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Suisse : La réforme fiscale à l’épreuve de la mobilité

Suisse : La réforme fiscale à l’épreuve de la mobilité

La réforme fiscale à l’épreuve de la mobilité La Suisse lance une réforme fiscale des entreprises destinée à répondre aux critiques européennes. Eveline Widmer-Schlumpf, sans doute à des fins partisanes, saisit cette opportunité et ajoute un non-sens historique

La Suisse lance une réforme fiscale des entreprises destinée à répondre aux critiques européennes. Eveline Widmer-Schlumpf, sans doute à des fins partisanes, saisit cette opportunité et ajoute un non-sens historique. Elle fait renaître de ses cendres la vieille idée socialiste d’un impôt sur les plus-values boursières. Elle oublie au passage que si la Suisse est l’un des derniers pays au monde à prélever un impôt sur la fortune, c’est parce qu’elle n’a pas d’impôt sur les plus-values. La volonté de pénaliser l’épargne, donc l’investissement et l’emploi, souligne l’impression de travail bâclé et les priorités keynésiennes.

Le débat porte tristement sur la compensation de «pertes fiscales», oubliant les aléas de telles évaluations et de ses effets indirects. Il se prolonge sur les «inégalités des pertes», mettant en lumière le fait que la politique de redistribution passe avant toute chose. Le terrain est propice aux lobbyistes, aux alliances douteuses et aux marchandages.

Qui s’étonnera de la perte de confiance envers la politique? Est-ce correct que l’exercice n’ait pour but qu’un montant des rentrées fiscales? Ne vaudrait-il pas mieux, en satisfaisant aux normes internationales, tout mettre en œuvre pour renforcer notre compétitivité fiscale à long terme? Avec cette stratégie, le produit de l’impôt a toujours été suffisant dans le passé.

L’optimum fiscal n’est pas aisé à définir dans un contexte de la globalisation. Car en dépit des efforts de l’OCDE, la concurrence fiscale est vive, dynamique, innovante et bénéfique à chaque contribuable. L’optimum suisse ne peut donc s’éloigner des meilleurs de la classe. La globalisation elle-même est une source de progrès puisqu’elle offre, par définition, un élargissement du marché, une source de croissance de notre niveau de vie, ainsi que l’a montré Adam Smith. Plus près de nous, et dans un langage plus direct, Jean-Claude Biver répète inlassablement que le succès de la Suisse et son haut niveau de vie exceptionnel sont indissociables de l’orientation mondiale de ses entreprises: «Le marché des entreprises suisse, c’est la planète», dit-il en prenant à témoin l’ouvrage de référence Swiss Madede James Breiding et ses multiples portraits d’entrepreneurs. Quelle différence avec l’horizon du Conseil fédéral!

La politique suisse a longtemps contribué à la réussite économique par son effacement, sa stabilité et son moindre interventionnisme. Face à la complexité des marchés, les conséquences indésirables des décisions de l’Etat risquent de conduire à une spirale interventionniste, fait valoir Viktor Vanberg1. Sous l’influence des socialistes de tous les partis, depuis la crise financière la Suisse s’est pourtant évertuée à suivre les mauvais exemples, par l’addition d’interdits et de réglementations, parfois indolores, mais qui tuent la liberté économique. L’économiste Beat Kappeler2 et le professeur bâlois Silvio Borner3publient tous deux cet automne des ouvrages qui dénoncent cette dérive politique. Des constats courageux d’économistes confrontés aux débats de sociétés, des coups de griffes aux chasseurs de subventions, lobbyistes et politiciens trop vite prompts à ignorer leurs promesses. De saines attaques contre un socialisme larvé qui pénalise l’emploi.

Quel principe fiscal employer aujourd’hui? La globalisation conduit à une meilleure séparation de deux fonctions essentielles de l’Etat, avance Viktor Vanberg. D’une part, son rôle à l’égard de la communauté des citoyens, dont les vœux ressemblent à ceux des membres d’une association. D’autre part, sa fonction d’instance territoriale présentant une offre de règles et services pour les personnes de son territoire, dans une relation d’entreprise à clients.

La mobilité des personnes, biens et capitaux accroît la différence des deux rôles, y compris en matière fiscale. Naturellement, les limites à la mobilité sont plus grandes pour un citoyen attaché à son cadre familial, social, culturel et politique, que pour une entreprise attirée par «un paquet de services».

Il est important de savoir que Viktor Vanberg conteste ici la définition (juridique) qui voudrait que l’impôt doive être fonction de la capacité financière sans égard à d’éventuelles contre-prestations de l’Etat. Les défis de la mobilité et de l’éthique exigent au contraire que l’impôt soit fonction de l’intérêt retiré par l’assujetti. C’est pourquoi le sociologue considère l’impôt comme une cotisation qui finance des prestations publiques.

La globalisation renforce donc l’idée d’impôts prélevés en fonction des intérêts des membres de la communauté. La fiscalité des entreprises ne peut plus s’orienter sur la capacité financière et l’impôt sur le bénéfice dans un contexte concurrentiel. Les entreprises sont conscientes de leurs responsabilités à l’égard de leurs employés et de l’Etat. Mais leur loyauté n’est pas illimitée. Certes, le niveau d’imposition n’explique pas seul le maintien dans un pays. La sécurité du droit, les infrastructures, la main-d’œuvre qualifiée comptent aussi. Un peu comme un client de restaurant ne se déterminera pas uniquement sur le prix du menu. Mais les initiatives sur le salaire minimum, Minder et 1/12 ont miné nos fondamentaux suisses, expliquent Silvio Borner et Beat Kappeler. Il est crucial de ne pas rétrograder dans les classements de concurrence fiscale.

Le citoyen n’est pas davantage insensible aux comparaisons fiscales. Pour lui aussi, le niveau de prélèvement doit être évalué en vertu de son intérêt personnel à rester dans un pays plutôt que de sa capacité financière. En réponse à la mobilité, la définition de l’impôt est donc en train de changer. Il devient un prix d’accès à un ensemble de services, un peu comme la cotisation à un club.

Les politiciens réagissent à la globalisation en cherchant à réduire la concurrence fiscale, à travers son harmonisation. Mais, comme dans les ex-pays de l’Est, la lutte contre la mobilité des citoyens et leur liberté conduit à l’échec. Un affaiblissement de la pression concurrentielle, telle qu’elle est défendue par la France et l’Allemagne, n’est nullement une stratégie robuste.

Pour éviter de futures déconvenues, la Suisse devra éviter de faire peser sur les entreprises des dépenses budgétaires destinées aux citoyens. La concurrence fiscale encourage la transparence des décisions politiques et fiscales, celles qui frappent les entreprises et celles qui concernent les citoyens, explique Viktor Vanberg. Menée à bien, la réforme renforcera notre compétitivité économique. L’Etat n’en souffrira sûrement pas.

  1. Markt und Staat in einer globalisierten Welt, Viktor J. Vanberg, Freiburger Diskussionspapiere, 2008.
  2. Leidenschaftlich nüchern, Beat Kappeler, Verlag NZZ, 2014.
  3. Schweizer Politik im ökonomischen Praxistest, Silvio Borner, Liberales Institut, 2014.

PAR EMMANUEL GARESSUS/ Le Temps 8/10/14

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/e92dcab2-4e3c-11e4-a701-a0e5a8a72efd%7C1

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