Guerre de Religions, guerre de Civilisation

Survie limitée pour l’Etat islamique ?

Survie limitée pour l’Etat islamique ?

Les mercenaires attendent leur solde. L’épuisement des ressources financières aura raison du grand califat. Entretien AGEFI SUISSE avec Alain Chouet.

Les Américains lancent l’offensive contre L’Etat islamique (EI). Une démarche non dépourvue de sens selon Alain Chouet, ancien chef de poste à Damas puis du service de renseignement de sécurité de la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE), et spécialiste du terrorisme islamique. 

Interview: Nicolette de Joncaire

Les troupes de l’Etat islamique sont plus assimilables à des guérilléros qu’à une armée régulière. Les frappes américaines seront-elles efficaces?

Les frappes ne sont pas inutiles. L’Etat islamique dispose d’une véritable armée avec véhicules, campements et armes lourdes. Et l’Irak n’est pas le Vietnam où les troupes pouvaient se dissimuler dans la jungle. Elles se dispersent, certes, et s’abritent volontiers dans les villages et les centres urbains pour bénéficier de boucliers humains mais ne sont pas hors de portée. Il est plus intéressant d’aborder leur capacité de survie à terme. Depuis que les financements saoudiens et qataris se sont taris à l’été 2013 et depuis la criminalisation du djihad par l’Arabie saoudite, les djihadistes sont confinés au Nord de l’Irak et se «payent sur la bête.» Ils ont certes retrouvé du souffle en raflant un demi milliards de dollars à la Banque Centrale de Mossoul en juin, ce qui leur a permis de louer les services des chefs des tribus sunnites et de lancer l’offensive, mais le racket de «l’impôt révolutionnaire» et le pillage n’auront qu’un temps. 

Ils contrôlent toutefois certains puits de pétrole.

En moins grand nombre qu’on ne le dit. Sans oublier les limites de leur capacité technique à les exploiter et à écouler le pétrole. Ils le revendent au cinquième du prix à des intermédiaires turcs et irakiens. Une forme d’écoulement contrôlable. Leur capacité financière est aujourd’hui limitée et deviendra rapidement insuffisante pour payer leurs hommes dont une moitié est composée de mercenaires caucasiens, libyens ou tunisiens. Les combattre militairement n’est pas simple mais les frappes associées à l’épuisement de leurs ressources devraient en avoir raison. 

Combien de temps estimez-vous qu’il faudra pour les vaincre? 

C’est une question de mois. Le processus pourrait s’accélérer si les Américains lançaient une intervention au sol mais il n’en est pas question. 

Que pensez-vous de la position du Kurdistan irakien qui cherche à s’émanciper?

Les Kurdes sont pleins d’espoir mais leur indépendance poserait des problèmes insolubles à la Turquie et à l’Iran. 

Le remplacement de Nouri al-Maliki par Haider al-Abadi est-il positif?

Un peu tôt pour le dire. Al-Maliki était plein de promesses mais a raté son exercice du pouvoir. Il s’est métamorphosé en chef de clan obtus et n’a su contenter personne, même pas les chiites. A force de placer frères et cousins aux postes clefs, il a perdu tout contrôle de l’armée. Al-Abadi semble partisan d’une politique plus respectueuse et recueillir davantage le consensus des communautés irakiennes. A voir. 

D’où viennent les dirigeants de l’Etat islamique?

On trouve leur origine dans un groupuscule local des années 1990, Ansar al-Islam («défenseurs de l’Islam») repris en main en 2003 par Ebu Musab Zerkavi (ou Abu Musab al-Zarqawi), un dissident jordanien d’Al Qaeda rejeté  pour son aventurisme. Ce qui en dit long sur le personnage. Il aurait été tué en 2008 ou 2009 par un bombardement américain. Ce groupe s’est fortement développé en raison de la décision inepte des Etats-Unis, et plus particulièrement de Paul Brenner, de «débaassifier» la société irakienne. Avec pour conséquence le départ de la quasi-totalité des officiers de l’armée irakienne et des fonctionnaires, remplacés par des chiites. Exclus des emplois publics, ils ont rejoint les islamistes sunnites et leur ont apporté les techniques militaires et administratives qui leur faisaient défaut. 

Libye, Irak, Syrie, Somalie… Cela fait beaucoup d’erreurs.

Sans oublier l’Afghanistan. Au terme de 12 ans de présence américaine, il se retrouvera à son point de départ: aux mains des Talibans. Autrefois, la lecture des situations locales par les analystes des services américains pouvait être excellente mais il y a aujourd’hui rupture complète entre ceux qui réfléchissent et ceux qui exécutent. Dans les années 90, les agents connaissaient le terrain. On leur a substitué de jeunes universitaires. Comme les meilleurs préférent la finance, ce sont surtout les diplômés des universités du Middle-West, la tête farcie de schémas appris à Saint-Louis, Missouri, et dépourvus de connaissances de l’histoire, des langues ou du terrain, qui mènent les opérations. Il n’y a pas de conspiration, juste de la sottise et de l’arrogance. Ce qui fait probablement encore plus de dommages. 

Dans un papier de 2012, vous remettiez en cause l’Observatoire syrien des droits de l’homme, source principale des médias européens en Syrie.

Les médias français, dont l’AFP, n’ont pratiquement plus de correspondants sur place. Leur unique source est l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont toute la presse répercute les nouvelles (en les citant ou pas) et dont l’AFP prétend qu’il s’appuie sur un «vaste réseau de médecins et d’intellectuels» ce qui est loin d’être prouvé. Il parait émaner des Frères Musulmans et s’appuyer sur peu de chose. 

L’affaire des armes chimiques de Bachar al-Assad et/ou des rebelles a disparu de l’actualité. Qu’en est-il?

Difficile encore de déterminer qui les utilisait de façon certaine. Certaines sources sures affirment qu’elles ont été lancées à partir des lignes rebelles mais cela aurait pu être le fait d’hommes du gouvernement. Les rapports de police turcs rapportent avoir arrêté des rebelles transportant des containers de gaz sarin. Ce qui n’exonère pas non plus le régime syrien. Quel que soit le camp, toute arme à disposition sera utilisée. C’est d’ailleurs ce que disait Carla da Ponte. Une femme rigoureuse qui ne s’avance pas sans évidences sérieuses. 

Finalement le président Obama  – un peu contraint tout de même par Vladimir Poutine – a bien fait de ne pas déclencher une guerre contre le gouvernent syrien l’an dernier?

On ne déclenche pas une guerre sans être sûr de son fait. Surtout depuis que le président Bush a déclenché celle d’Irak sur la base de renseignements faux ou tout au moins insuffisants. 

 MARDI, 09.09.2014

http://agefi.com/europe-monde/detail/artikel/les-mercenaires-attendent-leur-solde-lepuisement-des-ressources-financieres-aura-raison-du-grand-califat-entretien-avec-alain-chouet-381298.html?catUID=16&issueUID=671&pageUID=20063&cHash=6c60f37b65f43eac0e68358c604a19f8

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