principe, ainsi que le proclame le libéralisme, ce serait au marché de décider. Mais, et ceci est une contradiction de plus, le marché n’a rien à dire dans cette affaire. Si c’était le cas, une solution aurait été trouvée depuis longtemps au différend gazier entre la Russie et l’Ukraine, l’est ukrainien vivrait en paix et on pourrait se bronzer tranquillement sur les plages de la Crimée russe. Et l’Europe pourrait acheter librement et au meilleur prix son gaz et son pétrole en faisant jouer la concurrence russe et américaine, tout en approfondissant sa personnalité politique et diplomatique. Mais c’est une histoire qu’on trouve dans les manuels d’économie sur la concurrence parfaite et les livres de sciences politiques sur la démocratie et la liberté. Pas dans la réalité.

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Guy Mettan/ AGEFI SUISSE 18/7/2014

http://agefi.com/europe-monde/detail/artikel/crise-ukrainienne-objectif-prioritaire-la-conquete-de-nouveaux-debouches-europeens-pour-lindustrie-petroliere-et-gaziere-americaine.html?catUID=16&issueUID=633&pageUID=18957&cHash=14247274af08c1bbfee5fa76f2d9f55d

2 réponses »

  1. J’ai le souvenir d’une interview de Rafsandjani et de Khatami (si ma mémoire et bonne). Qui racontent comment les USA les ont roulés dans la farine, traités par dessus la jambe, comme la cinquième roue du char! Ils ont dit l’erreur des américains de ne pas avoir accepté leur conseil sur l’Irak. Ils connaissaient le terrain, dans tous les sens du terme! Ici a pointé la vanité, l’orgueil et l’arrogance. Et, comme pour enfoncer le clou, Rafsanfjani, avec sa bonne figure d’idiot du village, a raconté ceci. Ceci que la guerre avec l’Irak s’éternisant, l’état-major iranien avait conclu qu’il fallait frapper un grand coup pour en finir. Mais ils ont aussi constaté qu’ils n’en avait pas les moyens. Donc il fallait demander un cesser-le-feu. Ou quelque chose de cet ordre. Rafsandjani dit en avoir parlé à Khomeini, et lui avoir proposé de prendre sur lui la décision pour que le leader ne perde pas la face. Et il offrait sa tête pour porter le chapeau. Et Khomeini lui a répondu que cela était exclu! Il a pris la décision, a donné l’ordre et l’a assumé. Ce sont des choses qui ne parviennent pas aux oreilles de la populace. Ceci pour mettre l’accent, en plusse l’âpreté, sur la vanité, l’arrogance et l’orgueil!

  2. Le pire dans tout ça ce sont nos hommes politiques soit disant élu par le peuple et pour le peuple car les grands perdant dans cette géopolitique nauséabonde ce sont bien les peuples d’Europe !…..

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